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LE MESSIANISME
DANS
LHÈTÊRODOXIE MUSULMANE
PAR
E. BLOGHEÏ
PARIS
LIBRAIRIE ORIENTALE ET AMÉRICAINE
J. MAISONNEUVE, Éditeur
6, rue de Méziôres et rue Madame, 26 (VI*)
1903
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Avesta, livre sacré du zoroastrisme, traduit du texte zend, accom-
pagné de notes explicatives et précédé d'une introduction à
l'étude de l'Avesta et de la religion mazdéenne, par C. db Ha.rlez,
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AmroUkaïs. Le Diwan d'Amrolkaïs, précédé de la vie de ce poète
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traduction et de notes par Mac Guckin de Slane. Paris, Imp,
Roy,, 1887, in-4<» br., xxv-128 et 5o pp 10 fr .
Barbier de Meynard et S. Guyard. ■— Trois comédies traduites
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Paris, 1886, in-ia br., xx-91 et 169 pp 10 fr.
Berge (A.). — Dictionnaire persan-français avec une table alpha-
bétique pour servir de dictionnaire français-persan et un ta-
bleau comparatif des années de l'ère mahométane et de l'ère
Chrétienne, in-ia cart., 674 PP. Leipzig et Paris, 1868... 10 fr.
Blochet (E.). — Inventaire et description des miniatures des
manuscrits orientaux conservés à la Bibliothèque Nationale.
Paris, 1900, in-80 br. de 278 pp 12 fr.
Burnouf (Emile), ancien directeur de VÉcole française d'Athènes,
— La science des religions. Quatrième édition. Paris, i885, un
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Gasartelli (L.-C). — La philosophie religieuse du mazdéisme
sous les Sassanides. Paris, 1884, in-8« br /^Ît.So
Gaspari (C.-P.). — Grammaire arabe, traduite de la quatrième
édition allemande et en partie remaniée par E. Urigoechea.
Paris, 1881, un beau vol. gr. in-8'» de vii-532 pp., cartonné.
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édition augmentée de textes inédits et d'un glossaire. Paris,
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Goran. — Le Koran analysé d'après la traduction de M. Kazi-
mirski et les observations de plusieurs savants orientalistes, par
!• La Beaumb, Paris, 1876, un vol. gr. in-8® br,, xxiii-800 pp.
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LE MESSIANISME
DANS
L'HÉTÉRODOXIE MUSULMAlNE
LE MESSIANISME
DANS
m ^^ m
L'HETERODOXIE MUSULMANE
PAR
E. BLOCHET
PARIS
LIBRAIRIE ORIENTALE ET AMÉRICAINE
J. MAISONNEUVE, Éditeur
6, rue de Méziôres et rue Madame. 26 (VI«)
1903
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A Madame M. DJEULAFOY
PRÉFACE
L'étude de Vinfluence de VIranisme sur les cwilisa-
dons et sur les formes religieuses des contrées qui furent
les voisines de la Perse ne sera probablement jamais
entreprise dans son ensemble : elle soulèçe trop de ques-
tions historiques qui resteront éternellement sans réponse ^
elle suppose la connaissance de trop de monuments dis-
parus dans le lointain du passé, pour qu'il soit possible
de tracer un tableau complet et fidèle de l'expansion
d'une des civilisations les plus puissantes qui aient vécu
dans l'ancien monde.
Les rapports des peuples qui habitèrent le pays d'Iran
avec leurs voisins de l'Est et du Nord resteront toujours
à peu près inconnus : pas plus que l'Inde, la Perse n'a
d'historien de ses périodes antiques, et la légende royale,
telle qu'on la connaît par les aocuments pehlvis et par
le Livre des Rois n'est évidemment qu'une fraction bien
minime de l'histoire ancienne de VIran.
Les peuples qui vécurent sur les frontières de la Perse
et dans les vastes contrées qui la bordent au Nord comme
à l'Est, Jusqu'aux frontières de l'Empire du Milieu, ne
nous ont laissé aucun monument historique et l'on est
réduit à déchiffrer péniblement leurs noms dans les
chroniques chinoises et à rechercher dans quelques his-
toriens arabes de vagues renseignements sur leur compte.
Les rapports de l'iranisme avec le monde de l'Occident
sont plus clairs, car si les docizments persans sont tout
aussi rares, les Byzantins et les Arabes qui ont été en
relations constantes avec la Perse, nous ont laissé sur
la civilisation des Sassanides des renseignements assez
précis pour que l'on ait moins à regretter le silence des
historiens iraniens contemporains des Ardéchir et des
Sapor, ou la perte de leurs œuvres
L'influence de la civilisation pe\
persane sur V Islamisme
V PRÉFACE
?rimitif est Vun des faits les plus extraordinaires de
histoire du monde oriental : cest aussi Vune de celles
dont on a le plus parlée un peu par mode, beaucoup pour
ne pas prendre la peine d'expliquer des faits qui semblent
inexplicables ou dont on ignore les raisons historiques.
Quand un point paraît gênant, ou étrange, dans les
dogmes de V Islamisme, ou dans sa philosophie, quand
un fait semble en contradiction açec le tour d'esprit que
Von suppose aux peuples sémitiques, on tranche la dif-
ficulté en admettant sans plus de recherches, qu'il j' faut
çoir une influence éçidente et forcée de Vlranisme. LFest
ainsi que tout ce qui dans la philosophie arabe n'est pas
néo-platonicien est déclaré d'origine iranienne, alors que
l'on ne connaît pas un seul philosophe de l'époque sas-
sanide et qu'il n'y a pas daçantage de philosophes
persans; les auteurs qui séparent de cetitren' ayant JamcUs
fait que traduire dans leur langue les œuçres de la phi-
losophie arabe et d'ailleurs, leurs liçres n'ont pour ainsi
dire jamais été lus, encore bien moins publiés.
On admet également, açec une aisance aussi grande,
que le Soufisme, qu'il vaudrait mieux nommer Esoté»
risme, est un système purement iranien, alors qu'on ne
•^^ possède dans la littérature pehlçie aucun document mjrs-
^ tique eif que ce que l'on connaît du Mazdéisme sassanide
soit à peu près aussi loin des doctrines ascétiques du
Soufisme, que le Protestantisme l'est du Fétichisme, Le
grand dogme du Mazdéisme est qu'il faut Jouir pleine-
ment de la çie qui n'est que trop courte, que l'homme qui
mange son saoul vaut mieux que celui qui jeûne ; que celui
qui a de l'argent est après tout, plus heureux^ que l'homme
qui ne possède rien et que l'individu qui s'est donné
charste d'âmes est plus estimable que celui qui a fait vœu
de chasteté. Cette doctrine un peu terre-à-terre ne res-
semble pas précisément à celle des grands Soufis qui
vivaient de privations incroyables, qui avaient le plus
profond mépris qui se puisse concevoir pour les biens de
ce monde et les joies de la famille.
Si encore les philosophes et les Soufis étaient des
Persans qui eussent écrit en persan, ces affirmations
catégoriques se comprendraient Jusqu'à un certain point,
mais les livres de philosophie, de Soufisme et plus géné-
ralement d'Esotérisme, n'apparaissent dans l Iran qu'à
une époque très basse, alors qu'il existait déjà toute une
littérature mystique dans le monde arabe; déplus, tous
PRÉFACE III
les livres persans traitant de philosophie ou d'Esotérisme
qui en Orient, se séparent bien difficilement, ne sont que
des traductions ou des adaptations de V arabe.
Les grands philosophes et les grands ésotéristes,
Ghazali, Sohraverdi, Koshaïri, el-Kashani, el-Shadili,
eUMottaki, el-DJildaki, ont tous écrit en arabe, et c'est
bien plus tard, alors que la connaissance de la langue du
Koranfut devenue chose rare dans le pays d'Iran^ que
Von traduisit et que Von commenta leurs œuvres en per-
san. Parmi ces Sheïkhs qui ont écrit en arabe, beaucoup,
et non des moindres, sont loin d'être des Iraniens; ce
furent, s.oit des Maghrébins comme le fameux Mohyi
ed-Din ibn elrArabi, ou des Egiyptiens comme Omar ibn
el'Faridh. dont le Divan avec les Foutouhat et les Hikem
de Mohyi ed-Din, sont le monument le plus important
de VEsotérisme.
Les maîtres de la poésie mystique de VIran, Djélal
ed-Din Roumi, Djami, Férid ed-Din Attar ne font que
se référer aux textes arabes et commenter, pour ainsi
dire, souvent en les citant, les Foutouhat d'Ibn el-Arabi
ou les poésies abstruses d'Omar, fils d'el-Faridh.
Ce n est pas à dire que Vinfluence de VIran soit nulle
dans V Islamisme et que Von n'en trouve aucune trace dans
VEsotérisme, mais on voit que la question est loin d'être
aussi simple que Von le croirait à première vue; ilj^ a en
géométrie des vérités plus évidentes qu^on prend la peine
de démontrer.
L'un des dogmes fondamentaux de la doctrine soufie
et de VEsotérisme, est la croyance à la venue prochaine
d'un être messianique ^ui n'est autre que le Mahdi des
sectes shiites et des Fatimites. Il est étrangle de retrouver
dans le Soufisme dont beaucoup de chefs prétendaient
n'avoir jamais eu d'accointance avec le Shîisme et repré-
senter Vorthodoxie sunnite, une doctrine qui ne se
comprend guère que chez les Fatimites ou Alides et
leurs partisans. Je ne crois pas utile d'entrer ici dans
V explication détaillée de ce fait qui a été constaté par
les meilleurs historiens de l'Islamisme, car cela m en-
traînerait beaucoup trop loin.
Cette théorie du Mahdi fatimite est bien Vune des
choses les plus étranges de VIslamisme hétérodoxe et
des moins claires, quoique Von s'explique aisément
comment elle s'est formée.
IV PRÉFACE
Ce qui a toujours le plus gêné les sectes hétérodoxes de
VIslam ou, pour plus d'exactitude, tous les gens qui en
adoptant la foi musulmane, n'avaient pas cru renoncer
par cela même au droit de raisonner, c est que Mahomet
ait proclamé aussi haut et qu'il ne se soit pas lassé de
répéter, qui il était le Sceau de la Prophétie, et que la
Mission était terminée avec lui. Il y eut bien des gens au
lendemain de l'hégire et de la mort de Mahomet qui
furent moins optimistes, et qui jugèrent que l'ordre du
monde n'était point si point si parfait qu'un nouveau
Prophète n'eût rien à jy changer, si Allah daignait
l'envoyer dans ce bas monde ou, quoique l'on fasse et
? rue l'on dise pour s'illusionner, la somme du mal et de
a souffrance est supérieure, et de beaucoup, à celle du
bien et de la Jouissance.
La péninsule arabique mise à part, on peut dire que
les doctrines messianiques du Mahdisme se répandirent
également, et aussi vite, en Syrie et en Egypte qu'en
Perse et qu'au Maghreb : la raison en est bien simple.
Ce serait se tromper étrangement que de croire que
les Musulmans oui habitèrent les diverses provinces de
l'empire des Khalifes au moment de sa plus grande
extension, étaient des Arabes descendants de ceux qui
étaient partis avec le fils d'Abd-Allah à la conquête du
monde. En réalité, les hommes qui formèrent les pre-
mières armées du Prophète furent en nombre extrême-
ment minime comme on le voit par le dénombrement des
troupes qui prirentpart aux batailles de Bedr et d'Ohod;
si les armées de l'islamisme purent dans la suite riva-
liser avec celles que leur opposèrent les Chosroès et les
Césars, c'est qu'il était venu s'y fondre une quantité de
gens qui n'avaient rien d'arabe, et qui appartenaient aux
races anciennes de la Syrie et de l'Egypte.
A eux seuls, les Arabes n'auraient jamais été assez
nombreux pour peupler les immenses territoires qui
formèrent le Khalifat, et, pour le faire, même s ils
avaient eu le nombre, il leur aurait fallu massacrer et
anéantir les populations qu'ils avaient soumises.
En réalité, la Perse resta peuplée par des Persans,
c'est-à-dire par des Mazdéens, la Sjyrie par des Syriens,
l'Egypte par des Coptes et des Byzantins, autrement dit
par des Chrétiens. Les Berbers de l'Afrique du Nord,
qui Jouèrent un rôle si important dans les révoltes mes-
sianiques dp. VIslam, avaient eux aussi, au même titre que
PRÉFACE V
les Syriens et les E((rptiens^ connu à la fois la civilisation
byzantine et la foi chrétienne.
C'était donc à des peuples de tendances franchement
messianiques, les Chrétiens et les Mazdéens, les Mazdéens
surtout, que VIslam venait sHmposer avec ses normes
inflexibles et indéformables, en leur ordonnant de laiS"
ser en y entrant la seule espérance de leur vie, celle de
voir des aurores moins sombres se lever pour V humanité.
On ne s'est jamais étonné de la facilité avec laquelle
les Musulmans entrèrent dans laphilosophiealexandrine,
ni comment il se fait qu'ils aient f>u aussi rapidement
s'approprier des théories métaphysiques d'une complica-
tion extrême, sur laquelle ils devaient encore renchérir.
Il j' a là cependant, quand on y réfléchit, un fait
assez étrange et qui ne s'explique pas aussi facilement
qu'il se constate. On comprend mal, ou plutôt l'on ne voit
pas du tout, comment les doctrines subtiles de Plotin,
dePhilon et des philosophes de l'école néo-platonicienne,
ont pu charmer des hommes aussi farouches et aussi
peu spéculatifs aue les Bédouins qui, suivant leurs
alliances de famille, furent les soldats ou les adversaires
de Mahomet. Tout comme aujourd'hui, car la vaste
péninsule arabique n'a guère changé au cours des âges,
les pasteurs du grand désert étaient des êtres à l'âme
simple, peu enclins aux spéculations métaphysiques qui
charmaient le snobisme des intellectuels d'Alexandrie;
les chansons de geste où l'on narre les exploits des héros
et des vaillants guerriers, et les Moallakas répondaient
beaucoup mieux à leur état d'esprit, et le Bédouin cher-
chait à deviner dans Vimmensite des sables les restes du
foyer autour duquel avait campé la tribu de sa bien-
aimée plutôt qu'à imaginer une théorie nouvelle des inteU
ligibles.
Dans la réalité, ces hommes qui en Syrie, en Egypte,
dansl'Ifrikiyya et dans les deux Maghrebs, adoptèrent
laphilosophie néo-platonicienne n'étaient pas des Arabes,
mais bien les descendants immédiats des Byzantins qui
avaient vécu dans la partie asiatique et africaine du
monde hellénique et pour lesquels VAlexandrinisme avait
été la philosophie nationale. Entre le monde byzantin
d'Héraclius et le monde arabe de Mamoun ou d'Haroun
al'Rashid, il n'jy a pas Vhiatus que Von suppose : les
conquérants furent trop heureux d'adopter âans toutes
PliéFAGB VII
des révolutions qui durant quatorze siècles n'ont cessé de
bouleçerser l Islamisme; on peut ajuste titre regarder
Mosaïlima comme le précurseur de ces Prophètes ^ qui
crurent, et non sans raison, qu'il ne manquait pas,
même après la mission du fils d^Amina, de choses à
améliorer dans ce bas monde.
Si les tribus arabes dont V idéal religieux n'açait jamais
été bien élevé, se montrèrent aussi rebelles aux doctrines
antUmessianiques de Mahomet, on pense comment ces
théories furent accueillies chez les Persans, chez les
Chrétiens et les Juif s qui par force plièrent le col sous
le joug musulman. Comme il leur était à peu près impos-
sible, dès qu'ils l'eurent reçue, de sortir d'une confession
oiiy depuis quatorze siècles, T apostasie est un fait à peu
près inconnu, ils se mirent à Venvi à la modifier pour y
faire entrer leur théorie messianique, si bien que le
dogme musulman fut complètement transformé et que
les Prophètes se succédèrent avec une rapidité incroyable
dans un monde où Mahomet avait eu la prétention d'être
le dernier envoyé céleste.
Il n'est pas sans intérêt de rechercher à quelle civilisa-
tion l'Islamisme naissant est allé emprunter sa théorie
messianique. Dans une Conférence dont il a publié le
texte en j885 sous le titre de « Le Mahdi depuis les ori-
S'nes de rislam jusqu'à nos jours (i) », mon maître James
armesteter a déjà indiqué les grandes lignes de la
question et il a montré que le Mahdismefut un emprunt
a la Perse sassanide. Le cadre forcément restreint dans
lequel il était obligé de se tenir ne lui a pas laissé la
liberté de traiter ce problème avec tous les développe^
ments nécessaires et la mort l'a empêché de reprendre
cette étude, l'une des plus importantes de celles qui
touchent à l'histoire religieuse de l'Iran.
J'ai été amené, en étudiant les doctrines ésotériqaes des
Mystiques de VIslam, à m'occuper à mon tour de cette
question du Mahdisme : bien qu'elle forme l'un des
points essentiels des croyances des Soufis, on n'en trouve
qu'assez peu de traces dans les ouvrages d'Ésotérisme, au
moins dans ceux qui sont arrivés jusqu'à nous. En réa-
lité^ les Soufis qui tenaient à rester, au moins d'une façon
(i) Conférence du aSf écrier i885, faite d la Sorbonne devant
l'Association scientifique de France; Paris, Leroux.
VI PRÉFACE
les possessions de Byzance^ une administration et un
système ^'ou^ernemental qu'ils se sentaient bien inca-
pables d'inventer ou même de modifier autrement qu'en
mal. La civilisation byzantine affleure sous la civilisa-
tion musulmane des premiers siècles de Vhégire, et si les
Chrétiens de Syrie et d Egypte s'étaient ralliés à la nou*
celle formule religieuse, ils n'en continuèrent pas moins
à penser comme avant, surtout en philosophie» On ne
peut donc pas dire qu'il j^ eut traduction ou, si Von veut,
transposition de la philosophie grecque : le seul change-
ment qui se produisit fut celui de la langue. Au lieu de
penser et d écrire en arabe, les philosophes qui sont les
gloires de la littérature musulmane et qui vécurent sur
les bords du Nil ou dans laDamascène, auraient écrit en
grec les œuvres qui aujourd'hui nous semblent des tra-
ductions voulues des œuvres de l'Hellénisme.
Si l'Islamisme eut tant de peine à s'imposer aux
Arabes qui cependant étaient mûrs pour une réforme
religieuse, si l'hostilité pour le Prophète fut telle que sa
mission ne réussit que par un vrai miracle, il faut en
grande partie attribuer ce fait à ce que Mahomet voulut
enfermer ses adeptes dans des formules qui ne leur lais-
saient apercevoir aucun horizon et dans une religion à
la porte de laquelle il fallait laisser toute espérance.
La fureur des Koreîshites contre Mahomet venait
beaucoup moins de leur attachement à leur foi ancienne
que de l impatience qu'ils éprouvaient à voir un de leurs
compatriotes, et l'un des moindres, se proclamer supérieur
aux grands Prophètes de leur race et déclarer sans une
hésitation que la mission prophétique était définitivement
close avec lui.
Les prétentions de Mahomet avaient tellement révolté
les tribus arabes que Mosaïlima n'eut qu'à se présenter
et à proclamer que lui aussi était doué de la Prophétie,
pour voir immédiatement se grouper autour de lui une
foule d'ennemis de Mahomet. Aide de sa femme Sedjah
qui avait vécu dans le Bahreïn, l'un des foyers les plus
intenses de l'influence iranienne dans la péninsule, Mosaï-
lima provoqua contre V Islamisme une formidable insur-
rection qui, durant trente années mit en péril son exis-
tence même. En réalité, l'hérésie mahdiste esta quelques
années près, contemporaine de l'hégire; la doctrine que
Mahomet venait prêcher à ses compatriotes était grosse
PllÉFACB VII
des révolutions qui durant quatorze siècles n'ont cessé de
bouleçerser VIstamisme; on peut ajuste titre regarder
Mosaïlima comme le précurseur de ces Prophètes^ qui
crurent, et non sans raison, qu'il ne manquait pas,
même après la mission du fils d'Amina, de choses à
améliorer dans ce bas monde.
Si les tribus arabes dont Vidéal religieux n'açait jamais
été bien élevé, se montrèrent aussi rebelles aux doctrines
anti'messianiques de Mahomet, on pense comment ces
théories furent accueillies chez les Persans, chez les
Chrétiens elles Juifs qui par force plièrent le col sous
le joug musulman. Comme il leur était à peu près impos-
sible, dès qu'ils V eurent reçue, de sortir ctune confession
oity depuis quatorze siècles, T apostasie est un fait à peu
près inconnu, ils se mirent à Venvi à la modifier pour y
faire entrer leur théorie messianique, si bien que le
dogme musulman fut complètement transformé et que
les Prophètes se succédèrent avec une rapidité incroyable
dans un monde où Mahomet avait eu la prétention d'être
le dernier envoyé céleste.
Il n'est pas sans intérêt de rechercher à quelle civilisa-
tion rislamisme naissant est allé emprunter sa théorie
messianique. Dans une Conférence dont il a publié le
texte en j885 sous le titre de « Le Mahdi depuis les ori-
S'nes de Tlslam jascju'à nos jours (i) », mon maître James
armesteter a déjà indiqué les grandes lignes de la
question et il a montré que le Mahdismefut un emprunt
a la Perse sassanide. Le cadre forcément restreint dans
lequel il était obligé de se tenir ne lui a pas laissé la
liberté de traiter ce problème avec tous les développe^
ments nécessaires et la mort Va empêché de reprendre
cette étude, Vune des plus importantes de celles qui
touchent à l'histoire religieuse de l'Iran.
Tai été amené, en étudiant les doctrines ésotériqaes des
Mystiques de l Islam, à m'occuper à mon tour de cette
question du Mahdisme : bien qu'elle forme l'un des
points essentiels des croyances des Soufis,on n'en trouve
qu'assez peu de traces dans les ouvrages d'Ésotérisme, au
moins dans ceux qui sont arrivés jusqu'à nous. En réa-
lité^ les Soujis qui tenaient à rester, au moins d'une façon
(i) Conférence du aSf écrier i885, faite à la Sorbonne devant
VAsaociation scientifique de France; Paris, Leroux.
X PRÉFACE
Le temps que Von passe à étudier ces théories ^ auprès
desquelles les doctrines du Kantisme sont d'une simpli-
cité enfantine et que les abstracteurs de quintessence de
Rabelais n'auraient jamais rêçéesy n'est point si perdu
que certains esprits veulent se le fi^rer. Il est eçident
que considérées pour leurçaleur intrinsèque, ces théories,
malgré leur admirable construction, reïeçent souvent de
la pathologie cérébrale; mais n'est-ce pas là le cas de
presque tous les systèmes enfantés par les philosophes
pour expliquer Vinexulicable, le mystère de ta çie et des
destinées humaines r Mais ces doctrines que l'on taxe
trop volontiers de folies et d'aberrations mentales, ont
une importance primordiale en ce sens que seules elles
permettent d'étudier l'épolution de l'Islamisme et de
' remonter aux sources d'oà dériçe sa métaphysique. Si
l'on ne trouve presque rien d'original dans la philoso-
phie et dans VÉsotérisme de l'Islam, c'est déjà un grand
point de constater d'une façon certaine que ces œuvres
où Von sent encore passer le souffle de VHellénisme,
sont la continuation historique de celles qui virent le
jour sous le ciel de VAttique,
Ces doctrines abstruses et souvent plus qu'à demi
incompréhensibles prennent une singulière importance
quand Von pense que le Mojyen-Age occidental et jusqu'à
un certain point le monde de la ttenaissance, ont fait à
V astrologie et aux pratiques divinatoires une place réel-
lement exagérée dans la nomenclature de leurs sciences.
L'occultisme de ces époques, comme une grande partie de
leur philosophie, n'avait pas d'autre origine que les traités
arabes qui furent traduits ou interprétés en hébreu dans
les pays où V Islamisme et le Judaïsme se trouvèrent en
contact. (Test ainsi que Von retrouve chez Spinoza et
chez les philosophes qui ont adopté ses doctrines de
nombreuses traces des théories qui ont été inventées par
les Musulmans.
Saint-MickeUeri'GrèQef Mars igoa.
connaître en même temps la langue arabe Je craindrais de
perdre le sens si f allais m.*abimer dans l'étude de certaines classes
de ces mots, dans la terminologie alambiquée des Soufis par
exemple. C*est une tâche que je laisse volontiers à d'autres, » Je ne
sais au juste ce que Von penserait de Vauteur d'un dictionnaire
allemand qui déclarerait qu'il a omis le vocabulaire philosophique
de Kant et de Hegel de peur de finir aux Petites-Maisons.
LE MESSIANISME
Quand Mohammed mourut, le treizième jour du pre-
mier mois de la onzième année de F hégire, après un
apostolat de vingt ans qui n'avait connu ni trêve ni repos,
les Musulmans furent très embarrassés pour lui donner
un successeur. Le Prophète ne laissait point de testament
écrit; il s'était borné à déclarer devant Abou-Bekr que le
peu de biens qu'il possédait devait retourner à la commu-
nauté musulmane et que ses femmes n'avaient point le
droit d'en hériter; on ne sait s'il avait désigné, à Tinsu du
peuple, celui qui devait lui succéder (i); il est bien invrai-
semblable qu'il Tait fait, car il n'avait aucun intérêt à agir
ainsi, et celui sur lequel se serait porté le choix de Mo-
hammed n'aurait pas manqué de s'en prévaloir bien haut
au lendemain de sa mort. Il est très difficile de savoir
quelle idée le Prophète se faisait de la transmission du
pouvoir qu'il prétendait tenir d'Allah, et comment il en
considérait la succession ; ce pouvoir n'était point seule-
ment spirituel, puisque non content de révéler aux
hommes le culte du vrai Dieu, il avait toujours eu pour
but de les grouper autour de lui et d'en faire une seule et
(i) Makrizi raconte que du temps d*Ali parut Abd- Allah, iils de
Wahhab et surnommé el-Saba, qui enseigna que Mahomet avait
légué Vimamat à Ali» ûls d*Abou-Taleb (De Sacy, Exposé de la
Religion des DruzeSy Introd,, p. XIV); il est presque certain que
cet individu prétendait cela pour se faire bien venir d*Ali; il
ajoutait qu'Ali et Mahomet reviendraient après leur mort. 11
parait que c'est à ce personnage que remonte l'origine du dogme
de la disparition de Tlmam, c'est-à-dire du Mahdisme, tel qu'il
était enseigné par les missionnaires des Fatimites.
immense nation (i); la partie temporelle du pouvoir qu'il
exerçait ainsi pouvait évidemment se transmettre à un suc-
cesseur quelconque, mais en était-il de même pour sa
partie spirituelle, de beaucoup la plus importante et sans
laquelle l'autre n'aurait pas existé un seul instant? La
légitimité de la transmission de son double pouvoir spi-
rituel et temporel n'aurait guère été contestable, si l'un
de ses cinq fils (2) avait vécu pour le recueillir, tandis
que des contestations étaient inévitables entre ses collaté-
raux. Les historiens arabes des premiers temps de l'hé-
gire ne font peut-être pas un récit bien exact de ce qui se
passa immédiatement après la mort de Mohammed, et il
semble qu'ils ont fait volontairement le silence sur des
scènes de violence dont Médine l'illuminée fut alors le
théâtre, et qui n'honorent en rien les premières heures de
l'Islamisme, Les contestations durent être assez vives,
car beaucoup de Musulmans, doutant de l'avenir de leur
religion, se montraient déjà disposés à retourner à leurs
anciennes croyances. Deux hommes se trouvaient en
présence, qui avaient des droits incontestables, mais iné-
gaux, à l'imamat (3) : Ali, fils d'Abou-Talib, qui avait
(i) Malgré cela, le pouvoir des quatre premiers khalifes, des
khalifes orthodoxes, comme les appellent les historiens musul-
mans, fut beaucoup plus spirituel que temporel ; il est certain que
dans de telles conditions, l'Islam n'aurait pas tardé à se dislo-
quer et à se diviser en petites unités de races ou plutôt géogra-
phiques. Ce n'est qu'avec l'avènement du premier khalife omey-
yade, Moaviyya, lils d'Abou-Sofian, que cet empire théocratique
revêt une forme politique et militaire qu'il ne perdra plus.
(2) Quatre d'entre, eux eurent pour mère sa femme Khadidja, ila
s'appelaient Easem, Tayyib, Taher et Abd-Allah ; un autre nommé
Ibrahim naquit de Marie la Copte, qui avait d'abord été sa concu-
bine et qu'il épousa plus tard. Peut-être est-ce par suite de la dou-
leur que lui causait la perte de ses cinq fils que le Prophète ne
voulut point choisir son héritier parmi les membres de sa famille
qui avaient chance de lui survivre, laissant aux Musulmans le soin
de faire ce choix; en tout cas ce fut de sa part une très grave
imprudence.
(3) Vimamat est la dignité d'îmam. Tous les khalifes portent le
titre d'imam qui signifie c celui qui marche à la tête d'une troupe
épousé Fatima, la fille chérie du Prophète, et Abou-Bekr(i)
son beau-père. Tous les deux avaient rendu les plus grands
services à Tlslam qui, sans leur concours, n'aurait pu vivre
un instant, mais il est certain que les mérites dufilsd'Abou-
Taleb l'emportaient de beaucoup sur ceux dont Abou-Bekr
pouvait se prévaloir. Si Mohammed avait été la tête de
l'Islam, Ali en avait été le bras durant de longues années, .
et il aurait été juste qu'il en fût récompensé par le pouvoir
suprême. Ces considérations n'arrêtèrent longtemps, ni
les Musulmans, ni Abou-Bekr, qui se déclara le succes-
seur de Mohammed et qui prit le titre de khalifa résout
Allah : « vicaire du Prophète d'Allah ». .
Ali ne devait arriver au Khalifat que vingt-neuf ans
après ces événements, en l'année 655 de l'ère chrétienne,
et son règne de quatre ans ne fut qu'une série de cala-
mités; il fut assassiné à Koufa en 66i par un partisan
des Omeyyades, laissant le trône à son fils Hasanqui périt
misérablement, huit années plus tard, empoisonné par
l'une de ses femmes.
Le Khalifat orthodoxe avait vécu et l'omeyyade
Moaviyya, fils d'Abou-Sofian, monta sur le trône à
Damas, fondant ainsi l'une des dynasties les plus glo-
rieuses qui aient jamais régné sur les Musulmans.
La famille d'Ali et les nombreux partisans qu'elle
comptait dans l'Irak et en Perse ne crurent pas que leur
d*hommes » ; il s'en suit qu'au point de vue politique comme au
point de vue religieux, khalifat et imamat sont deux synonymes. Ce
terme d'imam a iini par perdre beaucoup de sa valeur, il désigne
celui qui fait la prière du Vendredi et qui prononce la khotba ou
prône, puis tout personnage dont les occupations et les travaux
portent sur la religion et qui s'est distingué par son savoir et l'aus-
térité de ses mœurs.
(i) Abou-Bekr s'appelait primitivement Abd-el-Kaab^ « le seiv
viteur d'Aphrodite »; quand il se convertit à l'Islamisme, très peu
de temps après Khadidja et Ali, il changea ce nom païen en celui
d'Abd-Allah a serviteur d'AUah », et quand il eut donné sa iiile
Alsha à Mohammed, il prit le titre d'Abou-Bekr, « le père de la
vierge », nom sous lequel il est universellement désigné par tous
les historiens et hagiographes musulmans.
- 4 -
rôle fût désormais fini dans Tlslam. et ils firent tout ce qui
était en leur pouvoir pour renverser les Omeyyades; mais
ils n'arrivèrent pas à triompher d'un parti aussi puissam-
ment organisé que celui des khalifes de Damas, et il
semble que les Musulmans de TOuest considéraient déjà
les Alides comme le parti de l'étranger, presque comme
des hétérodoxes. On va voir qu'ils n'avaient point tout
à fait tort et que certainement, il y avait dans le parti alide
un élément anti-musulman dont on ne saurait nier l'im-
portance.
C'est ainsi que 29 ans après la mort du Prophète, l'Islam
se trouva brisé en deux tronçons qui ne devaient jamais
se rejoindre : le Shïisme alide qui se réfugia en Perse, le
pays le plus intellectuel de toute l'Asie, et le Sunnisme
des Omeyyades et des Abbasides. L'histoire des luttes de
ces deux grandes fractions de l'Islam n'est en définitive
que celle de la rivalité du génie iranien et de l'esprit
sémitique, mis en présence par la bataille de Nihavend
dans les dernières années de la dynastie sassanidc.
Les Alides et leurs partisans n'essayèrent point de fonder
un Khalifat indépendant de celui de Damas ; c'était une
entreprise trop hasardeuse à une époque où tout le monde
musulman était encore réuni sous un même sceptre, et où
la disloyalty qui devait être si fréquente plus tard, était
encore inconnue, ou à peu près. Malgré leur remarquable
organisation politique et la propagande effrénée qu'ils ne
cessèrent de faire dans tout l'Islam, les Alides s'aperçurent
bien vite que la tâche était au-dessus de leurs forces ; la
Perse d'où venait l'essence de leur doctrine ne pouvait
encore leur donner asile, car la conquête avait été trop
brutale pour qu'elle pût se ressaisir avant quelques siècles,
et les dynasties qui allaient se succéder dans l'Iran jus-
qu'aux Deîlémites furent, au moins en apparence, les plus
fermes soutiens du Khalifat abbasside de Bagdad.
Ce ne fut que bien longtemps après ces événements,
quand des siècles eurent passé sur le tragique souvenir de
Koufa et de Kerbéla, que les Shïites fondèrent en Egypte
un puissant empire qui mit en péril l'existence du Khalifat
— 5 —
sunnite des Abbassides et qui ne tomba qu'au milieu des
troubles et des révolutions provoqués en Orient par la
première Croisade. Quant à la Perse, il lui fallut attendre
le règne du sultan mongol Euldjaïtou pour que le Shïisme
devint sa religion nationale.
Il serait très curieux d'étudier la vie intime et l'organi-
sation politique des communautés, on oserait presque dire
des comités alides, en Perse et dans tout le monde de
rislam, où ils n'ont cessé pendant près de quatorze siècles
de fomenter des révolutions en soudoyant tous les mécon-
tents. Il ne l'est pas moins d'étudier comme nous allons le
faire dans les pages suivantes, l'étrange fiction religieuse
de Vimamat shîite dont les origines sont mazdéennes, et
de rattacher toutes les sectes de l'hétérodoxie musulmane
à la théorie de l'imam caché des Alidês, c'est-à-dire en fin
de compte, au Messie des adorateurs du feu, prototype du
Messie du Judaïsme.
II
Presque toutes les sectes l^hïites, même celles dont la doc-
trine et les prétentions sont le plus avancées, reconnais-
sent qne Fimamat passa de Hose'in à son fils, le quatrième
imam, Ali-Zeïn-el- A.bidin ; il n'y a guère, comme on le verra
dans la suite, qu'une secte qui fasse exception à cette règle.
Or, la mère d' Ali-Zeïn-el- Abidin, épouse d'Hoseïn, fils
d'Ali, était au témoignage de tous les historiens musul-
mans, une princesse de la famille des Sassanides, la pro-
pre fille de l'infortuné Yezdégerd. La mère du huitième
imam, Ali-er-Ridha, fut également une persane, mais c'est
un fait qui n'a aucune importance pour les sectes difieren-
tes de r « Jmamisme aux douze imams » ; rien ne dit d'ail-
leurs qu'elle fut apparentée à la famille royale qui gou-
verna la Perse pendant quatre siècles ; de plus, cet imam
étant postérieur à Djaafer-es-Sadik, n'est reconnu comme
légitime, ni par les Ismaïliens, ni par beaucoup d'autres
sectes moins importantes. De ces deux faits, le seul qui ait
une réelle importance est le premier ; on sait qu'il a toujours
été dans la politique des princes orientaux qui étaient
appelés à monter sur le trône, non par une succession
légitime, maispar suite d'une conquête, d'épouser une prin-
cesse de la dynastie déchue ou de la donner en mariage à leur
héritier présomptif. Ce procédé qui serait presque impos-
sible en Europe est très pratique en Asie où la polygamie
permettrait, le cas échéant, d'épouser toute une série de
princesses, dernières représentantes de leur dynastie, et
par conséquent d'acquérir tous leurs droits royaux.
Que le conquérant fût le souverain d'un autre état ou
que, sorti des rangs les plus infimes de la société, il se soit
élevé au pouvoir impérial, son union avec la fille du prince
détrôné, seule ou presque seule héritière de la monarchie,
en faisait immédiatement le souverain légitime des états
sur lesquels les ancêtres de son épouse avaient régné. En
faisant épouser à son fils Hoseîn la fille de Yezdégerd,
le khalife Ali n'eut pas d'autre intention que de faire de
ses petits-fils les descendants incontestables des Sassa-
nides, et de leur réserver ainsi le moyen de réclamer le
trône de Perse et l'empire du monde comme héritiers
légitimes du vaincu de Nihavend. C'est en invoquant le
même principe politique, 'ju'à l'aube du xx« siècle, les
grands princes de Moscou, devenus successivement tsars
de Moscou et autocrates de toute la terre russe, se consi-
dèrent comme les héritiers des Césars de Byzance (i),
parce (Jue le grand prince Vladimir Monomaque (ioi5)
épousa Anna, sœur des deux empereurs Basile et Cons-
tantin Porphyrogénète et qu'en 1472, Ivan III se maria
avec Sophie, fille de l'empereur Thomas Paléologue (a).
Les Shïites persans appartiennent à la secte desimamis
appelés en arabe Ethna 'ashari, « les Duodécimains i>,
parce qu'ils reconnaissent douze imams, dont les trois
premiers sont Ali, Hasan, Hoseîn (3) et le quatrième Ali,
(i) a Sa prétention (à la Russie) dès les temps les plus anciens,
fut de réunir à elle tous les peuples qui avaient sa croyance, ou
d'hériter du pouvoir religieux de Constantinople et de rétablir
l'empire d'Orient au profit des tsars de Moscou. ^
Pierre le Grand ne possédait encore qu'un état sauvage, sans
ports, sans armées, sans finances; il avait devant lui la Suède,
la Pologne, la Turquie, qui interdisaient à la Russie la vie euro-
péenne ; enfin il n'avait pas encore un pouce de terre sur les
bords du Pont-Euxin, qu'il intriguait déjà par toute la Grèce,
remuant les peuples de race slave, combattant sourdement Tin-
fluence de la France sur les chrétiens orientaux, minant l'empire
ottoman ». (Lavallée, Histoire de Turquie),
(a) C'est à partir de cette époque que les tsars ont adopté comme
armoiries l'aigle byzantine à deux]tête8 que l'on retrouve encore sous
sa forme archaïque au Granoifitaîa Palata, au Kremlin de Moscou.
Le petit-fils divan III, Ivan IV Vassiliévitch le Terrible, prit en
i547 le titre de tsar comme héritier de l'empire de Byzance qui
venait d'être détruit par les Turcs osmanlys.
(3) J'emprunte ces quelques détails sur les Imams à la célèbre chro-
nique de Mirkhond intitulée Rauzet-el-Séfa ; ils ne forment qu'un
très bref résumé de leur histoire que l'on pourrait considérable-
ment étendre à l'aide des traités spéciaux écrits soit en arabe, soit
— 8 —
fils d'Hoseïn, surnommé Zeïn-el-Abidiu(i); il se nom-
mait Abou-Mohammed, Abou'-l-Hasan, Abou'-l-Kasem et
Abou-Bekr et portait les titres de Seyyid-el-Abidin (a) ou
deZeïn-el-Abidin; samèreShehrbanou, ousuivantd^autres
Shehrbanouyèh (3), était, comme on vient de le voir, la
fille de Yezdégerd, le dernier souverain sassanide. L'auteur
du livre intitulé la « Prairie verdqxante des hommes
pieux (J^) », raconte que le khalife Ali avait envoyé Haris,
fils de Djaaber-el-Hanéfipour gouverner quelques-unes des
provinces de l'Orient et que ce général en ramena la fille
de Yezdégeini qu'il offrit comme esclave à son maître.
Celui ci la donna à son fils Hoseïn; une autre fille de Yez-
dégerd, nommée Kiyanbanou (5) fut également ramenée
en persan ; mais je doute que cela en vaille la peine ; de plus je n'ai
point Tintention de faire ici l'histoire complète de l'imamat alide
Dans tous les historiens musulmans, ces personnages ne sont que
des ombres qui vivent parallèlement, comme des doublures, au
Khalifat omeyyade et abbasside, sans influer en rien sur son évo-
lution et sans rien apporter à la vie de llslam ; il est très possi-
ble que cet elTacement et cette ténuité des imams alides ne soient
qu'un mirage causé par la lecture d'écrivains qui ont tout fait
pour décapiter leur histoire ; cela est même probable, mais comme
nous n'avons de renseignements que par eux, ces personnages ne
sortiront jamais de la pénombre dans laquelle nous les voyons
s'agiter confusément. Je me suis servi d'un manuscrit du tome III
de Mirkhond, conservé à la Bibliothèque Nationale sous le n^ i52 c.
(i) V <r ornement des adorateurs d'Allah ».
(s) Le <r prince des adorateurs d'Allah ».
(3) Le premier élément de ce nom propre est certainement le
même que celui qui se trouve dans Shehrzade, nom de la célèbre
conteuse des Mille et Une Nuits, autrement dit Cithra; banou en
persan signifie dame, princesse.
(4) Ou (T Printemps des Gens i)ieux », nébi-el-ébrar ; c'est un
traité arabe bien connu écrit par le célèbre Djar-AlIah-el-Za-
makhshari; il contient des anecdotes sur toutes sortes de sujets.
(3 Kiyanbanott est composé des deux mots kiyan et banou; on
vient de voir (note 3) que banou signifie princesse; quanta kijran
ou kajran, c'est l'ethnique de kat qui désigne un des souverains de
la seconde dynastie légendaire de la Perse, les Kéanides; Kiyan-
banou signifie donc « la princesse Kéanide » ou simplement a la
princesse royale, la fille de Perse» comme on disait la fille de France.
— 9 —
par Haris et donnée par Ali à Mohammed, ûls d*Abou-
Bekr-el-Siddik, cousin de Zeîn-el-Abidin.
Les historiens musulmans ne sont point d'accord sur
Tépoque à laquelle naquit Timam Ali-Zeïn-el-Abidin ; elle
Tarie du i5 Djoumada second de Tan 38 ou 3g au 9 Shaaban
de l'an 33 de Thégire.
La reconnaissance d'AIi-Zeïn-el-Abidin comme imam
n'alla point toute seule; son oncle Mohammed, fils de la
Hancfitc (et fils d'Ali), cherchait depuis longtemps à s'ap-
proprier l'imamat aux dépens de Hoseïn et de ses descen-
dants ; on va voir que la secte qui s'était formée autour de
lui avait rapidement pris une certaine consistance et
qu'elle aurait pu mettre en danger l'existence de l'imamat
des Hoseînides. Ce n'est pas ici l'endroit d'examiner les
causes multiples qui firent échouer les projets du fils de
la Hanéfite; il suffira de dire qu'un jour, Zeïn-el-Abidin
eut à la Mecque une discussion avec son oncle. Ce dernier
prétendait qu'il était le plus digne d'être revêtu de la
dignité de successeur du Prophète, parce qu'il était le fils
d'Ali. Zeîn-el-Abidin lui répondit que ces paroles étaient
une offense à Allah, car tous ceux qui étaient destinés à
l'imamat étaient désignés par la Pierre Noire de la Kaaba.
On voit que malgré tout ce que le Prophète avait fait pour
anéantir la croyance aux idoles, la Pierre Noire était restée
un de ces bétyles mystérieux qui furent les premières divi-
nités, les Elohim (i) des Sémites, comme elles le furent
pour les Hellènes (2), au même titre que chez les sauvages
de l'Afrique centrale.
(i) Il existe à la Kaaba une échelle ou plutôt un escalier, qui mène
au ciel et un autre qui sert aux Anges à descendre sur la terre ; cette
échelle rappelle singulièrement celle dont il est question au cha-
pitre XXVIII de la Genèse. Il y est raconté que Jacob se rendant
à Harran arriva dans une localité où il vit en songe une échelle
posée sur la terre, et dont le sommet touchait au ciel, il érigea une
pierre dans cet endroit qu'il appela Beth-El, «maison de Dieu».
(a) Il est très probable que la civilisation de la portion de la
côte de TAsie-Mineure qui est située juste en face de l'Europe, ne
devait pas à Tépoque antéhomérique différer sensiblement de celle
de la iîrèce continentale; or il est certain que les populations des
— lO —
A cette époque, la Pierre Noire était encore une divi-
nité que Ton consultait comme les anciens oracles de la
Hellade. On conçoit pourquoi, en 819 de Thégire, les
Karmathes enlevèrent de la Mecque cet énorme bloc de
pierre (i) : c'est qu'il était le palladium de l'Islam et qu'en
même temps que lui, ils emportaient sa vie (2).
Mirkhond raconte que Zeïn-el-Abidin dit à Mohammed,
premières villes qui furent exhumées par Schliemann sur la colline
d'Hissarlik» qu'on y veuille reconnaître les Troyens ou tout autre
groupe ethnique, adoraient des idoles de pierre à peine taillées,
sans bras ni jambes, et présentant tout juste le contour apparent
du buste d'un être humain.
(i) Ala-ed-Din-Ata-Mélik-el-Djouveïni raconte dans le DJihan-
Kusha (ms. supp. persan 2o5, fol. 167 verso) que les souverains
musulmans offrirent 100 000 dinars ou pièces d'or aux Karma-
thes pour qu'ils rendissent la Pierre Noire, mais qu'ils refusèrent
absolument d'accepter cette transaction. Vingt-cinq années après
l'avoir enlevée, ils rapportèrent la Pierre Noire à Koufa et la jetè-
rent dans la mosquée, après y avoir attaché une feuille de papier
sur laquelle étaient tracées ces lignes : « Nous l'avons emportée
par ordre, c'est par ordre que nous la rapportons. » La Pierre
Noire d'ailleurs n'a jamais eu de chance avec les Shïites ; Aboù'-l-
Mahasen raconte dans son Histoire d'Egypte (ms. ar. 1777, fol.
i85 V») qu'en l'année 4i3, sous le règne du khalife fatimite el-
Thâher-li-izâzi-dîn-Iilah, un individu qui était partisan des théo-
ries insensées du khalife el-Hakem-bi-amr-Allah, s'étant rendu à
la Mecque, frappa la Kaaba d'un coup de sa masse d'armes en
pleine cérémonie de pèlerinage, ce qui en détacha un fragment.
Cela provoqua une émeute au cours de laquelle la caravane
d'Egypte fut assaillie, de telle sorte que beaucoup de pèlerins de
cette contrée périrent sous les coups des Mekkois.
(a) Aujourd'hui encore, le sultan de Constantinople, successeur
des khalifes et vicaire des deux sanctuaires, envoie a la Mecque un
rideau d'étoffe précieuse brochée d'or dont on i*evét la Kaaba. On
peut arriver à déterminer les attributs de la divinité qu'elle
représentait avant l'Islamisme; c'était une divinité féminine
comme l'indique suflisamment la forme du mot kaaba. J'avais
l'intention de donner sur ce point quelques détails en appendice;
mais cette question, fort importante pour l'histoire religieuse de
l'Arabie antéislamique, mérite d'être traitée à part. En consé-
quence, on trouvera ce mémoire dans les deux premiers fasci-
cules de Tannée 1902 de la Revue de Philologie et de Linguistique
dirigée par M. Vinson et éditée par la librairie J. Maisonneuve.
— II —
fils de la Hanéfite, d'interroger la Pierre Noire, et que
celui-ci l'ayant fait, elle ne lui répondit point; Zeïn-el-
Abidin dit alors : a O Pierre Noire! par la vertu des
pactes des Prophètes qui ont été conclus sur toi et qui
t'ont yalu un tel degré de noblesse, je te conjure de me
dire en bon arabe qui sera l'imam après la mort d'Hoseïn,
fils d'Ali I » La Pierre Noire s'agita immédiatement comme
si elle voulait tomber et une voix répondit que l'imamat
revenait à Ali, fils d'Hoseïn. Ce miracle fit que Moham-
med, fils de la Hanéfite, reconnut le titre d'imam à Ali.
Il est probable que les choses ne furent point si simples
que le raconte l'historien persan et que Zeïn-el-Abidin
avait des arguments plus tangibles à faire valoir. Mir-
khond rapporte d'après un nommé Zahr, qui vivait à
cette époque, que Zeïn-el-Abidin fut en butte à la haine
du khalife Abd-el-Méiik, fils de Mervan, qui le fit charger
de chaînes et jeter en prison. « Je demandai, dit Zahr, la
permission de le visiter et ses gardiens m'y ayant auto-
risé, j'entrai dans la cellule où il se trouvait ; l'ayant vu
dans cet état, je fondis en larmes. — Pourquoi, m'écriai-je,
ne puis-je prendre ta place pour que tu sois en liberté! —
Tu te figures, Zahr, me répondit l'imam, que je souf&e
d'être ainsi chargé de chaînes ; mais toutes les fois que je
le veux, mes liens tombent ». Un jour les gardiens ne le
trouvèrent plus dans sa prison et ils n'aperçurent que
ses chaînes, sans qu'il leur fut possible de s'expliquer com-
ment il avait pu disparaître puisqu'ils n'avaient pas cessé
de faire bonne garde.
Le khalife Abd-el-Mélik-ibn-Mervan raconta qu'à l'heure
même où il était disparu de sa prison, l'imam s'était pré-
senté devant lui et lui avait demandé pour quelle raison
il l'avait ainsi traité ; le khalife l'ayant prié de reconnsdtre
sa suprématie religieuse, Zeïn-el-Abidin n'y voulut point
consentir et disparut.
Il mourut le dix-huitième jour du mois de Moharrem
de l'année 94 ou g5 de l'hégire, sous le khalifat d'el-Wélid,
fils d' Abd-el-Mélik, fils de Mervan, et il eut pour successeur
son fils, le cinquième imam, Mohammed, fils d'Ali, gêné-
— 12 —
ralement connu sous le nom de Mohammed-Baker, qui
naquit à Médine en l'an 5o de Thégire, le Vendredi j^remier
jour du mois de Redjeb ou, suivant d'autres, le trois du
mois de Safer ; sa mère se nommait Oumm-Abd- Allah et
elle était la fille du khalife Hasan, fils d'Ali. Cet imam fai-
sait des miracles qui se rapprochent beaucoup plus de ceux
du Christ que de ceux de Mohammed. Un certain Abou-
Basir, qui était frappé de cécité, raconte qu'il dit un jour
à l'imam Mohammed-Baker : « Vous êtes le descendant du
Prophète? — Certainement, me répondit-il.— Je continuai :
Le Prophète avait hérité de la science de tous les Pro-
phètes antérieurs ? — Oui, me dit l'imam. — Et vous avez
hérité de toutes les sciences du Prophète ? — Par la grâce
du Dieu très haut, j'en ai en effet hérité, me répondit-il.
— Vous avez alors la puissance de ressusciter les morts,
de rendre la vue aux aveugles et la santé aux lépreux ?
— Certainement, par la permission d'Allah. — Il ajouta :
Approche-toi de moi, Abou-Basir ». — Quand je fus tout
près de lui, il me mit la main sur les yeux en disant :
« O Dieu parfait ! »; il retira alors sa main et mes yeux
devinrent clairvoyants ; il plaça une seconde fois sa main
sur mes yeux qui se retrouvèrent dans leur premier état. »
L'imam offrit ensuite à l'aveugle de lui rendre définitive-
ment la vue à la condition de laisser son sort à la décision
de Dieu, tandis que s'il gardait son infirmité, il serait sûr
d'aller au Paradis. Abou-Basir choisit la seconde de ces
deux alternatives.
L'imam Mohammed-Baker mourut en l'an io4 à l'âge de
cinquante-sept ans.
Le sixième imam est le célèbre Djaafer-el-Sadik, fils de
Mohammed, fils d'Ali, fils d'Hose'in. Ce personnage est le
plus célèbre de tous les imams alides ; il passe dans tout l'Is-
lam pour avoir inventé plusieurs méthodes de divination
qui sont répandues même dans les pays sunnites. Il s'appe-
lait Abou-Abd-AUah et sa mère se nommait Oumm-Fer-
dèh ; elle était fille de Mohammed, fils d'Abou-Bekr-el-Sid-
dik. Djaafer-el-Sadik naquit à Médine en Fan 3o ou 33 de
— i3 —
l'hégire (i). Cet imam était très versé dans les différentes
sciences et il se distinguait par Texcellence 4e ses mœurs.
Le khalife abbasside Abou-Djaafer-el-Mansour ordonna
un jour qu on lui amenât Fimam et quand il fut présent, il
lui dit que comme il savait qu'il méditait de le faire tuer
et de s'emparer de son empire, il serait obligé de le faire
condamner à mort; Djaafer-el-Sadikne dut qu'à son esprit
de se tirer de ce mauvais pas ; il n'était d'ailleurs pas assez
téméraire pour avoir un tel dessein. Il composa un traité
de sciences plus ou moins magiques qui a une grande célé-
brité en Orient et qui est connu sous le nom de Kitab el-
djefr\ Ali-Murtida, fils de Fimam M ousa-el-Ridha, disait
que l'on pouvait connaître à l'aide de ce livre tous les évé-
nements depuis la création jusqu'au jour de la résurrection ;
il y avait deux sortes de djefr ou livre de divination, le
djefr rouge et le djefr blanc. Un nommé Abou'-l-Kliattab
afiirma que non seulement Djaafer-ei-Sadik était Fimam,
mais qu'il était également Dieu. Djaal'er, qui avait plus de
scrupules que n'en eut plus tard le Fatiraite el-Hakem-bi-
amr-AUah et les Soufis repoussa cette assertion avec hor-
reur et dit : « Qu'il soit maudit, lui et ses partisans! » (a)
L'imam Djaafer-el-Sadik mourut au mois de Shavval de
Fan i48 de Fhégire, sous le khalifat d' Abou-Djaafer-el-
Mansour, à l'âge de soixante-cinq ans.
Le septième imam est son fils Mousa-el-Kazem ; il
naquit dans une localité nommée Abou-Atfan, qui se trouve
enti'e la Mecque et Médine, au mois de Safer de l'année
ia8; il s'appelait Abou'-l-Hasan, Abou-lbRahim ou Abou-
Abd-AUah et on le surnomma el-Kazem (celui qui retient
sa colère) ; sa mère se nommait Hamidèh. Abou-Moham-
med-Hasan, fils de Mohammed, fils de Yahya, descendant
(i)Le Tezkerét el-evlia ou Mémorial des Saints, de Férid-ed-Din-
Attar donne de nombreux renseignements sur cet imam regardent
comme l'un des ancêtres de la secte des Souils. Je ne crois pas utile
de les donner ici, car on les trouve pour la plupart dans la traduc-
tion du Tezkérèh'i évita ouïgour de Pavet de Gourteille. Paris, 1889.
(a) Ala-ed-Din-Ata-Mélik-Djouveîni, DJikan^Kusha, ms. supp.
Persan aoS, folio 157 v«.
- i4 -
d'Ali, raconte qu'un descendant d'Omar insulta un jour
Timam Mousa et qu'il parla avec mépris du khalife Ali ;
plusieurs des personnes qui se trouvaient avec l'imam
Mousa lui demandèrent la permission de le tuer; non
seulement il ne voulut point "y consentir, mais il traita
généreusement l'homme qui avait proféré ces insultes.
Peut-être d'ailleurs, y avait-il dans cet acte comme dans
bien d'autres qui sont rapportés par les historiens musul-
mans, autant de politique que d'humanité, peut-être même
plus. Onrapporte que Mohammed-ibn-Djaafer-el-Mansour,
autrement dit le khalife el-Mehdi, fit transférer l'imam
de Médine à Bagdad et le fit mettre en prison; il lui
rendit sa liberté au bout de quelque temps, et lui donna
une somme de mille dinars à la suite d'un songe qui
l'avait fort effrayé et dans lequel Ali lui était apparu ;
il le fit reconduire à Bagdad par son chambellan Rébi.
L'imam Mousa parait avoir vécu pendant quelque temps
en assez bons termes avec les Abbassides qui le trai-
taient avec honneur. Mirkhond raconte en effet, d'après
un certain Ayyoub-ibn-el-Hoseïn-el-Hashimi, qu'il assistait
à des soirées (medjlis) données par le khalife Haroun-er-
Réshid. Néanmoins, comme il inspirait des craintes d'ail-
leurs justifiables, au Khalifat abbasside^^n se débarrassa
de lui par lepoison ; il mourut en i83 de l'hégire à Médine.
On raconte que lorsque Fimam fut empoisonné, il dit :
« Aujourd'hui on m'a donné du poison, demain mon corps
sera jaune, après-demain il sera rouge et le jour suivant,
noir; ce jour-là je mourrai. » Tout ce que l'imam avait
ainsi prédit se trouva exact. Pour bien montrer qu'il était
mort et faire croire au peuple qu'il avait été la victime d'un
accident, on transporta son corps au bord d'un pont sur le
Tigre, et on l'exposa ainsi pour bien montrer que son corps
ne portait aucune trace de violence. Il fut inhumé dans les
tombeaux des Hashémites. D'après l'auteur de la Prairie
verdoyante des hommes pieux, il avait vécu quai*ante-cinq
ans.
Le huitième imam fut son fils Ali-ibn-Mousa-el-Ridha,
dont le tombeau, comme le dit Mirkhond, est visité par
— i5 -
une foule immense de pèlerins venus des quatre coins du
monde musulman ; on l'appelle également el-Ridha ou el-
Murtidha. 11 naquit à Médine en l'an i48 de l'hégire, la
onzième nuit du mois de Dhou'-l-Kaada de l'an i53, suivant
d'autres autorités. La mère de l'imam Mousa-el-Kazem
avait acheté plusieurs jeunes filles persanes qui apparte-
naient aux meilleures familles du pays; une nuit, elle eut
un songe durant lequel elle entendit Mohammed lui or-
donner de donner l'une d'elles en mariage à son fils ; cette
personne se nommait Nedjmèh-Tahérèh. La naissance
d' Ali-el-Ridha fut annoncée par des signes qui tiennent du
prodige : sa mère raconta que durant tout le temps qu'elle
avait été enceinte de lui, elle n'avait ressenti aucune gêne
et que lorsqu'elle dormait, elle entendait sortir de son
sein une voix qui chantait les louanges d'Allah.
Quoiqu'étroitement surveillés par la police des khalifes
abbassides qui voyaient avec raison en eux un danger
immédiat et de tous les instants pour leur dynastie, les
Alides n'en étaient pas moins arrivés par leurs intrigues
continuelles à fortement ébranler l'autorité du Khalifat
orthodoxe. Les révoltes provoquées par les descendants
de Fatima rendirent un moment sa situation assez cri-
tique pour que, sous le règne de Mamoun, il fftt décidé
par les jurisconsultes sunnites qu'on prendrait pour lui
succéder un Alide et leur choix tomba justement sur l'imam
el-Ridha. « Son fils (de l'imam Mousa), dit Rashid-ed-Din
dans la DJami-at-téwarikh, l'imam Ali-ibn-M ousa-el-Ridha
se trouvait alors à Médine, il y vécut jusqu'à ce que le
khalife Mamoun (sur lui soit la malédiction d'Allah !) le
fit venir dans le Khorasan qu'il lui donna comme fief par
un diplôme autographe qui est aujourd'hui (i) encore con-
servé à Meshhed, près de Tous. Au bout de quelque
temps, ILfut empoisonné à Tous et il y fut enterré. »
Le khalife avait en même temps ordonné que Ton
délaissât les habits noirs qui étaient les insignes des
(i) Le vizir de Gliazan écrivait dans les premières années da
xnr* siècle de Tère chrétienne.
— i6 —
Abbassides pour revêtir des habits d*éto ITe verte comme en
portaient les Alides. L'attitade de Fimam au jour où il fut
reconnu comme l'héritier présomptif de Mamoun, et celle
de la population furent telles que sur le conseil du vizir Fadl,
fils de Sahal, le khalife revint immédiatement sur sa déci-
sion. Ces deux mesures contradictoires prises coup sur coup
ne firent que rendre Timam el-Ridha plus redoutable pour
le Khalifat; aussi Mamoun chercha-t-il à s'en débarrasser
le plus promptement possible; il invita Timam h se rendre
aux bains en sa compagnie, mais celui-ci eut la bonne idée
de refuser en disant que le prophète Mohammed lui était
apparu et lui avait conseillé de n'en rien faire.
On comprend Timportauce politique de l'acte qui, en
faisant de l'imamel-llidha le successeur des khalifes abbas-
sides, rendait le pouvoir souverain à la seule branche de
la famille du Prophète qui, juridiquement parlant, fût en
droit de l'exercer.
Ce fut, comme on vient de le voir, un triomphe sans
lendemain pour les Alides et il est permis de croire que ce
fut beaucoup de leur faute ; sans doute, même à l'époque de
Mamoun, qui a bien l'air d'avoir été un des tournants de
l'histoire du Khalifat sunnite, il y eut dans l'empire un fort
élément anti-alide, mais il est non moins probable que cet
élément n'était qu'une minorité pour que le khalife ait pris,
pour ainsi dire de lui-même, une décision aussi grave,
qui devait décider à jamais du sort de sa dynastie; avec
plus de tact politique, Ali-ibn-Mousa-el-Ridha n'aurait
sans doute pas rencontré d'obstacles insurmontables sur
sa route, mais ce tact politique, ce sens ou plutôt ce pres-
sentiment de ce qu'il faut éviter de faire, a toujours man-
qué aux Alides au moment précis où ils arrivaient au pou-
voir souverain. Il n'y a peut-être pas de religion au
monde, sans en excepter le Christianisme, dans' laquelle
les missionnaires, les dais, aient pratiqué un renonce-
ment aussi complet et se soient exposés, non chez des bar-
bares, mais chez leurs frères de croyance et de race, à des
traitements aussi rigoureux et à des morts aussi cruelles
que celles qui attendaient les SMites pris à faire de la pro-
— 17 —
pagande en pays sunnite; mais le renoncement, le dévoue-
ment de ces humbles à la cause delà famille d'Ali n'aboutit
pendant des siècles qu'à des résultats misérables, et cela
par la faute de ceux qui auraient dû les soutenir. Il n'y a
qu'une époque où les Alides furent aussi près de s'emparer
du pouvoir universel que l'était Âli-ibn-Mousa-el-Ridha
sous le règne de Mamoun, c'est celle où les Fatimites, tout
puissants depuis les rives de la mer Rouge jusqu'aux em-
bouchures du Niger, semblaient sur le point d'anéantir le
Khalifat orthodoxe de Bagdad. Il ne fallut cependant que
l'épée d'un officier de fortune qui aurait aussi bien servi
le Khvarizmshah, les Mongols ou les Fatimites eux-mêmes
s'il y avait vu son avantage, pour mettre fin à la dynastie
fondée par le Mahdi ; il est vrai qu'il s'appelait Saladin.
C'est de môme qu'à la chute des Omeyyades de Damas, le
sixième imamDjaafer-el-Sadik refusa de se mettre en cam-
pagne et d'accepter le titre de khalife, laissant ainsi le
pouvoir passer sans contestation aux Abbassides.
Les historiens sunnites voudraient faire croire que ce
fut un simple caprice qui dicta cette décision à Mamoun,
mais il n'en est rien. Mamoun était certainement inacces-
sible à bien des préjugés qui étouffaient l'esprit de ses
contemporains; il fut en tout un novateur, ce qui est loin
d'être une qualité aux yeux des Musulmans (i), il fut le pre-
mier qui osa faire traduire en arabe les ouvrages de la
philosophie grecque, qui lut les traités de métaphysique (2)
et Euclide (3); c'était en définitive un libre-penseur, c'est-
à-dire un homme qui pensait mal ; mais de là à vouloir
substituer les Alides aux Abbassides, il y avait un pas, et
(i) L'auteur du Fakhri dit toujours en parlant de ce khalife...
jf3Ù\yiiJ ^y «et parnd ses inaovations, il fut que..«», ce qai bous
sa plumey est très loiu de constituer uu éloge.
(3) ô^\p\ pU.
(3) Le Fakhri'^ on lit dans l'ouvrage historique de Makrizi
{KitâJb el^-aolouk), ms. ar. 1736, fol. 6 verso ; « Ce fut le premier
khalife qui étudia rastronomie et qui régla sa conduite sur les
présages des astres; il lut un grand nombre d'ouvrages des phi-
losophes anciens. »
— i8 —
U est certain que le khalife ne Tanrait pas fait si les cir-
constances politiques ne l'avaient rigoureasement exigé
et si les descendants d'Ali n'étaient pas arrivés au point
d'être capables de s'emparer du Khalifat, si l'on ne préfé-
rait le leur abandonner.
A peine les Abbassides et les Sunnites de Bagdad eurent-
ils appris la décision de MaAioun, qu'ils firent supprimer
son nom dans la prière du Vendredi, et qu'ils proclamèrent
à sa place son frère Ibrahim, fils de Mahdi ; dans sa rage,
Mamoun fit assassiner au bain son vizir Fadl, fils de
Sahal, qui partagea ainsi le sort de tous ceux que leur des-
tinée conduit à donner un mauvais conseil, ou à apprendre
une nouvelle désagréable aux princes orientaux. Quant à
l'imam el-Ridha, sa mort suivit de près celle du vizir; on
empoisonna une grappe de raisin qui était son fruit de pré-
dilection, et le khalife se trouva ainsi débarrassé des deux
personnages qui, par des voies différentes, l'avaient fait
descendre d'un trône où il ne tarda pas à remonter. Ce tra-
gique événement s,e produisit dans le village de Sénabad,
dans le pays de Thous, où Firdousi devait naître un siècle
plus tard, au mois de Ramadhan de l'année 2o3, ou, sui-
vant d'autres, de l'année 208. Par un singulier hasard de
la destinée, l'imam fut inhumé dans le monument où repo-
sait Haroun-er-Réshid, le khalife des Mille et une Nuits.
Le neuvième imam fut le fils d'Ali-er-Ridha, nommé
Mohammed«Taki, qui naquit à Médine en l'année 195. Sa
mère se nommait Kheïzouran, comme la mère d'Haroun-
er-Réshid, ou, suivant d'autres, Reîhanèh. Avant la catas-
trophe qui amena la rupture définitive entre les Alides
et les Abbassides, le khalife Mamoun qui éprouvait une
sympathie toute particulière pour le jeune Mohammed,
lui avait fait épouser la fille de son vizir, Fadl-ibn-Sahal.
Mirkhond raconte qu'un homme digne de toute confiance
a rapporté le fait suivant : « J'ai entendu dire dans l'Irak
qu'un certain individu prétendait être doué de la Prophé-
tie ; on le conduisit à Damas chargé de chaînes de fer et
on l'emprisonna dans telle localité; je m'étais rendu
dans cet endroit et je donnai quelque argent au portier
— 19 '-
pour qu'on me conduisît devant ce personnage; je vis
que c'était un homme intelligent et qu'il avait des con-
naissances étendues. Il me dit : « Je suis originaire de
Damas, et j'y ai durant plusieurs années passé mon temps
à prier Dieu ; je me trouvais une nuit dans la mosquée et
j'avais les yeux tournés vers la kiblah ; je priais Dieu
avec ferveur, quand je vis tout à coup un homme appa-
raître devant moi, qui me dit : « Lève-toi! » Quand
j'eus fait un peu de chemin, je me trouvai dans la mos-
quée de Koufa. « Quel est cet endroit ?» me demanda-
t-il. Je lui répondis que c'était la mosquée de Koufah. Il
se mit à faire la prière et je l'imitai ; quand il eut terminé,
il sortit et j'en fis autant ; nous nous mîmes à marcher ;
au bout de très peu de temps, je me trouvai dans la
mosquée du Prophète à Médine l'illuminée; l'homme
salua le mausolée où il repose, puis il se mit à prier et je
fis de même; il se leva ensuite et se remit en chemin
pendant que je me hâtais de le suivre; nous avions à
peine fait quelques pas que je me trouvai à la Mecque ;
quand nous eûmes fait le tour de la Mosquée, nous sor-
tîmes de cette ville. A partir de ce moment le mystérieux
personnage disparut à mes yeui, et je me retrouvai à l'en-
droit où je faisais ma prière. Je restai confondu de cet
événement et il me fut impossible de savoir qui il était.
L'année suivante, au même instant, il se présenta de nou-
veau devant moi et me* prit de même comme compagnon
de route; nous refîmes identiquement les mêmes choses;
au moment où il allait me quitter Je l'adjurai de me révéler
qui il était ; il me répondit : <k Je suis Mohammed-ibn-Ali-
ibn-Mousa-ibn-Djaafer (c'est-à-dire le neuvième imam) ».
Le lendemain, je racontai cet événement merveilleux à
mes amis; ce récit est arrivé aux oreilles du gouverneur de
Damas, qui m'a accusé de prétendre à la Prophétie et qui
m'a fait charger de chaînes comme tu le vois. i> Le visi-
teur fut ému de la sincérité avec laquelle ce malheureux
lui avait narré son histoire et.il écrivit à l'officier qui com-
mandait dans la capitale de la Syrie pour lui demander sa
grâce; dès qu'il l'eut obtenue, il se rendit à la prison pour
— ao —
la lui annoncer, mais il trouva les soldats de garde en
proie à un trouble extraordinaire, et quand il leur en
demanda la cause, on lui répondit que le prisonnier venait
de disparaître subitement.
L'imam M ohammed-Taki mourut à Bagdad.
Le dixième imam fut Ali-ibn-Mohammed-Djévad, connu
sous le nom d'Abou'4-Hasan et encore mieux sous celai
d'Askéri, Zéki ou Taki. Sa mère se nommait Semanèh;
plusieurs historiens racontent, sans doute avec raison,
qu'il était le fils de la fille du khalife abbasside Mamoun. U
naquit à Médine au mois deDhou'-l-Hidjdja de Tannée 21a
deThégire ou, suivant d'autres, en 2i3; le khalife Mota-
vakkel le fît venir de force du Hedjaz dans l'Irak et le fit
étroitement surveiller dans la ville de Samarra (Surra-
men-rad), il le fit ensuite enfermer dans la prison appelée
« la maison des mendiants ». Un des courtisans du khalife,
nommé Salih, fils de Saïd, ayant déploré la rigueur de son
sort, l'imam lui répondit qu'en réalité il n'était point ren-
fermé dans la prison où il paraissait être détenu, et qu'il
était aussi libre que s'il n'avait jamais été chargé de
chaînes. Les historiens racontent même que le khalife
Motavakkel ne dut sa guérison qu'à l'intervention de
l'imam alide. D'après le récit de Mirkhond dans le Rauzet-
nS'Séfa, la vie d'Ali-ibn-Mohammed n'oftre aucune autre
particularité bien remarquable ; il mourut à la fin du mois
de Djoumada premier de l'année '264, âgé de ^1 ans, et il
fut enterré dans un palais qu'il possédait dans la ville de
Samarra.
Le onzième imam est son fils Hasan-Askérî, qui se nom-
mait Abou-Mohammed et qui était surnommé el-Zéki, el-
Khalis, el-Sézah; le surnom de Askéri lui venait de son
père Ali-ibn-Mohammed; sa mère se nommait Sousen (le
lys). Il naquit à Médine au mois de Rébi second de l'année
282 de l'hégire, ou suivant d'autres, de l'année 23i ; ce fut,
au dire de Mirkhond, l'un des hommes les plus remar-
quables et les plus généreux de la famille de Mohammed ;
L'historien persan cite de lui des traits de libéralité qu'il
serait trop long et peu intéressant de rapporter en détail.
— ai —
mais en revanche il ne donne aucun renseignement sur ses
relations avec les khalifes de la dynastie abbasside, ce qui
serait beaucoup plus intéressant. Cet imam mourut a
Samarra dans l'un des deux mois de Rébi de l'année 260
de l'hégire, à l'âge de 28 ans.
Le douzième et dernier imam des Shïites imamis est
Mohammed le Mahdi, qui se nomme Aboul-Kasem, et que
l'on connaît plus généralement sous le nom d'el-Hadi, el-
Mahdi a celui qui est dirigé par Dieu dans la voie droite » ;
el-Montézer « celui dont on attend la venue » ; Sahib-el-
Zéman « le Maître du temps ». Il naquit à Samarra, le jour
même de la mort de son père, de sorte qu'il eut comme le
remarque Mirkhond, l'imamat dès son enfance, comme
Jésus-Christ. Sa venue était prédite par une tradition
attribuée au prophète Mohammed suivant laquelle : « Alors
qu'il ne restera plus pour le monde qu'un seul jour, Allah
le Très Haut allongera ce jour pour envoyer pendant son
cours un homme issu de moi et de ma famille ; comme nom,
il lui donnera mon nom; il remplira le monde de justice
et d'équité, comme il était rempli avant lui d'injustice et
d'iniquité (i). »
Suivant quelques historiens, la mère de cet imam se
nommait Nerdjès, le narcisse. Hakimèh, qui était la tante
de l'imam Zéki raconte que cet imam lui dit un jour de
rester durant la nuit prochaine dans leur maison parce
qu'il savait qu'Allah devait lui donner un fils. Hakimèh
lui dit que cela lui semblait étrange, car elle ne s'était point
aperçue de la grossesse de Nerdjès, maisl'imam lui répondit
qu'il en était du cas de sa femme comme de celui de la
mère de Moïse, qui accoucha sans qu'on se soit douté
qu'elle fût enceinte. « Je demeurai dans la maison durant
toute la nuit, dit Hakimèh, et je restai éveillée à partir de
(i) Cette tradition est rapportée par Aouf el-Aarabi et par Abou
Sahl Aouf ibn-Djémil el Abdi (Xotices et Extraits des Manuscrits,
tome XVII, p. i5i ; tome XX, p. 173) ; dans un autre passage de sa
Mokaddama, Ibn-Khaldoun rapporte qu'Ali aurait recueilli lui-
même cette tradition de la bouche de Mahomet. (Ibid,, tome XVII,
p. i56 et XX, p. i65).
\
— 22 —
minuit ainsi que Nerdjès ; au moment où les premières
lueurs deTaube blanchissaient Thorizon, je me dis : a Voici
Faube qui point et ce que m'a dit Abou-Mohammed ne
s*est pas réalisé. » Au même moment, j'entendis la voix
d* Abou-Mohammed qui disait : « O ma tante, hâte-toi ! »
J'entrai rapidement dans la chambre où se trouvait Ner-
djès ; je vis qu'elle était saisie d'im tremblement convul-
sif qui agitait ses membres ; elle me serra sur sa poitrine,
récita la som^ate eUIkhlas, les versets Enna enzelna et les
versets du Trône. Un instant après,la maison fut remplie
d'une vive lueur et quand je pus regarder, j'aperçus le
fils d' Abou-Mohammed (le douzième imam) qui était à
terre et qui se prosternait (devant Allah); je le pris dans
mes bras. Abou-Mohammed me dit du AueZ/re^ (i) où il se
trouvait : « O ma tante, apportes-moi l'enfant !» ; je le lui
portai ; il l'embrassa et mettant sa langue dans sa bouche,
il dit : « Mon fils, parle-moi par la permission du Dieu
très haut ! » L'enfant dit : « Au nom d'Allah, le Clément,
le Miséricordieux ! Il veut que nous soyons bienveillants
envers ceux qui souffrent sur la terre; nous les ayons
placés comme Imams, comme les héritiers des Prophè-
tes ! » Je vis des oiseaux verts qui se tenaient de tous
côtés autour de nous; Abou-Mohammed interpella un de
ces oiseaux et lui dit : « Prends-le et garde-le autant
qu'Allah la permis; certes Allah connaît bien son
destin. » Je demandai a Abou-Mohammed: « Quel est cet
oiseau et quels sont les autres? » Il me répondit : « C'est
Gabriel et les autres senties Anges. » Plusieurs historiens
rapportent que lorsque le douzième imam vint au monde,
il avait le cordon ombilical coupé et était circoncis comme
l'était Mohammed à sa naissance.
(I) Ce mot désigne quelquefois en arabe l'alvéole de pierre dans
laquelle on dépose un cercueil: mais ce n'est pas ce sens qu'il
faut adopter ici. Il faut cependant remarquer que suivant quel-
ques traditionnistes musulmans, le Mahdi est né le jour même de
la mort de son père ; dans ce sens il faudrait traduire par « cer-
cueil » ; mais cela semble contraire au reste du récit de Markhond.
III
Si l'on en croit les traditionaistes arabes, la croyance
au Mahdi est an dogme de Tlslam aussi absolu que la
croyance en Allah ou en son Prophète. « Celui qui nie le
Mahdi, a dit Mahomet, est un infidèle, quiconque nie le
Dedjdjal est un mécréant (i). » Il est certain que cette
parole n'est jamais sortie de la bouche du Prophète, car
elle infirmerait, comme on le verra plus loin, l'un des
points essentiels du dogme musulman, celui d'après lequel
Mahomet est le dernier envoyé divin qui doive paraître
sur la terre, et cependant le traditionniste qui la rapporte,
Anès-ibn-Malek, est l'un de ceux en qui on peut avoir
quelque confiance. D'autres théologiens s'appuient sur
cette tradition : « Point de Mahdi, sauf Jésus-Christ, fils
de Marie » (a), pour affirmer que tout ce qui a été raconté
sur le Mahdi alide est de pure fantaisie. Il est vraisem-
blable que la première de ces deux traditions a été inven»
tée par les Alides pour les besoins de leur cause ; il est
plus difficile de déterminer qui a forgé la seconde.
D'après les traditionnistes musulmans, la venue du
Mahdi fut prédite à maintes reprises, comme on vient d'en
voir un exemple, par le Prophète, ainsi que par quelques-
uns des imams. Parmi ces prédictions, il y en a une qui est
plus importante que toutes les autres, c'est celle qui a été
énoncée par Mahomet quand il a dit : « Le Mahdi sortira de
(la partie de) ma famille qui naîtra de Fatima. » D'après
un traditionniste bien connu, Anès-ibn-Malik, le Prophète
dit un jour : « Nous, fils d'Abd-el-Motallib, nous serons
les princes des bienheureux dans le Paradis; Moi, Hamza,
(i) Notices et Extraits, tome XVII, p. 144 et t. XX, p. 161. Celte
tradition est rapportée par Anès-ibn Malek.
. 2) /6td., tome XVII, page i63 tome XX, p. 188.
- 24 -
Ali, Djaafer, Hasan, Hoseïn et le Mahdi (i). » Un nommé
Hodeïfa (2) rapporte que Mahomet a dit : « Quand il ne
restera plus au monde qu'un seul jour, Allah allongera ce
jour pour qu'un homme de ma famille (3) devienne souve-
rain ; il se livrera de grandes batailles, et l'Islam triom-
phera, car Allah ne trahira pas son pacte! » Comme on le
verra un peu plus loin, cette tradition est rapportée en
termes presque identiques par l'historien persan Mir-
kbond. Abou-Horeïra, le Père de la petite chatte, en rap-
porte le commencement à peu près dans les mêmes termes,
en substituant seulement le mot nuit au mot jour. Ter-
midi et Abou-Daoud, cités par Ibn-Khaldoun (4), rap-
portent la même tradition, en ajoutant toutefois que le
Mahdi sera l'homonyme de Mahomet et que son père se
nommera comme le père du Prophète. Termidi en donne
une autre variante : m Le monde ne finira pas jusqu'au
(i) Notices et Extraits des ManuscritSy tome XVII, page 157 et
tome XX, p. 182.
(2) J'emprante la plupart de ces détails à une dissertation sur la
venue du Mahdi, écrite en arabe par Mari-ibn-Yousouf-ibn-Abou-
Bekr-ibn-Ahmed-ibn-Yousouf-el-Mokaddési-ei Hanbéli intitulée
Feraid'féçaid-^l'fekr'fV'U'imcun'-el-Mahdi-eUMontézer, ms, ar. acaft.
On lit à la fin du volume (folio 23 verso) une note ainsi rédigée
« L'auteur, le pauvre esclave, " Mari-ibn-Yousouf-el-Hanbéli-el-
Mokaddési dit : « J'ai terminé la composition de ce traité un mer-
credi, dans les dix premiers jours du mois de Rébi second, dans
la mosquée el-Azhar (au Kaire) en Tannée 1022 de Thégire ». On en
trouvera d'autres tirés de la MoÂ<zddama ou Prolégomènes du célè-
bre historien berbère Iba-Khaldoun. Cet auteur est très important
pour l'étude du Mahdisme, car il vivait dans la terre promise des
révolutions religieuses, à peu de distance de Sedjelmasa 011 se pro-
clama le premier Mahdi, De plus il avait consulté deux ouvrages
fort importants qui sont aujourd'hui perdus, les deux traités du
traditionniste Ibn-Abi-Keïtéma-Abou-Bekr-Ahmed {+ 892, J. C.)
et celui d'Abou'1-Kasem-Abd-er-Rahman-el-Khathaami (-f- ii85
J. C).
(3) Ibn-Khaldoun cite d'autres traditions que je ne crois pas utile
de rapporter ici et suivant lesquelles le Mahdi est un descendaut
de Fatime {Notices et Extraits des Manuscrits, tome XX, p. 168).
(4) Notices et Extraits des Manuscrits, tome XVII, p. i44 et tome
XX, p. 162.
— a5 —
moment où mi homme de ma famille régnera sur les
Arabes ; son nom sera le même que le mien (i). » Koleïb,
fils de Djaaber, raconte que son père entendit Mahomet
dire : « Après moi, il y aura des khalifes, après les kha-
lifes, des émirs, après les émirs, des rois superbes; c'est
alors que viendra le Mahdi, il sortira de ma famille, et
il remplira le monde de justice de même qu'avant lui l'in-
justice y régnait I »
Il est .plus que douteux qu'il faille regarder comme
authentique cette tradition qui, si elle Tétait, prouverait
que le Prophète avait indiqué la forme de gouvernement
à suivre après sa mort, sinon ses héritiers.
D'après une autre tradition, Mahomet aurait dit : « A la
fin des temps, un grand malheur fondra sur mon peuple,
causé par son sultan : il ne prendra pas garde à leurs
maux et leurs souffrances s'accroîtront au point que la
vaste terre deviendra trop étroite pour eux ; le monde sera
rempli d'injustice et de violence. Allah enverra alors un
homme de ma famille qui répandra la justice et l'équité
dans le monde et en fera disparaître l'iniquité. » Le tradi-
tionniste Abou-Dàoud, cité par Ibn-Khaldoun dans sa
Mokaddama (2), rapporte qu'à la mort d'un certain kha-
life, il y aura un grand trouble parmi les Musulmans; un
des habitants de Médine s'enfuira à la Mecque, refaisant
en sens» inverse la voie douloureuse que le Prophète avait
suivie en l'an 622. Les habitants de la Mecque lui prête-
ront serment dans le parvis de la grande mosquée, entre
le rokn et le makam. On enverra contre lui des troupes
de Syrie, qui seront englouties dans la plaine qui s'étend
entre les deux villes saintes. Les abdals de Syrie et les
habitants de l'Irak lui prêteront alors serment ; après avoir
défait un Koreïshite qui viendra le combattre, il établira
rislamisme sur toute la teri'e et mourra après sept ans de
règne. Il est à peine besoin de faire remarquer les ten-
(i) Id,, tome XVII, p. i45 ; tome XX, p. i6v!.
(2) Notices et Extraits des Manuscrits, tomes XVII, p. 148 et
XX, p. 168.
— 26 —
dances soufies de cette tradition. Suivant une autre tra-
dition également rapportée parle même Abou-Daoud (i),
le Prophète disait que le Mahdi aurait le nez aquilin et le
front découvert. Le célèbre soufi espagnol Mohyï-ed-Din-
ibn-el-Arabi fait dire au prophète Mohammed : « Moi et
le Mahdi, nous sommes deux frères ; le Mahdi est envoyé
avec le sabre et moi avec le Koran » (a).
D'après Ibn-Abbas, le Prophète dit : « Quatre croyants
et infidèles ont régné sur le monde ; les croyants sont Zoul-
karneïn (Alexandre le Grand) et Soleïman (Salomon) ; les
infidèles, Nemrod et Bokht-en-Nasr (3): le cinquième qui
le gouvernera sera le Mahdi ; il sortira de ma famille. »
Abou-Horeïra rapporte la tradition suivante, également
sortie de la bouche de Mahomet : « Le cours des heures
ne sera pas encore arrêté quand un homme, sorti de ma
famille, deviendra le souverain (du monde); il s'emparera
de Constantinople et des montagnes du Deïlem ! »
Tous les traditionnistes s'accordent, comme on l'a déjà
vu, pour dire que Mahomet et Ali avaient prédit que le
Mahdi porterait le même nom que le Prophète, c'est-à-dire
qu'il s'appellerait Mohammed.
La venue du Mahdi sera annoncée aux hommes par des
signes miraculeux ; d'après le célèbre traditionniste Kaab,
une étoile apparaîtra à l'Orient, qui aura une queue,
(i) Ibtd,, tome XVII, p. 149; tome XX, p. 170.
(2) Ms. persan 256, fol. 76.
(3) D'après la légende gnostique perso-arabe, Bokht-en-Nâsr,
dont le nom n'est pas autre chose qu'une transcription de NabU'
kadnelsar, était le général du roi kéanide Lohrasp; il s'empara
de Jérusalem sur l'ordre du roi de Perse. On lit dans le Minokhi-
red : u min Kai-Lohrâsp sût danà yahviint aighash khùlàih khûp
kart II dar j-^zdân sipàsdàryahvunt u Hàrshàlim-l Yahûtàn barâ
khafrûnt u Yahàtan vashùft paragandak kart : a L'avantage du
règne de Kal-Lohrasp fut qu'il fut un bon souverain, qu'il adora
bien les Izeds, qu'il détruisit la Jérusalem des Juifs, et qu'il dis-
persa les Juifs par toute la terre. » (The Book of the Mainyo-i
khardj edited by E.-C. Andréas, Kiel, Lepsius, 1882, p. 3î-32.) C'est
la mention la plus ancienne de la tradition qui fait de Bokht-en-
Nasr le lieutenant du roi de Perse. (Cf. Noeldeke, Goettingische
gelehrte Anseîgen, 1882, numéro du 2 août.)
— 27 —
autrement dit une comète se lèvera à l'Est. D'après un
autre « une étoile se lèvera à l'Orient, qui brillera de
l'éclat de la lune (i). »
Suivant un nommé Abou-Imamè, le Prophète a dit : « Au
mois de Ramadhan, on entendra une voix. » — Les audi-
teurs lui dirent : « O Envoyé d'Allah ! au commencement,
au milieu ou à la fin? (2) » — Il dit : « Non, mais le i5 du
mois de Ramadhan, la nuit du i5, la nuit du Vendredi ;
une voix sortira du ciel, soixante-dix mille s'évanouiront
en l'entendant, soixante-dix mille perdront la parole et
soixante-dix mille imploreront leur pardon ! » Les tradi-
tionnistes ne s'entendent pas pour déterminer qui poussera
ce cri; les uns disent que ce sera d'abord l'ange Gabriel,
puis Satan, d'autres que ce sera Iblis. Mahomet dit éga-
lement : « Au mois de Ramadhan, on entendra une voix,
au mois de Shavval un bruit sourd, au mois de Dhou-l-*
Kaada, les tribus (arabes) se sépareront les unes des
autres, au mois de Dhou-1-Hidjdja le sang sera versé à
flots et au mois de Moharrem le pèlerinage sera pillé,
interrompu et l'Islam sera sur le point de périr. » L'imam
Hoseïn, fils d'Ali, a dit : « Quand nous verrons un grand
feu sortir du ciel, du côté de l'Orient, une nuit viendra au
cours de laquelle le Mahdi apparaîtra » ; d'autres tradi-
tions sont encore plus obscures; d'après l'une d'elles, « le
Mahdi ne paraîtra pas avant que trois aient été tués, que
trois soient morts et que trois soient demeurés sains et
saufs. » En plus de ces apparitions de lumières dans le ciel
et de guerres sanglantes, de nombreux tremblements de
terre annonceront la venue du Mahdi.
D'après le traditionniste Abou-Djaafer, le Mahdi paraîtra
dans le Khorasan et viendra à Koufa; le Prophète aurait
même dit, ace que raconte Abou-Bekr-ibn-Makarri, d'après
Ibn-Omar : « Le Mahdi sortira d'un village nommé Kéri-
(i) Celte prédiction rappelle assez celle suivant laquelle une
étoile tombera du ciel sur la terre durant la nuit où naîtra Bah-
ram Amavand et Tétoile qui guida les Mages à Betliléem.
(a) Lltt. dans la première décade, dans la seconde décade ou dans
la troisième décade.
— 28 —
mèh, suivant d'autres traditions, le Mahdi doit venir de
la TransoKiane (Ma-çéra-el-riahr); Ibn-Khaldoun rapporte
que,'d'après Ali, le Prophète dit qu'un homme nommé el-
Haris viendrait de la Transoxiane et qu'il serait précédé
par un individu nommé Mansour ; il sera proclamé Mahdi,
et tous les Musulmans devront lui obéir. L'authenticité de
cette tradition est des plus suspectes, car tous les tradi-
tionnistes s'accordent pour affirmer que le nom du Mahdi
sera le même que celui du Prophète (i).
Ibn-Khaldoun cite également une tradition suivant
laquelle Mahomet dit un jour : « Après moi, les membres
de ma' famille souffriront beaucoup ; on les dispersera et
^ on les pourchassera jusqu'au moment où viendront des
gens du côté de l'Ouest ayant avec eux des drapeaux
noirs ; ils confieront le commandement à un homme de ma
famille (2). » M. de Slane croit que ce hadis a été inventé
à l'époque où le khalife el-Mamoun désigna l'imam alide
Mousa-el-Ridha comme son héritier présomptif (3) ; mais
on ne voit guère, dans cette hypothèse, ce que viennent
faire les drapeaux et les insignes noirs qui étaient ceux
des Abbassides, tandis que les historiens arabes nous
apprennent que les Musulmans s'empressèrent alors
d'abandonner le noir pour prendre le vert qui est la cou-
leur des Alides. On retrouve cependant ces drapeaux noirs
comme étant ceux du Mahdi, car il est dit dans une autre
tradition : « Auprès de votre trésor, trois personnes, tous
fils de khalife, se combattront, mais aucun ne l'obtiendra;
ensuite les drapeaux noirs se lèveront du côté de
l'Orient. . . ensuite viendra le Mahdi (4). »
L'opinion suivant laquelle le Mahdi devait paraître dans
le Hedjaz ne ralliait pas davantage autour d'elle tous
les partis shïites, et cela se conçoit aisément : si elle
donnait pleine satisfaction aux Shïites orientaux, il n'en
(i) Xotices et Extraits des MannscrltSy tome XVII, p. 147; tome
XX, p. 167.
(2) Notices et Extraits des Manuscrits, tome XVII, p. 153.
(3) Iderriy tome XX, p. 176.
(4) Idem, tome XVII, p. 159 et tome XX, p. 184.
— ag —
était point de môme pour ceux qui étaient allés chercher
au Maghreb un refuge contre les odieuses persécutions
des Omeyyades et des Abbassides. Aussi les Shïites de
rOccident invoquent-ils des traditions qu'ils prétendent
rigoureusement authentiques et qui prédisent l'apparition
du Mahdi dans l'Afrique du nord (i).
Suivant le traditionniste Kaab, le Mahdi -lâendra au
moment où la Syrie sera gouvernée par un souverain,
l'Egypte par un autre, et que ces deux princes se feront
une guerre acharnée ; mais cela est arrivé plus d'une
fois sans que le Mahdi apparaisse. Le Mahdi paraîtra alors
avec un ange volant au dessus de sa tête, qui criera :
« Voilà le Mahdi ! »
L'époque de son apparition ne tarda pas à être fixée à
une date très rapprochée de l'hégire. Djaafer-el-Sadik
raconte qu'il viendra en l'an 1200 de l'hégire, suivant
d'autres en 20^ ; ces deux époques s'étant passées sans que
le Mahdi ait paru, plusieurs auteurs, en particulier le célè-
bre polygraphe Djélal-ed-Din-Abd-er-Rahman-el-Soyouti,
dans son Kitab-el-keshf, admirent qu'on avait omis le
chiffre 1000, ce qui se fait très souvent, et que la venue du
Mahdi était prédite non pour l'an 200, mais pour Tannée
1200. Un auteur soufi nommé Saad-ed-Din-el-Hamavia
affirmé que le Mahdi naîtrait en l'année jSj de l'hégire (2).
Le khalife Ali, fils d'Abou-Talib, dit que le Mahdi naitra
à Médine; on dit également que el-Sofiani enverra une
armée contre la Mecque, avec l'ordre de massacrer tous les
Hashémites qui s'y trouveront ; beaucoup seront assas-
sinés et les autres s'enfuiront dans le désert et dans les
montagnes. C'est alors que le Mahdi apparaîtra à la
Mecque et que les Hashémites survivants se réuniront
autour de lui.
Le traditionniste Abou-Djaafer raconte qu'après être
entré à Koufa, el-Sofiani enverra des troupes dans toutes
(i) Ibn-Khaldoimditque le Mahdi paraîtra à rextrcme limite des
pays habités {Notices et Extraits, tome XX, p. 200).
(2) Ms. persan 266, folio 76.
— So-
les directions ; elles se hearteront à celles du Mahdi suc-
cessivement à Tous, à Daulab-er-Reï, à Tokhoum-Zerrendj,
à Istakhar; repoussées du Khorasan, les armées d'el-Sofiani
seront écrasées à Medaïn, puis à Nisibin ; c'est surtout au
concours des Persans du Khorasan et du Sedjestan que le
Malvli devra son triomphe final. A ce moment, ce sera la
lutte entre l'Iran et le monde, arabe qui recommencera
comme dans la première moitié du vii« siècle de l'ère
chrétienne, avec cette difTérence que la Perse est destinée
à rester victorieuse et à repousser l'invasion sémitique.
Après avoir vaincu el-Sofiani, le Mahdi se rendra avec
ses troupes devant Antioche (i), et en criant par trois fois
Allah akbar, les Musulmans en feront tomber les
murailles ; il fera massacrer les hommes et réduira les
femmes et les enfants en captivité ; de là il se rendra à el-
Roumiyyèh (Rome) et à Gonstantinople dont il s'emparera
et où il fera mettre à mort 70.000 vierges. Il se rendra
également maîtrie de 70 villes de l'empire grec, après
quoi il soumettra tout le monde à ses lois. C'est alors que
Jésus-Christ descendra du ciel {p) sur le minaret de la
grande mosquée de Damas et qu'il sera reconnu comme
Imam par tous les Musulmans ; il aidera le Mahdi à tuer
le Dedjdj al (3); suivant d'autres, il descendra du ciel en
même temps que le Màhdi, en tout cas, il fera la prière
ayant le Mahdi pour Imam. Le Mahdi restera ensuite
avec le Christ à Jérusalem et c'est dans cette ville qu'il
mourra; le Christ et les Musulmans feront la prière sur
son corps. La durée du règne du Mahdi, depuis le jour
de son apparition jusqu'à sa mort, varie suivant les
(i) Oh peut se demander si toutes ces traditions n'ont pas été
retouchées à l'époque des Croisades.
(2) Jésus-Christ descendra du ciel revêtu de deux robes jaunes,
s'appuyant sur les ailes de deux anges (Notices et Extraits^ tome
XX, p. 198).
(3) Ibn-Khaldoun dit que le Dedjdjal (l'Antéchrist) apparaîtra peu
de temps après la venue du Mahai, et après lui le Messie Jésus-
Christ qui fera la prière avec le Mahdi comme imam (Notices et
Extraits, tome XX^ p. i58).
— 3i —
traditionnistes de 7 à i4 ans; Tun des plus célèbres,
Hodeïfa, va môme jusqu'à 120 ans, mais il semble bien
que Mahomet la considérait comme devant être de '7
ans, sept étant un nombre fatidique chez les Musulmans.
En effet, il est dit dans les Hikem que pour marquer la
durée du règne du Mahdi, Mahomet ouvrit la main gau-
che tout entière et étendit le pouce et Tindex de la main
droite en tenant repliés les autres doigts de la main, ce qui
fait 5 + 2, soit 7 (i). On trouve également comme varian-
tes 5 et 9.
Bakiyya-ibn-Walid rapporte une tradition suivant
laquelle le Mahdi mourra à l'âge de 3o ans; un tradition-
niste nommé Ali-Dinar prétend qu'il vivra 40 ans, un autre
34. Jésus-Christ restera quarante années encore à Jéru-
salem et il régnera sur les Musulmans ; il se rendra au
pèlerinage de la Mecque avec 70.000 personnes parmi les-
quelles se trouveront les « Sept Dormants », il épousera
une femme de Yezd, par conséquent une persane. D'autres
auteurs disent que Jésus-Christ régnera à Médine et qu'il
mourra dans cette dernière ville, où il sera enterré auprès,
du khalife Omar (2).
(i) Notices et Extraits des Manuscrits, tome XX, p. 186, 187.
(a) Ibn-Khaldoim, Notices et Extraits^ tome XX, p. 198.
IV
On a vu plus haut, d'après le récit de Mirkhond, que
Mohammed, fils d'Ali, plus connu sous le nom de fils de
la Hanéfite (i), avait élevé de sérieuses prétentions à
rimamat lors de la mort d'el-Hosem, disant qu'il lui
revenait de plein droit et non à Zeïn-el-Abidin. Les his-
toriens musulmans ne donnent qu'assez peu de détails sur
ce personnage et sur ses actes, mais ce qu'ils en disent
suffit amplement à montrer que bien peu de temps après
le désastre de Kerbéla, les Shïites étaient déjà divisés en
sectes rivales qui cherchaient à s'arracher mutuellement
rimamat. Il est certain qu'un grand nombre de mécon-
ents se réunirent autour de Mohammed, fils de la Hané-
fite et voulurent le faire passer pour le Mahdi. Ces sectai-
res ont reçu dans l'histoire musulmane le nom de Keï-
sanis.
Cette prétention était d'ailleurs fort contestable au
point de vue théologique ; le Prophète avait dit que le
Mahdi s'appellerait comme lui, Mohammed, et qu'ilserait
l'un de ses descendants par Fatima ; le fils de la Hanéfite
remplissait parfaitement la première de ces conditions,
mais non la seconde, qui était aussi indispensable, si ce
n'est plus : car si les descendants de Mohammed, fils de
la Hanéfite sont bien de la famille du Prophète, comme
ceux d'Akil, le fils préféré d'Ali, ils ne sont en définitive
que des collatéraux, tandis que les fils d'Hoseïn sont des
descendants directs de Mahomet et ceux à qui, sans nul
doute, revenait l'imamat. Cette impossibilité matérielle
qui résultait de la prophétie même de Mahomet n'arrêta
(i) Le vrai nom de ce personnage était Abou-l-Kasem Moham-
med ibn-Ali ibn-Abou-Taleb (Généalogie des descendants d'Ali,
ms. ar., âoai, fol. 1218 r»).
— 33 —
pas un instant le fils de la Hanéfite, ni ses partisans. Il est
certain qu'après sa mort, son fils Ahmed, prétendit égale-
ment être le Mahdi attendu. Plusieurs auteurs arabes,
Beïbars-el-Mansouri (i), Ibn-el-Athir (2) affirment en effet
qu'il y avait parmi les Karmathes des gens qui recon-
naissaient ce personnage comme le Messie dont la venue
était prédite par le Prophète ; on ne tardera pas à voir ce
qu'il faut penser au juste de cette assertion, mais ce qu'il
importe pour l'instant d'en retenir, c'est que des Shïites,
sans plus spécifier la secte à laquelle ils appartenaient,
voyaient dans Ahmed, fils de Mohammed, fils de
la Hanéfite, le Mahdi attendu. Ibn-el-Athir cité par
l'historien égyptien Nowaïri nous a conservé un passage
d'un des livres religieux des sectateurs d'Ahmed-ibn-
Mohammed-ibn-el-Hanefiyyèh dont voici la traduction :
« Au nom d'Allah, le Clément, le Miséricordieux! Voici
ce que dit el-Féredj, fils d'Osman, originaire d'un village
qui se nomme Nasrana, qui est le daï (le missionnaire)
du Messie Isa (Jésus-Christ), qui est le Verbe, qui est le
Mahdi, qui est Ahmed, fils de Mohammed, fils de la Ha-
néfite, qui est Gabriel. »
Le célèbre écrivain syrien Abou'-l-Féredj, plus connu
sous le nom de Bar-Hébreus, dit dans sa Chronique qu'en
370 de l'hégire, un homme parut près de Koufa et se mita
prêcher une doctrine nouvelle ; il écrivit un livre dans
lequel on lisait : « Moi, un tel, qui suis réputé pour être
fils d'Osman, du bourg de Nasaria, j'ai vu le Messie,
qui est Jésus, qui est le Verbe, qui est le Mahdi (3), qui
(i) Dans sa grande chronique intitulée Zouhdet el fikret fi taa-
rikh el hidjret, ms. ar. 1672, foi. 97 recto ; le nom complet de cet
auteur est Emir Rokn-ed-Din-Beïbars-el-Devâdar.
(a) Le passage d'Izz-ed-Din-Ibn-el-Athir auquel nous faisons aUu-
sion est cité dans la grande encyclopédie de Nowaïri, ms. ar.
1576, folio 57 V*.
(3) p^yi c^;JJ -OJl ^
- 34 -
est Ahmed, fils de Mohammed, fils de la Hanéfite, de la
famille d*Ali, qui est Tange Gabriel. Il m'a dit : « Tu es
celui qui appelle, tu es le Chameau qui garde la colère
contre les incrédules, tu es la Bête de somme qui porte le
fardeau des croyants, tu es l'Esprit, tu es Jean, fils de
Zacharie(i). »
Abou'-l-Féda donne une version légèrement différente
de celle d'Abou'-l-Féredj et qui paraît plus exacte en ce
sens qu'el-Féredj , fils d'Osman y prétend avoir reçu
du Ciel le livre dans lequel se trouvaient ces choses
étranges, tandis que Bar-Hébreus prétend qu'il en est
l'auteur. Voici d'ailleurs les termes mêmes dans lesquels
Abou'-l-Féda rapporte ce passage : « Au nom d'Allah, le
Clément, le Miséricordieux! El-Féredj, fils d'Osman,
qui est originaire du village nommé Nasrana, dit qu'il est
le dai (missionnaire) du Messie, qui est Jésus, qui est le
Verbe, qui est le Mahdi, qui est Ahmed, fils de Moham-
med, fils de la Hanéfite, qui est Gabriel. Le Messie prit
la forme d'un homme et lui dit: Tu es le ddi, tu es le hodj-
dja (la Preuve), tu es le Chameau, tu es la Bête, tu es
Jean, fils de Zacharie, tu es le Saint-Esprit (2). »
Beïbars-el-Mansouri rapporte dans les mêmes termes
les paroles que le Messie adressa à Féredj, fils d*Osman,
mais il ajoute la formule que ses sectateurs devaient réci-
ter après avoir fait la prière :
« Je témoigne qu'Adam est l'Envoyé d'Allah ; je té-
moigne que Noé est l'Envoyé d'Allah ; je témoigne
qu'Ibrahim est l'Envoyé d'Allah ; je témoigne que Mousa
(i) Assemani, Bibliotheca Orientalis, tome II, p. Sig.
(2) ^yi^^yr^Mî ,«^
ifLsI^ iLSUJI dlJi^ Sii\ i^l^ iL^xljJI dL3) JU9 (^U3l ,o«^ i ^yu^ ^^\
oixiJI 2^; \iUI3 i^ <j^ tfhas' ^h ^'«^ï
Ms« arabe x5o8, folio i3a, verso.
— 35 —
est l'Envoyé d'Allah; je témoigne qu'Isa (Jésus-Christ)
est l'Envoyé d'Allah; je témoigne que Mohammed est
l'envoyé d'Allah; je témoigne qu'Ahmed, fils de Moham-
med, fils de la Hanéfite est l'Envoyé d'Allah (i). »
On connaît fort peu de chose des dogmes et des précep-
tes de la secte shïite qui reconnaissait comme chef
Mohammed, fils de la Hanéfite ; mais les quelques ren-
seignements qui nous sont fournis par les historiens
orientaux montrent que la part de l'iranisme y était fort
grande. En effet, Ahmed, fils de Mohammed, fils de la
Hanéfite, celui qui était le Messie, le Verbe, le Mahdi,
Gabriel, le tout en même temps, prescrivait deux jeûnes
par an, l'un au Mihirdjân et l'autre au Naûroûz (2),
qui sont, comme l'on sait, des fêtes purement persanes
et deux des plus grandes à l'époque du règne des Sas-
sanides.
Il est regrettable que les historiens orientaux ne don-
nent pas plus de renseignements sur cet étrange syn-
crétisme d'Islam, de Christianisme et, d'Iranisme, qui
n'a de comparable dans l'histoire religieuse du monde
(i) Voici le texte de ce curieux passage :
{2) De Sacy, Exposé de la Religion des Druzes, Introd., p.
GLXXXII. La fête du ^Vhirdjân durait durant six jours au solstice
d'automne, du i6* jour du mois de Mihir au 21'. Le Naûroûz est le
premier jour de rannée persane. D'après les auteurs musulmans,
les anciens Perses croyaient que c'était le seize du mois de Mihir
que les Anges avaient porté secours au célèbre forgeron Kavèh
qui renversa l'usurpateur Zohak. Nizam-el-Mulk, dans son Sias»
aet-Namèh et l'imam Ghazzali dans le Nasiket-el-moloûk racontent
qu'aux deux fêtes du Naûroûz et du Mihirdjân, les rois de Perse
de la dynastie sassanide tenaient dans leur capitale des séances
piénières, dont personne n'était exclu et où tout le monde était
autorisé à venir présenter ses réclamations. Le texte de Ghazzali
a été publié par M. Gh. Schefer dans sa traduction du Siasset-
Namèhf Faris, 1893, p. Sg et 67.
— 36 -
que les dédales du Sabéïsme et du Gnosticisme et qu'on
en soit réduit aux extraits de Beïbars-el-Mansouri, d'Ibn-
el-Athir qui sont cités plus haut, et à quelques données
fournies par Shehristani.
Les Shïites qui reconnaissaient comme imam après
Hasan et Hoseïn, Abou'-l-Kasem- Mohammed, fils delà
Hanéfite, au détriment de Zeïn-el-Abidin, les Keïsanis, ne
s'accordaient point absolument sur les personnes aux-
quelles revenait Timamat après Mohammed, fils de la Ha-
néfite ; ils avaient sur ce point des opinions assez contra-
dictoires (i) : les moins outrés admettaient que Timamat
s'était transmis aux fils de Mohammed, soit à Ahmed-
ibn- Mohammed -ibn-el-Hanéfiyyèh, soit à Abou-Has-
hem, puis à son frère Ali, et ensuite à Hasan ; d'autres
prétendaient au contraire qu'Abou-Hashem avait légué
l'imamat à Mohammed, fils d'Ali, fils d'Abd-Allah, fils
d'Abbas, qui le transmit à son frère Abd-xVllah-el-Safi*ah,
le premier khalife abbasside ; el-Saffah le transmit à
son tour à tous les khalifes qui régnèrent après lui.
C'était comme on le voit, un moyen ingénieux de faire ren-
trer l'imamat alide dans les prérogatives de la famille
abbasside; ce devait être la doctrine de Keïsanis qui
cherchaient à revenir dans le sein de l'orthodoxie musul-
mane.
Un poète arabe nommé Koseïr, mort en l'année io5 de
l'hégire (724 J.-C), a résumé en cinq vers toute la doctrine
de la secte des Keïsanis dont il faisait lui-même partie :
a Les imams, dit-il, appartiennent à la famille de 1
Koreïsh ; ils sont quatre dont la légitimité est certaine l
et ils sont tous égaux : '
<c Ali et ses trois fils, qui sont les imams; il n'y a aucun
doute sur leur compte ;
(i) On pourra consulter sur ce point, V Exposé de la Religion des
Dmzes, tome II, p. 690, et les Prolégomènes dlbn-Khaldoun, tra-
duits par le baron de Slane, dans les Notices et Extraits des Manus-
crits de la Bibliothèque Impériale t tome XIX, Paris, i86a, p. 402-
407.
- 37 -
<c Ils sont Timam (i), rimam de la foi et de la généro-
sité (2), rimam qui a disparu à Kerbéla ! (3)
« Et rimam (4) qui ne goûtera pas à la coupe d^la mort
avant d'avoir marché à la tête d'une armée devant la-
quelle flottera l'étendard ;
« Il se tiendra caché et on ne le verra plus parmi les
hommes durant un certain temps ; il demeurera caché à
Ridoua (5), ayant à côté de lui du miel et de l'eau (6). »
Beïbars-el-Mansouri et Ibn-el-Athir nous ont également
conservé un fragment, une sourate, suivant leur propre
expression d'un livre religieux qui paraît avoir contenu
les dogmes de cette secte sur la doctrine de laquelle nous
allons bientôt revenir. Il est fort probable qu'il fut com-
posé par Ahmed, fils de Mohammed, fils de la Hanéfite,
peut-être par Mohammed lui-même, ou tout au moins par
leurs ordres ; il se pourrait d'ailleurs qu'il soit l'œuvre de
ce Féredj-ibn-Osman sur lequel Beïbars-el-Mansouri et
Ibn-el-Athir ne donnent que très peu de renseignements,
mais qui fut le rfaë, le précurseur et l'annonciateur
d'Ahmed-ibn-Mohammed. Ce personnage fut très probable-
ment la cheville ouvrière de la secte des Keisanis à ses
débuts, comme Hamza et Darazi le furent à l'époque d'el-
Hakem-bi-ami>Allah pour la secte des Druzes. Quoi
(1} Ali, fils d'Abou-Taleb, le gendre de Mohammed.
(a) Hasan, fils d'Ali, le second imam.
(3j Hoseïn, iils d'Ali, le troisième imam.
(4) Mohammed, fils de la Hanéiile.
(5) Ridoua est le nom d'une montagne dans le Hedjaz.
(6)
^ \ . J J^V.,,;,a-ê V\ î ti»3 t — iy U^*— f' tr> * ,41» trk > ««> S
L-«5 J-N*^ 80^J-c <£y^r^ L3l*3 m d :.^ <Sr^ ^ <
— 38 —
qu'il en soit, voici la traduction de ce curieux docu-
ment (i) :
« Louange à Allah par son Verbe ! Qu'il soit exalté par
son nom, Celui qui aide ses Saints par ses Saints ! Dis : Les
nouvelles lunes sont des époques fixées pour les hom--
mes (2). Le sens exotérique de cette phrase est que les
nouvelles lunes servent à connaître le nombre des années,
la chronologie, les mois et les jours. Le sens ésotérique
est : « Ceux-là sont mes Saints qui ont fait connaître par
ma puissance mon chemin à mes serviteurs. » O vous qui
avez reçu l'intelligence ! certes. Moi je suis Celui à qui
Ton ne demande pas ce que J'ai fait I Je suis l'Intelligent,
le Sage. Je suis Celui qui éprouve ses serviteurs et qui
examine les actes de ses créatures ; (Celui qui supportera
patiemment le mal et l'affliction que je lui envoie et mes
épreuves, je le transporterai dans mon paradis) (3) et je
le ferai jouir éternellement de mes délices. Quant à celui
qui s'écartera de mes commandements et qui traitera mes
prophètes de menteurs. Je le plongerai pour l'éternité,
couvert de honte, dans mon enfer. J'ai mis fin au délai
que J'avais fixé et J'ai manifesté mes ordres par la langue
de mes prophètes. Je suis Celui contre lequel aucun
superbe ne s'est révolté que Je ne l'aie abaissé, et aucun
puissant que Je ne l'aie humilié. Malheur à celui qui per-
siste dans son opinion et qui demeure dans son erreur et
qui dit : « Nous ne cesserons pas d'y être attachés jusqu'à
la mort et d'y croire sans qu'on puisse en nous détour-
ner. » Ceux-là sont des infidèles (4). »
(i) Encyclopédie^ de Nowaïri, ms. ar. 1676, f. 58 recto et ZxibdeU
eUfikret-fi'taarîkh'el-hidjret, par Témir Rokn-ed-Din-Beîbars-el-
Mansouri, ms. arabe 1672, f. 97 v®.
(2) Koran, Sourate el-Bakara, § i85.
(3) n est assez remarquable que Ton trouve dans les textes de
TAvesta une expression tellement identique qu'on croirait que ce
passage arabe en est traduit, mais il n'y a évidemment là qu'une
rencontre fortuite.
(4) Voici le texte de ce passage dont une traduction a déjà été
- 39 -
Ce passage conservé grâce à Ibn-el*Athir et à Beîbars-
el-Mansouri, montre bien suivant quelle loi de conti-
nuité se sont faites toutes les révolutions religieuses qui
ont troublé Tlran et tout le monde musulman depuis les
premiers jours de l'Islam, jusqu'à notre époque ; cette
sourate du Koran d'Ahmed, fils de Mohammed, fils de
laHanéfite, semble un feuillet arraché au commentaire de
la Sourate de la vache ou du Livre des noms, écrits en
arabe par le Bâb ou par ses disciples au milieu du xix^
siècle ; tout- s'y retrouve, non seulement les idées, mais
même la forme extérieure et les expressions, et cependant
ces deux ouvrages sont séparés par un intervalle de plus
de mille années. Cette similitude va si loin qu'on risque-
rait, si l'on ne savait pas exactement à quelle époque ce
fragment a été écrit, de le croire extrait des œuvres exé-
gétiques du Babisme, d'un traité soufi ou de ceux qui con-
tiennent la doctrine des Ansaris.
On a vu d'après la profession de foi de Féredj, fils
d'Osman, que la secte keïsanie tendait à établir un com-
promis, un syncrétisme entre l'Islam shïite et le Chris-
tianisme ; c'est un fait qui n'a rien d'étonnant quand
donnée par Silvestre de Sacy, Exposé de la Religion des Druzes,
Introduction, p. CLXXX :
,s*^J^ SUuh\ yl ôJ XjLJjLj *jLJ5^ o^^m Ao-U JljC[5 Kd^ aW O^
Jjl^Jjl L^-ilsL?} pU^!^ ;^-€-û'JÎ5 v^---^3 06^*-^' •>»>^ k^^i:^ U^llô o**^-^
L5I3 Juwl L$ jLil i) <^JJI bl^ vLJill J3I L ^jj J.-^^-^<« <^i>LiB Là^ ^^j3^
tf^-^^3 tf^ é^ 7^-*» t7^] <5^ o-sï^'j tf'^W* ti-?J <^ÔJJ ^^y ^f^ joAjJi
J.-w^ vMi <$r*^ (j-^ J'; tr*^ (s-*^ i [«J«>^-^ï^ (s^ i *x-JLI1 ^^L:^^.!^
p
^ (£JJ\ U)^ J^^ iLuJI J^ (^yj»\ i::>y^\^ f}^\ oU'i^ «Jj^Xe i 1^1^ 2f3ùdàJ
Jb£ Jù^ »yA\ J^ I40I ^JJ) jM^3 JuJUi) ^! yj^ ^3 Xisuo^ ^M ^lla». ^ Jla^
Tout ce qui se trouve entre parenthèses n'est donné que par la
chronique de Rokn-ed-Din-Belbars et manque dans l'encyclopédie
de Nowairi.
- 4o -
ron pense que cet étrange personnage prêchait dans
le Saoad de Koufa, dans la région du bas Euphrate
qui, depuis des siècles était le foyer le plus actif du
Sabéîsme. C'est là que vivaient côte à côte des sectes
malheureusement à peu près inconnues, dont les doctri-
nes sont un syncrétisme assez confus entre le Mazdéisme,
ou plutôt la doctrine dualistique, le Christianisme, le
Judaïsme, avec un ancien fonds qui n'est qu'une défor-
mation du culte astrologique des anciens empires de
Ninive et de Babyloue.
L'insurrection contre l'Islam avait commencé en Perse
au lendemain même de la conquête et son but avoué était
de renverser les Abbassides pour les remplacer par les
Âlides (i) et par une théocratie messianique, qui n'était
guère qu'une réforme du Mazdéisme sassanide et qui ne
différait pas sensiblement de celui de beaucoup de sectes
hétérodoxes de la Perse d'avant l'Islamisme.
Nizam-el-Moulk rapporte dans le Siasset-Namèh que le
saffaride Yakoub-ibn-Leïs voulait renverser la dynastie
abbasside et mettre à la place du khalife son rival de
Mehdia ; il fait dire à Yakoub dans une lettre au khalife :
« Je n'aurai pas de cesse et je ne m'arrêterai point tant que
je n*aurai pas envoyé ta tête à Mehdia et anéanti ta
famille (2). »
M. Schefer a fait remarquer qu'il y a là une erreur évi-
dente, car le Mahdi Obéïd-Allah, souverain du Maghreb,
ne fît commencer la construction de Mehdia qu'en l'année
3oo (912) et la révolte de Yakoub, fils de Leïs, se place en
a66 (8j9-88o J.-C); mais elle s'explique facilement : à
l'époque de Yakoub, il y avait certainement des Ismaï-
liens dans le Maghreb et il n'est pas impossible que les
Saffarides se soient appuyés sur eux, ou tout au moins
qu'ils aient cherché à le faire ; les Fatimites étant généra-
(i) Pour renverser les Omeyyades, les Abbassides posèrent
comme principe que seuls, les membres de la famille du Prophète
pouvaient exercer le pouvoir; les Alides ne tardèrent pas à
retourner ce principe contre les Abbassides et les Karmathes pré-
tendirent qu'Abbas ne s^étant pas posé comme candidat au Khali-
fat à la mort de Mohammed, d*Abou-Bekr et d'Omar, cela prou-
vait qu'il savait pertinemment n'y avoir aucun droit ; les Abbas-
sides descendant de ce personnage n'avaient pas plus qu'Abbas
droit le d'occuper le trône du Khalifat.
(2) Siaaset'Namèh, texte persan, p. i4*
- 42 -
lement connus sous le nom de princes de Mehdia, Nizam-el-
Moulk, qui écrivait bien après ces événements, n'a pas
réfléchi que ce titre était un anachronisme en l'année 266
de l'hégire.
La dynastie des Ghaznévides dont l'origine turque ne
fait aucun doute, alla plus loin que les Saffarides et pré-
tendit descendre des Sassanides. D'après le kadi Ahmed-
Ghaffari, auteur de l'ouvrage anecdotique connu sous le
nom de Nigaristan, Sébouktikin fondateur de cette
dynastie, était un descendant de la famille de Yezdégerd
qui se réfugia dans le Turkestan après la déroute de
Nihavend et qui contracta des alliances avec les Turks (i).
Il serait imprudent d'admettre cette affirmation sans
preuves plus solides à l'appui, mais il parait bien certain
d'après le témoignage d'ouvrages pehlvis et chinois, c'est-
à-dire absolument indépendants les uns des autres et,
que certainement aucun auteur musulman n'a connus, que
les princes Sassanides se réfugièrent dans le Turkestan
quand, leur dynastie fut définitivement ruinée, et qu'ils
demandèrent secours à l'empereur de Chine pour chercher
à reconquérir leur royaume. Le fils de Yezdégerd III, que
les historiens chinois nomment Firouz III (?) (San Fi-
lou-ssé) devint général dans l'armée du Céleste Empire
et érigea un temple du feu à Si-ngan-fou en 677 (2).
L'insurrection d'Abou-Mouslim en 129 de l'hégire, qui
mit sur le trône les khalifes de la dynastie abbasside, fut
immédiatement accaparée par les Shïites, qui la retour-
nèrent contre l'orthodoxie musulmane en prétendant que
le célèbre gouverneur dn Khorasan ne fut jamais que le
précurseur d'un Mahdi fatimite (3).
(i) Siasset'Namèh, trad. par Ch. Scheler, p. 141.
(2) Voir Textes pehlvis historiques et légendaires dans la Revue
Archéologique de 1895.
(3) Il y a dans l'histoire d'Abou-Mouslim des choses qui sont
loin d'être aussi claires que le pensent les chroniqueurs et \çs
biographes musulmans, et il est très vraisemblable que les
Shïites ne sont pas tellement dans leur tort qu'ils le paraissent.
En provoquant la révolution qui a précipité du trône les
- 43 -
Quand Abou-Mouslim, qui se disait lui-même le pré-
curseur d*un Mahdi tf^JsJI ^^.^^Lie eut été assassiné, un
Omeyyades et qui les a remplacés par les Abbassldes, Abou-Mous-
lim n'a peut-être bien agi que dans un but d'ambition person-
nelle, sans compter avec les plans des hommes auxquels il don-
nait le pouvoir. Ibn-Khallikan rapporte dans son dictionnaire bio-
graphique qu' Abou-Mouslim « avait coutume de consulter un livre
de divinatiau dans lequel il était écrit qu'il renverserait une
dynastie, qu'il en fonderait une nouvelle et qu'il périrait de mort vio-
lente dans le pays de Roum «> (trad. de Slane; tome II, p. loo et suiv.)-
Ibn-Khallikan entend que la dynastie fondée par Abou-Mouslim
est celle des Abbassldes, auxquels en effet, son insurrection donna
la couronne ; mais ce n'est point là le sens que les auteurs musul-
mans aussi bien que les occidentaux entendent par fonder une
dynastie : fonder une dynastie consiste à se proclamer souverain
et à faire souche de rois. Ni Monk, ni le maréchal Prim n'ont été des
fondateurs de dynasties, tandis que Bonaparte en fut un. Il ne
faut pas oublier qu' Abou-Mouslim était d'origine guèbre, et qu'au
témoignage d'Ibn-Khallikan, il descendait du célèbre Bouzour-
djmihir, lils de Bakhtigân ; sans aller aussi loin, il est certain
qu'il était persan, de Mérv ou de Djéi en Ispahan ; il n'y aurait
rien d'étonnant à ce qu'il ait voulu se servir d'el-Saffah comme
d'un instrument, mais sans y réussir ; un fait très important, c'est
qu'el-Mansour, successeur d'el-Saffah» considérait Abou-Mouslim
comme le pire ennemi de la dynastie abbasside, qui lui devait la
couronne. Est-ce seulement parce qu'Abou-Mouslim refusa de
changer le gouvernement du Khorasan. où il était à peu près
indépendant, contre celui de la Syrie, où il aurait été tenu à l'œil,
qu'el-Mansour le lit traîtreusement assassiner, ou n'est-ce pas plu-
tôt parce qu'Abou-Mouslim songeait à renverser les Abbassldes
pour les remplacer par les Alides ? Cette dernière hypothèse est
la seule vraisemblable, quand l'on remarque que tous les Persans,
les Mazdéens et les Khourremdinis se rangèrent autour du guèbre
Sinbâd, qui appelait Abou-Mouslim « son maître ». Je crois éga-
lement bon d'insister de la façon la plus formelle sur ce point
que Nizam-el-Moulk, dans son Siasset'Nâmèh, donne à Abou-
Mouslim le titre de Sahib ed- da'vet ; le célèbre vizir des sultans
Seldjoukides était un sunnite farouche et il était payé pour savoir
le sens exact des termes qu'il employait; or, Sahib-ed-dà'vet
a maître de la Prédication », s'emploie exclusivement en parlant
du Précurseur du Mahdi ; il n'y a pas d'autre interprétation pos^
sible et ce fait seul sufQrait à montrer qu'Abou-Mouslim songeait
à une restauration du Fatimisme Messianique. Dans sa traduction
du Siasset-Namèh, p. 182, M. Schefer a rendu ce titre par « maître
de la vocation », ce qui en dénature absolument la portée.
- 44 -
officier général (sipehsalar) mazdéen se rendit à Rey où il
appela autour de lui tous les Mazdéens de la contrée et les
Khourremdinis, qui étaient les descendants des partisans
de Mazdek (i). Il ne tarda pas à réunir une armée consi-
dérable capable de tenir tête aux forces du khalife et il
déclara qu'il allait venger son Maître, Abou-Mouslim.
D'après lui, ce personnage n'était pas mort, mais il se
tenait avec le Mahdi et Mazdek qui n'était point mort
non plus, dans une forteresse de cuivre dont ils allaient
bientôt sortir tous les trois. Abou-Mouslim, le daî, le
Précurseur, 5^*xJ| o«wLô, devait précéder de quelques
jours la venue du Mahdi dont Mazdek allait être le
vizir (2).
Ce bizarre syncrétisme de Mazdéisme, ou plutôt d'hété-
rodoxie iranienne, et de Shïisme, d'hétérodoxie musul-
mane, réussit à merveille, d'autant mieux que Sinbâd
(755 de J.-C.) disait que Mazdek avait embrassé le Shïisme
et qu'il ordonnait à ceux qui avaient l'intention de venger
Abou-Mouslim de s'allier aux Shïites (3). Ce qui prouve
bien que cette révolution n'avait pas d'autre but que de
renverser le Khalifat abbasside, et de renoncer à l'Islam
pour lui substituer le Magisme, c'est l'une des proclama-
(i)Nizam-el-Moulk affirme dans Le Siasset-Namèh que la femme de
Mazdek, Khourréméh, s'était enfuie, après rexécution de son mari,
avec deux autres personnes à Rey où elle avait fait une propagande
active; la nouvelle secte n'avait pas tardé à devenir très impor-
tante et elle n'attendait que le moment de provoquer quelque révo-
lution ou d'entrer dans quelque émeute. (Ch. Schefer, SiasaeU
Namèh, trad., p. 266 ) Cet auteur ajoute que les Khourremdinis
priaient d'abord pour Abou Mouslim, puis pour le Mahdi, pour
Firouz, iils de Fatima, iille d'Abou-Mouslim, qu'ils appelaient
r a Enfant omniscient »,
(2) Siasset-Namèh, texte persan, édité par Ch. Schefer, chapitre
4^> page 182.
Ov^I^âh. ;l^ Imam* ^\
(3) Ibid,, page i83.
- 45 -
tions que lança Sindbâd et dans laquelle il disait (i) :
« La souveraineté des Arabes a pris fin, comme je l'ai trouvé
annoncé dans un des livres des Sassauides. Je ne cesserai
pas la lutte avant d'avoir détruit la Kaaba, que Ton a
substituée au Soleil (comme objet d'adoration). Nous
reprendrons le Soleil comme notre kiblah ainsi que cela
se faisait dans les temps anciens(2). » C'était comme on le
voit un programme bien net du retour au Mazdéisme avec
les mêmes visées politiques qui furent celles des Kar-
mathes.
En disant a ses troupes qu'il avait trouvé cette prédic-
tion dans un livre des Sassanides, il est très possible que
Sindbâd était de bonne foi. Dans l'un des ouvrages les plus
importants de la littérature néo-mazdéenne, le Grand
Bnndehesh dont une copie a été rapportée des Indes par
J. Darmesteter, on trouve un chapitre historique intitulé :
« Sur les calamités qui ont fondu sur la Perse au cours
des différents âges », et qui paraît avoir été continué au
fureta mesure des événements. « Les Arabes, dit ce texte,
(I)
Ibid., p. i83. Il se peut que ce passai^e du Siasset-Nânièh soit la
reproduction exacte de la proclamation de Sindbâd, car il est
facile de voir combien ces quelques phrases ont peu l'allure per-
sane ; c'est à croire qu'elles lurent primitivement écrites en pehlvi,
ce passage se décalque en petilvi sans aucune difiiculté :
Tàtakhshàhih-i Arah ozlànt ma andar nâmak-i àyàfi havâ-am
min nâmakân-i Sâsânîân u li'akhar là obdûnam od Kaaba rài
avirân là obdûnam ma olâ rdi çartishnîh khûrshit mxidam raglâ
obdûnt havà-and u lanà hamtchûnîn kibla-i nafshâ âjtâb obdà-
nùn tchigùn pishin yalivûn-t,
(a) La kiblah est le point vers lequel les Musulmans se tournent
pour faire la prière; il est théoriquement déterminé par la direc-
tion de la ligne droite qui joint la Kaaba au point où Ton se
trouve. Les astronomes musulmans ont dressé des tables pour en
déterminer la direction pour chaque point de la terre, il convient
de ne leur accorder qu'une confiance des plus limitées.
- 46 -
répandirent leur propre loi et leur maudite religion dans
l'Iran, détruisirent de nombreuses coutumes des anciens
et persécutèrent la Loi Mazdéenne...; depuis la création
du monde jusqu'alors, pire calamité n'était arrivée, car
leurs mauvaises œuvres ont causé la misère, la dépopu-
lation et le désespoir... Il est dit dans l'Avesta : «Leur
tyrannie cessera, elle sera renversée (i). »
11 se peut fort bien que Sindbâd ait pris cette prédiction
dans le Bandehesh ou tout au moins dans une des rédac-
tions de cet ouvrage ; selon toutes les vraisemblances, le
célèbre patriote guèbre savait assez de pehlvi pour lire un
texte écrit dans cette langue, car ce n'était pas une con-
naissance bien rare à son époque, et si l'on avait un spéci-
men du persan du ii'* siècle de l'hégire, il est certain qu'il ne
diflférerait que peu du pehlvi ordinaire. D'ailleurs, en ad-
mettant que Sindbâd ait ignoré le pehlvi, il aurait pu lire
le Bundehesh dans la traduction arabe que Ibn-el-Mokaffa
en fit à une date antérieure à l'année ^67 de notre ère (2).
L'insurrection dont Sindbâd était le chef tint en échec
pendant près de sept années les meilleurs généraux du
Khalifat abbasside ; ce ne fut qu'au prix d'une lutte sans
merci que Djoumhour-ibn-Ali, ayant réuni toutes les
troupes des provinces occidentales de la Perse, parvint à
battre le Guèbre devant Rey. Sindbâd périt dans la
mêlée et ses partisans se dispersèrent ; les Khourremdi-
nis se confondirent avec les Guèbres (3) et attendirent
qu'une époque plus favorable leur permît de se soulever
de nouveau contre le Khalifat de Bagdad.
Un peu plus tard (212 hégire-827), les Khourremdinis
s'insurgèrent dans la province d'Isfahan et gagnèrent
(i) Textes pehlvis historiques et légendaires dans la Revue
Archéologique de i8g6.
(a) J'ai montré dans la Revue de VHistoire des Religions de 1896
(Textes pehlvis inédits relatifs à la religion Mazdéenne) y que le
Benkesh dont parle Masoudi, et dont il attribue la traduction à
Ibn-el-Mokaffa ne saurait guère être autre chose que ce que nous
appelons le Bundehesh,
(3) SiasseUNamèh, trad., Schefer, p. 268.
- 47 -
rAzerbeïdjan où ils s'unirent à Babek qui venait de se
révolter dans cette contrée ; la défaite et la mort de
Babek ne découragèrent pas les Khourremdinis, qui re-
commencèrent cette lutte sans merci sous le règne du
khalife el-Wathik-Billah et qui ne furent réduits qu'en
l'année 3oo de Thégire (912).
Yl
La terrible insurrection des Karmathes qui éclata en
278 de riiégire, sous le règne du khalife abbasside el-
Motaraed, fut Tune des plus violentes commotions qui
aient secoué le monde musulman depuis la mort du Pro-
phète. Préparé de longue main par des gens d'une habileté
incomparable, d'un coup d'œii politique que plus d'un
homme d'état leur envierait, pour qui la mort était la
suprême récompense des vrais croyants, cet attentat con-
tre l'Islam trouva le gouvernement de Bagdad absolu-
ment désarmé, et il s'en fallut de bien peu que le Khalifat
abbasside ne disparut dans la tourmente. Je n'ai pointl'in-
tention de refaire l'histoire de cette révolution après
MM. de Sacy et de Gœje(i), et je me contenterai de rattacher
les Karmathes aux autres sectes shïites, dont les dogmes
ont été fortement iranisés et à étudier leur parenté avec
elles, en particulier avec celle des Fatimites ou Obéïdites
et des Ismaïliens ou Assassins. En réalité, ces trois sectes
n'en forment qu'une seule, celle des Ismaïlis, et chacune
de ses subdivisions a pris une nuance politique difïérente
suivant les contrées où elle était appelée à vivre. Le célè-
bre historien arabe Taki-ed-Dîn-Ahmed-el-Makrizi et le
géographe Yakout-el-Hamâvi donnent en eflfet le nom
d'Ismaïliens aux partisans de la dynastie des khalifes
fatimites du Kaire qui tentèrent de renverser Saladin,
(i) Exposé de la Religion des Druzes et Mémoire sur les Carma-
thes du Bahraîn et les Fatimides, n* i des Mémoires d'histoire et
de géographie orientales^ Leyde, 1886. Dans le premier de ces
ouvrages, M. de Sacy a donné la traduction d'un fragment très long
et très important de l'historien arabe Nowaïri, relatif à la doc-
trine et à la discipline intérieure de cette secte (tome I, Intro-
duction).
- 49 -
ce qui montre que les Egyptiens avaient pleinement cons-
cience de ridentité de Tlsmaïlisme et du Fatimisme (i).
Les Ismaïlis reconnaissent comme imam Ismaïl, fils de
Djaafer-el-Sadik, mais cette opinion est loin d'être générale
parmi les sectes hétérodoxes de Tlslam.
L'imam Djaafer-el-Sadik eut quatre fils : l'aîné se nom-
mait Ismaïl (2), sa mère était une Hoséinite ; le second,
Mousa, qui est inhumé à Meshhed près de Tous ; le troi-
sième, Mohammed-Dibadj, qui est inhumé en dehors de
la ville de Djordjan, le quatrième, Abd-Allah, plus connu
sous le nom d'el-Bathih. Djaafer désigna son fils aîné
Ismaïl pour lui succéder comme imam ; mais Ismaïl était
adonné au vin et Djaafer désapprouvait cette conduite; en
conséquence il le déshérita et désigna comme son succes-
seur son second fils Mousa.
Suivant l'auteur du Djihân Kusha, l'imam Djaafer dit
même : « Ismaïl n'est point mon fils, c'est un démon qui
est venu sous sa figure (3). » Une partie des Shïites con-
tinuèrent à regarder Ismaïl comme l'imam futur, tandis
que d'autres s'écartaient de lui, en tant qu'imam. « Les
premiers alléguaient, dit Rashid-ed-Diii, que l'imam Dja-
afer était infaillible et que, puisqu'il avait désigné Ismsdl
pour lui succéder, cette désignation gardait toute sa
valeur; la malédiction qu'il avait lancée contre lui ne
pouvait avoir d'effet au point de vue divin. Ce que fait et
commande l'imam étant la Vérité même, il était impos-
sible d'écarter Ismaïl de l'imamat pour la seule raison qu'il
(i) Kitab- el-soloukf ms. ar. 1726, fol. 27 recto et Modjem-el-boul'
dan, 1. 1, p. 265.
(2) L'histoire d'Ismaïl, fils de Djaafer-el-Sadik et de ses descen-
dants est à peu près la même chez les chroniqueurs arabes et per-
sans, à quelques détails près ; le court résumé qu'on en trouve
ici est emprunté à la Djami-el-téwarikh de Fadl-AUah-Rashid-ed-
Din; j'y ai ajouté quelques renseignements puisés dans le Djihân-
Kusha de Ala-ed-Din-Ata-Mélik-el-Djouveïni. Ces deux chroniques
d'égale valeur et très consciencieusement écrites se complètent
l'une par l'autre.
(3) Man. supp. pers. 2o5, fol, 106 verso.
— 5o —
buvait du vin. Ceux qui prirent fait et cause pour Ismaîl
reçurent le nom d'Ismaïliens et leurs descendants furent
appelés les « Shïites aux Sept imams » ax^um ^Ul cxÂ^.
<( Gomme ils disent que par suite de la faiblesse et de
rimpuissance de Tesprit humain, il est impossible de péné-
trer les mystères de la nature divine, si ce n'est par l'en-
seignement d'un maître, ils furent aussi appelés Taalémis
(i). Ils prétendaient que dans le Koran tout mot a deux sens»
l'un intrinsèque et exotérique (litt. visible, zahirî), l'autre
ésotérique(litt. caché, bathini); le vulgaire connaît le sens
intrinsèque, mais les initiés seuls connaissent le sens ésoté-
rique et mystique ; cette théorie leur fit donner le nom de
Bathéniens. Ils nomment, dit Rashid-ed-Din, tous ceux qui
sont affiliés à leur secte des « néophytes » (maazoun) (2);
lorsque 1' a affidé » est autorisé à faire de la propagande
pour la secte, il reçoit le nom de « missionnaire » (daï) (3) ;
quand il s'illustre dans cette fonction, il est appelé « Preuve »
(houdjdjet), c'est-à-dire qu'Allah donne aux hommes la
preuve de ses paroles ; quand il a atteint la perfection
(i) Beïbars-el-Mansouri dit dans la Taarikh-el-hidjret que d'après
quelques personnes, les Ismaïliens n'étaient qu'une division des
Taalémis. (Ms ar. 157a, folio 97 recto.) Nizam-el-Moulk dit dans le
Siasset'Namèh (édil. Schefer, page 199) que les Bathéniens étaient
appelés à Alep et au Kaire, Ismaïliens; à Bagdad, dans la
Transoxiane et à Ghaznin, Karmathes ; à Koufa, Moubarékis ; à
Bassora, Ravendis et Barkavis; à Rey, Khaléfis et Bathinis; dans
le Gourgan, Mouhammarèh; à Damas, Moubayyadèh ; dans le
Maghreb, Saidis; à Lahsa et dans le Bahreïn, Djennabis; à
Isfahan, Bathinis.
(a) Litt. : « qui a été admis i» ; ce mot arabe dérivé de la racine
aza n'est traduit que très approximativement par néophyte; il
signifie littéralement « celui qui a reçu la permission d'entrer
dans la secte ».
(3) On trouve indifféremment j!^ et iL^'*> pour désigner le
« missionnaire » des sectes ismaîliennes. J'en citerai ce seul exem-
ple qui me paraît décisif a4a^«x« i â^I«> ia^y» ^Lo^ « Karmath
était un missionnaire dans leur secte ». Il n'y a aucune différence
à établir entre ces deux mots, dont l'un est la forme féminine de
l'autre ; on comparera pour ce point, le mot iuLJÂ. a khalife » qui
est également une forme féminine et qui ne s'emploie cependant
qu'au masculin. (Beïbars-el-Mansoui?i, ms. ar. 157a, folio 96 verso.)
— 5i —
absolue et qu*il n'a plus aucun besoin d'apprendre quoi
que ce soit, il est nommé « Imam ». L'Imamat est le plus
haut degré que l'on puisse atteindre ; au dessous de l'Imam
il y a le « prédicateur » (natik). 11 y a sept « imams » et
douze <( missionnaires ».
Ismaïl mourut cinq années avant son père, Djaafer-el
Sadik, en l'an i45 (i) ; le général qui gouvernait la ville
de Médine au nom des khalifes abbassides se rendit avec
un grand nombre de sheïkhs et de docteurs à l'endroit où
il était mort, à quatre farsangs de la ville, et il fit porter
son cercueil à bras d'hommes jusqu'à Médine (2). Malgré
cela, plusieurs de ses fidèles dirent qu'il n'était point
mort, mais qu'il était disparu aux yeux des hommes. Il
aurait ainsi vécu cinq années après son père ; on le vit
un jour dans le bazar de Bassora; un paralytique lui
ayant demandé de le guérir, l'imam lui prit la main, le
malade recouvra immédiatement la santé, se leva et
s'en alla. Un jeune homme aveugle (3) ayant également
imploré sa miséricorde, recouvra immédiatement la vue(4).
Quand l'imam Djaafer-el-Sadik mourut, presque tous les
Shïites se rallièrent à l'imam Mousa, à l'exception d'un très
petit nombre qui prirent parti pour Mohammed Dibadj ; ils
furent nommés Dibadj is du nom de leur patron; d'au-
tres reconnurent comme chef Abd- Allah -Abthah et
reçurent le nom d'Abthahis (5). Les khalifes de la dynastie
(i) Uauteur du DjihânrKusha, ms. supp. pers. 2o5, folio i56
verso, donne également cette même date.
(3) D'après rauleur du Djikân^Kusha^ Timam Djaafer n'agit ainsi
que pour faire la preuve absolue et irréfutable de la mort de son
ills, ce qui, comme on le voit, n'empêcha rien. (Ms. supp* pers.
ao5, folio 106 verso).
(3) Le texte de cette phrase est corrompu dans les manuscrits
dont {e me suis servi; l'un d'eux, celui de M. Schefer, donne la
leçon suivante qui se rapproche le plus de celle que je crois être
la véritable 0^ U-o ^^Lo U^ U^ , Je lis .....Ul^ b b^,
(4) Le Djihâri'Kusha rapporte ces mêmes légendes dans des ter-
mes à peine différents. (Ms. supp. persan. ao5, fol. i57 t\)
(5) Ou Bathihis, d'après le DJUiân Kuskâ par suite de la chute
de rélif initial, (Ms. supp. persan ao5, fol. i56 verso.)
Parmi les autres sectes shïites, il convient de citer celle des
— 52 —
d*Abbas transférèrent Timam Mousa de Médine à Bagdad
et Femprisonnèrentdans cette ville ; les Shïites prétendent
qu'il y fut empoisonné.
Zeîdis qui reconnaissent comme imam après Ali-Zeîn-el-Abidin,
son fils Zeîd ; dans les différentes branches de cette secte, tous les
descendants de Fatime par Hasan et Hoseïn peuvent être imams ;
suivant Tune de ces fractions, après Zeïd, Timamat passa à son
fils Yahya, qui lé légua à Mohammed-el-Nefs-el-Zakya, Tancêtre
des Sultans Shérifs du Maroc, lequel eut pour successeur Moham-
med, iils d'el-Kasem et descendant d'Hoseïn, comme Tindique le
tableau ci-dessous :
Ali
Hasan
Hasan
Abd-Allah
Mohammed-el-Nefs-el-Zakya
„ I
Hoseïn
Ali-Zeïn-el-Abidin
I
Zeïd
Yahya
Omar
a'u
Ai
el-Kasem
Les Sultans Shérifs du Maroc Mohammed
Les deux autres fractions les plus importantes de cette secte
shïite prétendent, Tune que Timamat passa de Zeïd à son fils
Yahya, à son petit-fils Isa, puis au chef desZendjes; Tautre que
Mohammed-el-Nefs-el-Zakya transmit Timamat à Idris, fondateur
et chef de la dynastie africaine des Idrisites.
Les Mausévis disent que Timamat a passé à Mousa, fils de
Djaafer-el-Sadik, qu'il n'est point mort et que Mousa est le Mahdi.
D'autres Shïites, les Dhemmis, plus hétérodoxes encore, admettent
que Mahomet était l'Envoyé d'Ali, mais qu'il abusa de sa mission
pour se faire passer pour Prophète; ils se rapprochent, comme
on le voit, des Ali-Elahyân ; d'autres prétendent qu'Ali, Moham-
med, Fatime, Hasan et Hoseïn sont une seule et même personne.
Un poète qui appartenait à cette dernière secte a dit :
a Après Allah, cinq personnes ont régi la Loi musulmane : notre
Prophète, ses deux petits-fils, le vieillard (Ali) et Fatime. »
U y a même des Shïites qui prétendent qu'Ali et Mohammed
sont deux divinités.
— 53 —
Après ces événements, les Abbassides poarsuivirent
ses descendants à cause de leurs prétentions à Timamat
et les enfants d'Ismaïl furent également contraints de se
cacher ; plusieurs d'entre eux se réfugièrent dans l'Irak et
dans le Khorasan, d'autres se rendirent dans le Maghreb.
Quand Ismaïl mourut, son fils Mohamraed-ibn-Ismaïl qui
était né du temps du grand Djaafer(i), et qui avait un an
de plus que l'imam Mousa, se rendit dans l'Irak et se fixa
à Rey ; il se retira ensuite sur le Démavend (2) ; la localité
appelée Mohammed- Abad à Rey a été nommée d'après lui.
Il eut plusieurs enfants qui s'enfuirent dans le Khorasan;
ils allèrent jusqu'à Kandahar et se fixèrent sur les frontiè-
res de l'Hindoustan ; les plus remarquables de leurs des-
cendants se répandirent dans les villes de cette contrée et
ils y firent de nombreux prosélytes. On rappela Moham-
med-ibn-Ismaïl dans les contrées de l'Ouest ; il se rendit
alors en Syrie, et comme il ne (réclama point l'imamat,
personne ne songea à le persécuter; il mourut dans ce
pays où une partie de ses descendants restèrent (3) »
(i) Djaafer-i-boozourg, ce nom est très souvent donné à rimam
Djaafer-el-Sadlk par les historiens et les théologiens persans.
(a) Le gigantesque volcan sur lequel la légende iranienne a
enchaîné le mauvais roi Zohak et qui borne au nord l'horizon
de Téhéran.
(3) Alâ-ed-Din, Tauteur du DJihân-Kousha dit que de son temps
ils y étaient encore. (Ms. supp. persan 2o5, folio 167 recto.)
VII
L'IsmaïIisme est en réalité un contre-imamat, une réac-
tion surtout politique contre Tlmamisme des Shïites qui
reconnaissent les douze imams dont le dernier est el-Kaïm ;
en effet, les cinq derniers ne sont pas reconnus par les
Ismaïliens. Il serait trop long d'exposer ici les circons-
tances politiques qui ont provoqué la naissance de cette
secte et celles qui lui ont permis de -vivre et de se propager
à travers le monde musulman ; ce qu'il y a de certain, c'est
que les Ismaïliens ne sont qu'une secte hétérodoxe du
Shïisme persan, lui-même hétérodoxe aux yeux du Sun-
nisme officiel du Khalifat abbasside de Bagdad.
Pour arriver à la connaissance complète des dogmes des
Ismaîlis, les « adeptes )> devaient passer par neuf degrés
d'initiation différents qu'on se gardait bien de faire franchir
à tous les néophytes; d'après ce que racontent Nowaïri (i)
et Makrizi, on voit fort bien qu^étant données deux per-
sonnes qui voulaient entrer dans la secte, on ne leur
apprenait point la même quantité de doctrine ; on com-
mençait par les tâter, par s'enquérir de leur mentalité pour
voir jusqu'à quel point il convenait d'aller ; il est certain
que dans bien des cas on devait vite rebuter les prosélytes,
peut-être même s'en débarrasser, si l'on voyait qu'ils se
refusaient à admettre sans discussions les idées qu'on vou-
lait leur inculquer. A part les missionnaires et les grands
chefs, il devait y avoir à peu près autant d'ismaïlismes
que d'individus, ou plutôt que de groupes ismaïlites.
(i) Nowaïri ne fait que résumer ce qu'avait écrit un Shérif alide
nommé Akhou-Mohsin et dont le nom complet était : Abou'-l-
Hoseïn-Mohammed-ibn-Ali-ibn-el-Hoseîn-Ahmed-ibn-Ismaîl-ibn-
Mohammed-ibn-IsmaîUibn-Djaafer-el-Sadik-ibn Mohammed - ibn-
Ali-ibn-Hosein-ibn-Ali-ibn-Abou-Taleb. Cet auteur était évidem-
ment très bien informé.
— 55 —
L'enseignement de la doctrine ismaïlite consistait à
démolir successivement dans les différents degrés d'ini-
tiation, ce qu'on avait dit dans les précédents pour arriver
enfin à dire que la mission prophétique n'existait point,
que les Prophètes ne sont que des philosophes (i), que la
venue du Mahdi ne doit pas se comprendre dans son sens
littéral et temporel, mais bien dans le sens ésotérique et
spirituel, c'est-à-dire qu'il paraîtra dans le monde surna-
turel, que la manifestation réelle du Mahdi est la prédi-
cation de la doctrine, et enfin que les Arabes étaient mau-
dits parce qu'ils avaient tué Hoseïn, tandis que les Persans
étaient bénis pour avoir toujours porté secours à la famille
d'Ali.
Dans la doctrine primitive de la secte, d'après Nowaïri,
il n'était question que de la venue de Mohammed-ibn-
Ismaïl, et ce n'est que plus tard qu'on lui a substitué, évi-
demment pour des raisons politiques qui nous échappent,
le Mahdi Obeïd- Allah, dont on va bientôt voir le rôle en
Afrique.
En réalité, il n'y avait qu'un nombre extrêmement res-
treint de personnes à qui l'on permettait d'atteindre le
dernier degré d'initiation dans lequel on apprenait cpie
Mohammed, fils d'Ismaïl, était bien mort et que s'il reve-
nait dans le monde, ce n'était que d'une façon toute spiri-
tuelle (a). C'étaient des confidences trop dangereuses pour
qu'on les fît sans précautions à des gens dont on n'était
pas absolument sûr.
« Les Ismaïliens' dit Rashid-ed-Din (3), croyaient que
l'imam .visible après Mohammed fut Ali et qu'après le
Prophète, il y eut sept imams; d'après eux, il n'était
pas besoin que l'imam fût visible et il y en eut quelques-
(i) Toute réforme religieuse poussée jusqu'au bout, même avec
la plus grande logique, en arrive fatalement à ce point. C'est ainsi
que le Protestantisme outré nie complètement la divinité et la mis-
sion prophétique de Jésus-Christ, pour le regarder seulement
comme un sage, comme un philosophe.
(2) DeSacy, Exposé de la Religion des DrazeSy Introd,, p. CLVII.
(3) Dans la Djâmi'el'téifarikhm
— 56 —
uns de cachés qui se succédèrent sans interruption, comme
la nuit et le jour; à toutes les époques, il y a toujours
un imam visible et un imam caché (i). »
D'après Ala-ed-Din-Ata-Mélik, l'auteur du Djihân-
Kusha (2), les Ismaïliens disaient que le monde n'avait
jamais été et ne sera jamais sans imam; que le père de
tout imam est également imam, ainsi que le père de son
père, et ainsi de suite jusqu'au Prophète Adam qui fut
le premier imam. Ala-ed-Din ajoute que les Ismaïliens
considéraient comme imam le fils de tout imam; ainsi
énoncée, cette phrase contient une inexactitude, car il
est évident, d'après la nature même de l'imamat, que
parmi tous les fils d'un même imam, il n'y a et il ne
peut y avoir qu'un seul imam; Ala-ed-Din a voulu dire,
à n*en pas douter, qu'il fallait regarder comme imam le
fils de l'imam qui avait été désigné par son père pour lui
succéder. Dans ces conditions, il est impossible qu'un
imam meure avant la naissance du fils qui doit exercer
l'imamat après lui.
a Durant le temps que l'imam n'est point visible, il faut
(i) Les imams recomius par les Ismaïliens sont donc comme le
rapporte Nowairl d'après Abou'1-Hasan-Mohammed-ibn-AU :
Abou-Taleb
i
I
I AU
a Hasan 3 Hoseîn
4 Ali-Zein-el-Abidin
5 Mohammed-er4ladi
6 Abou-Abd-AUah-Djaafer
j el-Kaîm lUs dlsmall
Cet el-Kaîm est Mohammed, fils d'Ismail, fils de Djaafer, et il fat
imam à rezclusion d'Ismaîl ; les Shîites, qui admettaient Ismaïl
pnis Mohammed son fils, n'étaient pas Ismaïliens. En réalité,
les IsmaUiens devaient regarder Ismaïl et Mohammed comme nn
seul personnage, une seule entité.
(a) Manuscrit supp. pers. aoS, folio x57 recto.
- 5j -
que ses missionnaires et ses Prophètes vivent parmi les
hommes pour que ceux-ci aient une preuve tangible de
l'existence de Dieu ; ce sont les Prophètes qui ontapporté du
ciel les livres S£icrés (ashâb-el-tenzît), tandis que les imams
sont ceux qui les interprètent {ashâb-el'taaçîl) ; à toutes
les époques, chacun des Prophètes a eu son Imam corres-
pondant; l'imam contemporain d'Abraham était un per-
sonnage dont le nom se trouve dans le Pentateuque écrit en
langue syriaque et dont le sens en arabe est Mélik-el-Sid-
dik (i) (le roi juste). 11 était le souverain de l'Islamisme ;
quand Abraham alla le trouver, il lui donna dix bêtes de ses
troupeaux; Khidr, cpii apprit la science infuse (lédéni) à
Moïse était également imam ; pendant l'époque qui précéda
l'Islam, les imams demeurèrent cachés ; à l'époque d'Ali,
qui fut l'imam de l'époque de l'Islamisme, l'imamat rede-
vint visible et les imams restèrent visibles depuis son
époque jusqu'à celle d'Ismaîl et de Mohammed, son fils,
qui fut le septième imam; ils devinrent de nouveau
cachés depuis Ismaïl et Mohammed ; ces deux personna-
ges furent les derniers imams visibles ; tous les autres
sont et resteront cachés (mestour) jusqu'au moment où
ils reparaîtront à nouveau. »
L'auteur de l'ouvrage astronomique arabe intitulé Des-
tour elrmonedjdjimîn, dont il n'existe qu'un seul manus-
crit, et qui fut un partisan convaincu des Fatimites, ne
s'explique pas beaucoup plus clairement que Rashid-
ed-Dln sur la succession de l'imam Ismaïl. D'après lui,
le premier imam caché fut Ismaïl, fils de Djaafer-el-
Sadik, qui disparut en l'année i45 de l'hégire, deux ans
et quelques mois avant la mort de son père et qui mou-
rut cinq ans' après lui, à el-Arid ; il fut inhumé à el-
(i) C'est de Melchîsédech qu'il est question ici. On voit que
Rashid-ed-Din commet ici une faute ^^ssière de grammaire arabe,
car il faudrait dire el-Mélik-el-Siddik, mais cette faute est cou-
rante chez les auteurs persans qui veulent écrire en arabe ; c'est
ainsi que dans l'un de ses ouvrages, le Bâb se désigne par l'ex-
pression arabe noktèh-el-aoulèh, pour el-noktèh'^l-aottlèh, « le
premier Point ».
— 58 —
Baki. Mohammed, fils d'Ismaïl, est le septième imam;
il fut reconnu comme tel par son client, el-Moubarek.
Plusieurs personnes admettent qu'il fut le dernier imam,
€t cela leur fit donner le nom S! eUWakifiyjrèh (i).
Haroun-el-Reshid ayant voulu persécuter Timam Mo-
hammed, celui-ci se réfugia dans Tlnde où il trouva
un asile. Il eut pour fils Djaafer, Ismaïl, Ahmed, Hose'in,
Ali et Abd-er-Rahman. L'auteur daDestour'el-monedJdji'
mîn confesse qu'il ignore quel fut au juste celui de
ces enfants qui succéda à Mohammed, fils d'Ismaïl ; il
se borne à dire que Mohammed, fils d'Isma'il, eut pour
successeur les trois imams cachés, er-Rida, el-Wafi, el-
Taki ; l'un d'eux se fixa à Salamiyya quand les Abbas-
sides voulurent le persécuter (2).
Les Ismaïliens croyaient, d'après Rashid-ed-Din, que
Mousa-el-Ridha, fils de Djaafer-el-Sadik, était le dou-
ble jMÂJJt ^Ixjo (3) d'Ismaïl et que Ali-ibn-Mousa-el-Ridha
était le double de Mohammed-ibn-Ismaïl.
La théorie de la succession des Prophètes que l'on trou-
vera exposée en détail dans l'ouvrage de M. de Sacy sur
la religion des Druzes, n'a rien de bien particulier, à cela
près que les Ismaïliens y ont fait pénétrer Mohammed, fils
d'Ismaïl. Chacun des prophètes dont les six premiers sont
reconnus par le Sunnisme a un substitut qui vit en
(i) J'emprunte quelques-uns de ces détails au travail de M. de
Goêje intitulé Mémoire sur les Carmathes du Bahraîn et les
Fatimides, page 22o3. M. de Goêje les a lui-même tirés en partie
du manuscrit du Destour eUmonedjdjimin qui appartint à M. Gh.
Schefer et qui a été acquis par la Bibliothèque Nationale, où il
porte le n« 6968 du fonds arabe. Il en a publié un extrait fort
important pour la question qui est traitée ici, mais sans le tra-
duire.
(a) Ibn-Khaldoun dit également que les Ismaïliens reconnaissent
trois a imams cachés » après Ismaïl, fils de Djaafer-el-Sadik. Il
leur donne les noms de Mohammed-ibn-Ismaîl, Djaafer-Mosaddik,
iils de Mohammed, Mohammed, iils de Djaafer-Mosaddik ; après
eux vient le Mahdi Obeïd-AUah.
(3) Litt : a l'endroit, ou la personne dans laquelle l'âme se réin-
carne. »
- 59 -
même temps que lui ; Ali, substitut de Mohammed, a eu
pour successeurs dans cette fonction ses deux fils Ha-
san et Hosein, puis les quatre imams suivants dont le
dernier, Ismaîl, fils de Djaafer-el-Sadik,apourfilsMoham«
med, qui est justement le septième prophète en même
temps que le Mahdi des derniers âges.
Voici la concordance des Prophètes parleurs ou expo-
seurs jj-bli, c'est-à-dire qui exposent la doctrine céleste
révélée aux imams et de leurs substituts d'après les
théories des Ismaïliens :
Prophètes Exposburs Substituts
I Adam Seth
a Noé Sem
3 Abraham Isma!l (tiis d'Abraham)
4 Moïse Josué
5 Jésus-Christ Simon-Eéphas
6 Mohammed Ali, qui a pour succes-
seurs
Hasan Hosein
Ai
Mohammed
Djaafer
Ismaîl
I
7 Mohammed- ibn-Ismail, le kaim-el-zéman ou sahib-el-zéman
La hiérarchie de l'Ismaïlisme est la suivante :
1^ L'élément sans nom et sans attributs, créateur du
monde ;
a^ Le Préexistant ;
3® Le Suivant ;
4® Le Prophète exposeur ;
5® Le Substitut ;
6^ Le Missionnaire.
Or, d*après les Ismaïliens, le missionnaire peut, par
l'étude et la sainteté, s'élever au degré du substitut et le
remplacer; le substitut, à son tour, peut, aux mômes
— 6o —
conditions, remplacer le Prophète exposeur; le Pro-
phète exposeur peut de même devenir Suivant, et le Sui-
vant a la faculté de devenir Préexistant ; c'est-à-dire que
tout être humain peut, puisqu'il lui est possible d'acqué-
rir le degré de Missionnaire, s'élever au rang du Préexis-
tant et le remplacer; cette théorie qui se retrouve dans le
Soufisme revient à dire que rien n'existe, même pas la
secte Ismaïlienne elle-même. C'est bien en ce sens que
l'on peut donner à l'Ismaîlisme le nom de nihilisme reli-
gieux; c'est de même que dans la secte des Druzes, on
apprenait aux initiés que les khalifes fatimites n'étaient
ni père ni fils les uns des autres, mais qu'ils étaient tous
l'incarnation ou plutôt Thypostase, une sorte d'avatar
'multiple d'un même principe primordial.
VIII
Uorigine de la secte des Karmathes qui faillit renver-
ser le Khalifat abbasside n'est pas encore bien claire, mal-
gré le travail de M. de Goëje ; ce qui paraît le plus cer-
tain, c'est qu'ils furent nommés ainsi du nom d'un mis-
sionnaire Ismaïlien qui s'appelait Hamdan, fils de Kar-
math (i). Quoi qu'il en soit, Ibn-el-Djaûzi affirme qu'il y
avait dans cette secte redoutable un homme qui descen-
dait du roi sassanide de Perse, Béhram-Gour (2), et que ce
fut lui qui provoqua la grande révolution karmathe dans
le but d'arracher le pouvoir aux Abbassides pour le ren-
dre aux Persans. Les Karmathes commencèrent par ébran-
ler la foi des vrais croyants, puis ils proclamèrent la doc-
trine de l'imamat ; un certain nombre d'entre eux profes-
saient ouvertement la doctrine des Philosophes, c'est-à-
dire des philosophes grecs, ce qui revient à dire, en ter-
mes plus précis, qu'ils appartenaient au Soufisme modéré.
Ils choisirent comme chef un nommé Abd-AUah, fils de
Me'imoun, fils d'Amrou, fils de Saddak, fils de Kaddah-
el-Ahvazî (3), originaire, comme on le voit, de la province
(I) Ibn-Djaûzî cité par de Goëje, Mémoires sur les Carmathes
du Bahrain, p. 206 ; cet auteur donne également plusieurs autres
étymologies de ce nom. Cette secte ismaîiienne aurait été ainsi
nommée parce que son fondateur se nommait Mohammed-el-War-
rak-el-Mokarmab, originaire de Koufa; ou parce que son chef
était un nommé Karmathouyyèh du Sas^nd de la Nabathène (min
et savad min el EnbatJ ; les autres ét3rmologies ne valent guère la
peine qu'on s*y arrête.
(a) Peut-être ce personnage était-il Mohammed, fils d'Hoseïn-
Dendan, secrétaire du prince Ahmed, fils d'Abd-el-Aziz, fils
d'Abou-Dolaf. (De Goëje, ihid,^ p. i5.)
(3) Nizam el-Moulk dit dans son Siasset-Nâmèh qu'Abd- Allah était
tin habile escamoteur et qu'il connaissait à fond les tours de la
magie blanche (trad. Schefer, p. 269).
— 6a —
de Perse qui porta dans Tantiquité le nom de Susiane
et qui s'appelle aujourd'hui Khouzistân. Si le promoteur
de la révolution karmathe était un descendant de Béhram-
Gour le Sassanide, Maïmouu» le père d'Abd- Allah, était,
suivant Abou'1-Féda, un Zendik (i), c'est-à-dire qu'il pro-
fessait la doctrine de Mazdak, ou tout au moins, qu'il
appartenait à une secte musulmane fortement iranisée.
L'oncle d'Abd-Allah, Daïsan (^), appartenait à la secte
des Dualistes {ThanaQixya) dans laquelle il est fort pro-
bable qu'il faut reconnaître les Manichéens et les Mazdé-
ens ; M. de Sacy ne croyait pas que ce mot désigne les
Mazdéens (3), mais seulement une secte des Motazalli-
tes ; cela est possible, car Makrizi (4) compte les Tha-
naQiyjra parmi les Motazallites, mais dans un autre de
ses ouvrages, le Kitab-eS'Solouk'li-maarifet'douçalrehmO'
louk (5), il dit formellement que les Thanaçiyya ou Dua-
listes sont une secte mazdéenne. D'ailleurs, si on ne veut
pas voir une secte iranisée directement dans celle des
Thanaoiyjra à laquelle appartenait l'oncle d'Abd-Allah,
mais seulement une subdivision de celle des Motazalli-
tes, il n'en est pas moins vrai que l'influence iranienne et
mazdéenne s'est fait sentir dans cette dernière comme le
prouve l'examen de ses dogmes. D'ailleurs, de toutes les I
sectes hétérodoxes issues de l'Islamisme et plus partîcu- |
I
(i) Aboulféda, Annales moslemici, tome II, p. 3ii.
(3) Nowaïri rapporte, d'après le sheîkh Aboul'-Hasan, que
Malmoun était ûls de Daïsan; dans ces conditions, Abd-Allah i
serait son petit-fils et non son neveu (Cf. de Sacy, Exposé de la i
Religion des Druzes, Introd., page GLXYI).
(3) C'est surtout dans les sectes hétérodoxes du Mazdéisme que '
le Dualisme absolu a iini par reléguer au second plan la plupart |
des autres dogmes avestiques. i
(4) De Sacy, Exposé de la Religion des Drnzes, tome I", Introd., i
p. Lxvm.
(5) Ms. ar., 1726, fol. 3 verso : « Les Mages disaient qu'il y a j
deux dieux, le premier, auteur du bien est la Lumière, et l'autre,
auteur du mal, est les Ténèbres. On les appelle également les
Dualistes {Thanaçiyya), » C'est en quelques mots la doctrine expo-
sée dans le premier chapitre du Bundehesh.
— 63 —
lièrement de Vlsmaïlisme, c'est la secte desKarmathes qui
offre le plus de rapports avec celle de l'imposteur Maz-
dak ; c'est en effet une secte purement socialiste et même
communiste, dans laquelle la communauté des femmes
était la règle absolue. L'historien Beîbars-el-Mansouri (i)
dit formellement que les Karmathes étaient des Ismea-
liens qui avaient embrassé les doctrines de Zoroastre en
adoptant les croyances des Mages et des Perses, et qu'ils
se livraient à toutes sortes d'actes infâmes et abominables
défendus par les lois musulmanes.
Après la mort d'Abd- Allah, qui avait été obligé de quit-
ter la Perse pour se réfugier dans la petite ville de Sala-
miyya, en Syrie, son fils Ahmed devint le chef de la secte
et ce fut l'un de ses missionnaires, nommé Hoseîn-Ahvazi,
natif du Khouzistan^ qui convertit Hamdan-Karmath aux
doctrines ismaïliennes.
Suivant Ibn-el-Djaûzi, les Karmathes se disaient tous les
vicaires ou successeurs UUi^ de l'imam Mohammed, fils
d'Ismaîl, fils de l'Imam Djaafer-el-Sadik ; Beïbars-el-
Mansouri dit que « quelques personnes étaient d'avis que
les Ismaïliens ne furent qu'une division des Taalimis et que
Karmath était l'un des partisans d'Ismaîl, fils de Djaafer^
fils de Mohammed, el-Sadik », mais il déclare que cette
opinion n'est pas la sienne et qu'il ne saurait s'y ranger ;
il affirme également qu'il y avait parmi les Karmathes
des gens qui croyaient que Mohammed, fils de la Hanéfite
était le Mahdi, qu'il était le même que Gabriel, que le
Messie et que la Bête de l'Apocalypse qui doit sortir à la
fin des temps (a). Si cette affirmation de Beîbars-el-Man-
(i) Zuhdet el ûkret fi taarikh^l-hidjret, ms. ar. 1573, fol. 97 recto.
(2) Ibid., fol. 97 r*
^^ S^*^\ |.i*^ Uj^yS c,l3 (ilû.^a*xJl) f^Ju JL^ftU^î u' f^S JJ3
G*est dans des termes presque identiques ce qne Féredj, fils
- 64 -
soari est exacte, elle montre qa*iine des sectes des Kar-
mathes n'était en définitive qu'une branche de celle des
Keïsanis, suivant lesquels Timamat serait passé au fils
qu'Ali avait eu de la Hanéfite. Si Ton objectait à cette
affirmation que Mohammed, fils de la Hanéfite, est bien
antérieur à Tépoque des Karmathes et que les sectes ismaï-
liennes, comme d'ailleurs toutes les sectes Shîites, atten-
dent toutes un Mahdi, un imam futur, plutôt qu'elles
n'en reconnaissent un dans le passé, il serait facile de
répondre qu'au témoignage de Bar-Hébreus et d'Ibn-el-
Athir, c'est justement en 270 de l'hégire, six ans seule-
ment avant l'explosion de l'insurrection karmathe, que
parut Féredj, fils d'Osman, le missionnaire du Mahdi
Mohammed, fils de la Hanéfite. De plus, l'historien per-
san Ala-ed-Din-Ala-Mélik-el-Djouvéini raconte, dans le
Djihan-Kusha (i), qu'en l'année 258 de l'hégire, les Keïsanis
qui se trouvaient au Maghreb saluèrent de leurs acclama-
tions le Mahdi fatimite, fondateur de la célèbre dynastie
des khalifes du Kaire. Ces trois renseignements concordent
donc parfaitement. Il est vraisemblable qu'en efi*et, comme
l'afli rme Be'ibars-el-Mansouri, une partie des Keïsanis se ral-
lièrent au grand mouvement karmathe, comme au mouve-
ment mahdiste, parce qu'ils y voyaient le moyen qu'ils
avaient si longtemps cherché de renverser le Khalifat des
Abbassides et de détruire l'orthodoxie sunnite. Il est pos-
sible que plus d'un de ces Keïsanis n'adopta pas, au
moins du premier coup, toutes les doctrines du Karma-
thisme et que, dans ces Karmathes dont parle Beïbars-el-
Mansouri, il faut comprendre non seulement les afiidés de
Hamdan-Karmath, mais aussi tous les Shïites qui furent
leurs alliée; cette évolution d'une partie des Shïites rentre
les vraisemblances historiques. D'ailleurs, il est clair que
certains Keïsanis, lassés par une attente de près d'un
siècle et demi, et désespérant de voir apparaître Moham-
d'Osman, l'homme du Savad de Koufa annonçait dès 370, suivant
Ibn-el-Athir et Bar-Hébreas.
(i) Ms. supp. Pers. 205. fol. 167 verso.
— 65 —
med, fils de la Hanéfite, oat dit se convertir aux opinions
des Karmathes et des Mahdistes. Il ne s'agissait en défi*
nitive pour eux que de changer de Mahdi, et nullement
de renoncer à Tespoir de le voir paraître. Il est certain,
d'ailleurs, que dans la secte karmathe comme dans toutes
les sectes hétérodoxes de Tlslamisme, il y a eu des héré-
sies internes provenant de syncrétismes étranges, opérés
entre les dogmes de sectes voisines ou plutôt entre les
dogmes de fractions de vieilles sectes qui adoptaient ceux
d une secte nouvelle, sans vouloir et sans pouvoir renon-
cer immédiatement et complètement à toutes leurs
croyances et à tous leurs espoirs d'antan.
En définitive, la secte des Karmathes ne fut qu'une
division de la grande secte ismaïlienne caractérisée par
cette croyance, qu'à côté du sens externe des versets du
Koran ou de tout autre livre, il y a un sens interne, éso-
térique et cabbalistique, que l'on ne peut arriver à saisi»»
que grâce à une science particulière.
Il en était de même des Khourrémis qui, au dire de
Beïbars, suivaient les mômes règles qu'une des sectes des
Mages sous le règne de Kobad et qui permettaient l'in-
ceste et la communauté des femmes (i). On ne peut
désigner plus clairement la secte fondée par l'imposteur
Mazdek, celle que Khosrav-Anous hirvân persécuta dès son
avènement au trône. Les Babékis, sectateurs de Babek-el-
Khourrémi, rentraient également dans cette catégorie ; il
y avait dans l'année une nuit oii toutes les femmes étaient
réunies avec les hommes ; ils se jetaient sur elles et emme-
naient chez eux celles dont ils parvenaient à s'emparer.
(I) Beïbars el-Mansoari voit dans le nom de Khourrémis un
dérivé du mot persan ^y^ khourrem «joyeux ». Il est plus vrai-
semblable qu'il faut y voir un ethnique tiré du nom de la ville
de - i Khourrem, qui est située à une faible distance d'Ardébil,
et sur laquelle on pourra consulter le Dictionnaire géographique
de la Perse, de M. Barbier de Meynard, page 206.
i l^s.^3 ^JJJ) ^j»y^\ (j« Â^U^I jL^ftt yA «xU^U ^)l sUx4 «.^1 ^\ ^ y^
— 66 ^
Les Septénaires (el-Sabei}yèh)y croyaient que les sept pla-
nètes régissent le monde inférieur. A part cette dernière
secte qui semble plus spécialement se rattacher au Sabéïsme
çt à la partie cabbalistique du Soufisme, sans d'ailleurs
que cela l'empêche d'être dérivée du Mazdéisme, les
autres sont toutes iraniennes, et il n'y faut point voir,
comme semble le faire Beïbars-el-Mansouri, des subdivi-
sions de la secte des Karmathes telle qu'elle fut fondée
par Abd-AUah (i); deux d'entre elles au moins, celles
des Khourrémis et des Babékis lui sont certainement de
beaucoup antérieures ; elles se rattachent directement
aux sectes hétérodoxes du Mazdéisme qui naquirent vers
le IV® siècle ; on peut même dire que ce sont, sous des
noms différents et à peine modifiées, les mêmes sectes que
la politique de Khosrav-Anoushirvân n'avait pu anéantir
entièrement. La secte Karmathe elle-même n'est que la
continuation historique des sectes hétérodoxes du Maz-
déisme au même titre que celles des Babékis et des Khour-
rémis.
(i) Zubdet-el'fikret fi taarik-eUhidjret, ms. ar. ibja, fol. 96 verso.
IX
Les commencements de la dynastie fatimite se ratta-
chent directement à la révolution karmathe et à Tinsur-
rection de Maïmoun-el-Kaddah ; aussi est-il indispensable
d'exposer brièvement ces faits si l'on veut rendre claire
l'origine de la dynastie du Mahdi Obeïd- Allah.
« En Tannée 296, dit Rashid-ed-Din dans la Dj ami-eUtéça"
rikh (i), Abd-Allah-ibn-Méïmoun-Kaddah qui était revêtu
des habits du jeûne, de la prière et des œuvres pies (2),
habitait dans le pays d'Asker-Mokrem, à l'endroit
nommé Sabath-Abi-Nouh ; il était fort riche et avait de
très nombreux partisans. Ses ennemis ayant commencé à
le pourchasser, il s'enfuit à Bassora où il demeura dans le
quartier des Béni-Okeïl ; de là, il se réfugia dans le Kou-
histan et dans l'Ahvaz où il commença sa prédication ; il
envoya ses lieutenants dans l'Irak, à Rey, Isfahan, Ha-
madhan et Koum ; il donna ses instructions à Djaafer
Makhzoum-Abou-Hatem-Ahmed-ibn-Hamdan-er-Razi (3)
qui convertit un grand nombre d'individus à sa doctrine
parmi les habitants du Deïlem ; Merdavidj, prince du
Ghilan se rallia à lui; il donna également ses instructions
àIbn-Souvadèh. Parmi les premiers missionnaires du Kho*
rasan furent d'abord Khélef, et Abou-Abd-AUah-el-Kha-
dim qui furent envoyés par les enfants de Meïmoun-el-
Kaddah; après eux il y eut Abou-Saïd-el-Shaarani, et
(i) Ces événements sont racontés par Rashiii ed-Din avec une
exactitude et une clarté qu'on ne retrouve pas dans tous les
ouvrages qui traitent de Thistoire, d'ailleurs si embrouillée, des
Patimites, des Karmathes et des Ismaïliens, et surtout des rela-
tions de ces différentes sectes entre elles.
(3) Originaire de la ville de Rey, ou habitant dans cette ville
depuis fort longtemps.
— 68 —
ensuite Aboul-Hasan-Ali-el-Mervroudi (i), qui vécut à
l'époque de Nasr, fils d'Ahmed le Samanide, souverain
du Khorasan, dont le Vizir était Mohammed-ibn-Mousa-
el-Balkhi ; le prince et le vizir laissèrent la prédication se
répandre dans le Khorasan, dans Tespérance de fortifier
leur pouvoir et de donner de l'éclat à la dynastie Sama-
mide (2).
Un missionnaire fut ensuite envoyé dans le Seistan,il se
nommait Ishak-Sindjari et portait le surnom de g^w>a>> ;
il fut assassiné par ordre de Khélef-ibn-Ahmed-Sindjari.
Un autre missionnaire fut envoyé dans le Khorasan, il
se nommait Abou-Mohammed-el-Moueddeb. A cette épo-
que, parut dans cette province un homme nommé Moham-
med-ibn-Hasan, qui se fit passer pour inspiré du ciel et
qui se rendit à Talékan et dans le Khorasan.
A Alep et à Damas, parut également un homme qui
disait être le Messie Jlit c-^r^Lo ; il se mit à prêcher les
populations qui acceptèrent ce qu'il dirait. Il convei'tit
ainsi une partie de la Syrie et délégua ses pouvoirs à Abd-
el-Mélik-Kaukébi et à un nommé Ishak qui habitait la
ville de Rey. Abd-el-Mélik s'installa à Girdèhkouh. Sur
ces entrefaites, Hoseïn-ibn-Ali-Mervroudi mourut subite-
ment et fut remplacé dans le Khorasan par Mohammed-
ibn-Ahmed-Nakhshébi. Ce personnage se rendit dans la
Transoxiane et demanda à l'émir du Khorasan, Nasr-ibn-
Ahmed, le Samanide de se convertir. Le souverain répon-
dit favorablement à ses avances.
(i) Originaire de la ville de Merv er Roud.
(2) Ce qui n'empêchait point les souverains de celte dynastie de
se proclamer les vassaux du Khalifat abasside et de faire grand
étalage du respect qu'ils ressentaient pour lui toutes les fois qu'ils
le pouvaient. Gela seul suflirait à montrer combien la position
des pontifes de Bagdad était précaire et ce fait prouve assez que
ces dynasties sur lesquelles ils étayaient leur autorité étaient le
roseau de la Bible qui était toujours prêt à leur percer la main.
On peut lire dans le Siassei-Nàmèh du vizir Nizam-el-Moulk
(trad. Ch. Schefer, chap. XL VIII, page 274)» comment les Bathé-
niens faillirent s'emparer du Khorasan et comment les Samanides
parvinrent à s'en débarrasser.
- 69 -
Le missionnaire prit une telle influence sur Fesprit de
Témir Samanide que ce dernier ne put désormais se
passer de ses conseils. Quand l'émir Nasr mourut, son
fils lui succéda et fit mettre à mort tous les partisans et
les amis de Mohammed-ibn-Ahmed-Nakhshébi(i).
Abd-AUah-ibn-Meïmoun-Kaddah étant venu à perdre
son père, se rendit en Syrie et se fixa à Salamiyya, à qua-
tre fersengs de Homs. Il envoya des missionnaires de
tous les côtés et mourut dans cette même localité. Il eut
pour successeul* son fils Ahmed -ibn-Abd-AUah. Abou-1-
Kasem-ibn-Djoushem (2) ibn-Zaran(ou Zadan) el-Toudjd-
jarqui habitait Koufa et Mohammed-ibn-Fadl-el-Témimi
se rendirent avec une foule considérable de gens en pèle-,
rinage au mausolée d*Hoseïn, fils d'Ali.
« Les Ismaïliens (3) envoyèrent deux individus dans le
(i) Ceci rappelle tout à fait ce qui se passa en Perse à Tépoque
sassauide quand le roi Kobad fut séduit par les doctrines anar-
chistes de Mazdeket quand son iils Khosrav, à peine arrivé au trône,
s'empressa de faire massacrer Timposteur avec tous ses parti-
sans.
(a) Il semble que le Djikân-Kousha, (ms. supp. persan 200, folio
167 v«) donne à ce mot la forme Djoust ou Djousht *-^^y^, le ma-
nuscrit ne portant pas de points diacritiques, il est impossible de
dire quelle était la forme primitive.
(3) Je tire cette partie historique d'un des chapitres de la
Djami'eUtévarikh de Rashid-ed-Din. Ces événements y sont
racontés avee une exactitude et une clarté que Ton n'est pas habi-
tué à trouver dans les ouvrages qui traitent de l'histoire d'ail-
leurs très compliquée des Fatimites, des Karmathes et des
Ismaïliens et surtout des relations mutuelles de ces branches
d'une même hétérodoxie. L'auteur du DJihân-Kusha donne une
version différente de ces événements, je la reproduis ici suc-
cinctement; bien qu'elle soit moins complète que le récit de Uashid
ed-Din, il est bon d'en tenir compte (ms. supp. persan !k>5, folio
i57 v'j. « Au milieu de l'insurrection karmatlie, un individu qui
était Tun des missionnaires «oUâ des Ismaïliens et qui descen-
dait d* Abd-AUah-ibn-Meïmoun-Kaddah vint à Koufa et dans
l'Irak ; il était accompagné d'un enfant et dit : « Je suis le mis-
sionnaire de l'Imam et la venue de llmam est proche! » Il envoya
on homme appelé Ibn-el-Kasem, Uls de Djousht (?) dans le Yémen,
pour s'y livrer à la prédication <XâS KL>y&^ Ij; il lui ordonna d'en-
— 70 —
Maghreb ; Tun d'eux s'appelait Halvani et l'autre Abou-
Sofîan ; on leur dit : « Le Maghreb est un désert ; cultivez^
le et labourez-le pour que nous y allions faire les semailles
et que nous en emportions la moisson ; » L'un se rendit dans
le pays de Kétama, l'autre à Souk-el-Khames ; ils surent
se concilier les gens de cette contrée et s'en faire des amis,
puis ils leur prêchèrent leur doctrine. Tous les deux mou-
rurent dans les contrées du Maghreb. A cette époque
Abou- Abd- Allah-Hasan - ibn - Ahmed - ibn- Mohammed - el -
Zakariya, connu sous le nom d'el-Shîi, se trouvait à Sanaa
dans le Yémen, avec Abou'1-Kasem-ibn-Djoushem dont il
était l'un des meilleurs officiers. Quand Abou-'l-Kasem
apprit la mort de Halvani et d'Abou-Sofian, il dit à Abou-
Abd-AUah-Shïi : « Halvani est allé dans le Maghreb, il y
voyep des missionnaires de tous les côtés. Ce Belkasem se livra à
une propagande effrénée et lit un grand nombre de prosélytes. Il
envoya dans le Maghreb un individu nommé Bou-Abd-Allah-Soull
Mohtésib, qui s'était converti à ses croyances, pour répandre sa
doctrine dans ce pays. Les habitants du Maghreb s'étant conver-
tis, il écrivit au petit-fiis de Meïmoun-el-Kaddah qui vint dans ce
pays. Abou-Abd- Allah se rendit au devant de lui et lui dit : a Je
gouverne le pays comme ton lieutenant, maintenant que tu es
venuy c'est à toi de commander. » Le petit-iils de Meîmoun
répondit : a J'ai dit anciennement que j'étais le missionnaire de
l'Imam, parce que les temps messianiques n'étaient pas encore
venus, mais aujourd'hui qu'ils sont arrivés, je proclame que c'est
moi qui suis l'Imam, car je descends de Djaafer-el-Sadik. » C'est
alors qu'il prit le nom d'Abd-Allah>ibn-el-Mehdl et qu'il appela
son fils el-Kaïm-b i-amr- Allah-Mohammed . Il régna comme kha-
life et les Maghrébins le reconnurent comme tel ainsi que les Keï-
sànis, partisans de l'imamat de Mohammed, iils de la Hanéflte.
Cela se passait en l'année 268. »
Ala-ed-Din-Ata-Mélik dit que lorsque ce prince se vit au faîte
des honneurs, son ardeur se ralentit et que le missionnaire Bou-
Abd-AUah-Soufi eut des doutes sur son compte. Cette phrase
n'est point claire et l'on ne sait pas si l'auteur persan veut dire
que Soufi douta de la légitimité de sa mission ou plus simple-
ment s'il se demandait si le p6tit-fils de Meîmoun était bien
l'homme qu'il fallait pour la remplir. Quant au frère de Bou-Abd-
Allah, qui se nommait Yousouf, il songea à lever l'étendard de
la révolte. Le Mahdi craignant pour son autorité, lit massacrer
Bou-Abd-Allah-Soufi et son frère Yousouf.
— Jt —
a défriché la terre de Kétama ; Aboa-Sofiau Va ensemencée,
et voilà que tous les deux sont morts. Gomme cette terre
a été mise en valeur, j'ai décidé que tu t'y rendrais avec
des gens pour y faire la récolte. » Abou-Abd-Allah s'inclina
respectueusement devant l'ordre de son chef et partit du
Yémen ; il se rendit à la Mecque et de là il se mit en che-
min pour gagner Kétama. »
Cet Abou-Abd-Allah était un homme très intelligent et
très adroit et de plus, il était versé dans la connaissance des
sciences ou plutôt des prétendues sciences divinatoires, ce
qui est très utile avec les Musulmans, surtout avec ceux
du Maghreb. Il connaissait également les différentes reli-
gions et savait parler les dialectes de l'Afrique occidentale
ainsi que la langue des Berbers, de telle sorte qu'il était
parfaitement au courant de l'état politique et religieux de
l'Afrique du Nord.
L'auteur du Destour-el-monadj djimin (i) dit que Abou-
Abd-Allah entra dans l'Ifrikiyya en l'année 296 de l'hégire,
cent trente-cinq années après que les premiers pionniers
de l'Ismaîlisme y furent allés porter les doctrines de la
secte ; le succès lui était d'ailleurs prédit, car on lui avait
dit : « En l'année 96, il t'arrivera une chose merveilleuse. »
4fA3[5^l v^Lû'l) ^^^juumjJI^ icL^JI^. Il annonça aux Berbers qu'un
Mahdi allait paraître parmi eux et, suivant l'expression
de Rashid-ed-Din^ ses discours affables et bienveillants lui
donnèrent un grand ascendant sur ces populations à
l'esprit simpliste. Le prince aghlébite de l'Ifrikiyya,
Ibrahim, fils d'Ahmed, fils d'el-Aghleb, ayant appris ces
faits, envoya demander au gouverneur delà ville de Milèh
quel était cet homme dont la réputation s'était si vite
répandue dans l'Afrique du Nord. Le gouverneur répondit
à son maître que c'était un derviche qui se livrait à la pré-
dication religieuse ; il faut croire qu'il ne paraissait pas
bien dangereux, car le prince ne prit aucune mesure
d'expulsion contre lui. Quand Abd-Allah se vit en sûreté
(i) Texte publié par M. de Goeje, Mémoires sur les Carmathes
du JBahrain et sur les Fatimides, page 3o3«
- 7^ —
de ce côté, il dit : <x Maintenant qu*Abou-Sofian et Halvani
ont labouré, moi je vais semer. » Les Berbers de Kétama
étaient divisés en deux troupes, dont Tune était hostile à
Abd- Allah et cherchait à le tuer, mais le missionnaire sut
échapper à toutes les embûches et, comme le dit Rashid-
ed-Din, il échappa à leurs yeux, comme les fées se déro-
bent aux yeux des démons. Cette persécution n'entrava
point son apostolat et il prodigua l'argent, de telle
sorte qu'il se fit en peu de temps un grand nombre
d'adhérents. Quand il se vit à la tête d'une armée suffi-
sante, il marcha sur Milèh dont le gouverneur Tavait jugé
quelque temps auparavant comme un être à peu près inof-
fensif, dans l'intention de s'en emparer; le prince aghlé-
bite envoya immédiatement un corps de troupes pour le
repousser. Abd-AUah dit alors aux Berbers : « Voici le
moment où va venir le Mahdi, car il est dit que lorsque
cette guerre sera terminée, il apparaîtra! » Quand les
missionnaires de la secte qui étaient restés en Orient
apprirent ces événements, ils dirent à Abd-AUah, fils
d'ismaïl, qu'il devait se rendre à Kétama dans le Maghreb
pour porter secours à Abd-AUah-el-Meshréki (i) qui allait
avoir à lutter contre les forces de tous les souverains de
l'Afrique du Nord. Les Shïites se préparèrent à passer
dans ce pays, aussi le khalife abbasside el-Moktafi^-biUah
ordonna au gouverneur du Kaire, Isa-el-Bousiri, de se
saisir de tous les Shïites qu il trouverait dans cette ville.
Le gouverneur s'empressa de mettre des espions partout
pour obéir à l'ordre de son souverain ; or, parmi les poli-
(i) Les divers historiens musulmans donnent à ce personnage
tous les surnoms possibles, de telle sorte qu'il est souvent fort dif-
cile de retrouver le • fil de leur récit. Abd-Allah-Meshréki, Abd-
Allah-Shii, Abd-AUah-Soû, Abou-Abd-Allah-Sofi, Meshréki, Shïi
sont un seul et même personnage auquel les chroniqueurs ont
donné, des surnoms diilérents qui se rapportent à diverses circons-
tances de sa vie religieuse ; l'un d'entre eux montre que cet Abd-
Allah appartenait* en même temps qu'à l^mallisme, à la célèbre
secte mystique des Soutis ; c'est là im fait d'une extrême impor-
tance, moins pour l'étude de Tlsmaïlisme que pour celle du Sou-
fisme, et j'aurai Toccasioud'y revenir bientôt dans un autre tcavail
- 73 -
ciers dlsa-el-Bousiri, il y avait un individu qui était affilié
à une secte shïite ; il s'empressa de prévenir ses coreligion-
naires des mesures qui allaient être prises contre eux et il
leur conseilla de quitter sur le champ le Kaire et l'Egypte.
Ils s'empressèrent de le faire et emportèrent avec eux leur
argent.
Suivant une autre version, rapportée également par
Rashid-ed-Din, Isa-el-Bousiri ne fut pas absolument
étranger à l'avis qui fut donné aux Shïites d'Egypte. Quoi
qu'il en soit, le personnage qui devait être le Mahdi
Obeïd- Allah, se rendit avec plusieurs marchands à Alexan-
drie et il alla trouver le chef des Deilémites, Ali, fils de
Wohoudan, qui était un descendant du Prophète et qui
s'était retiré dans cette ville pour échapper à ses ennemis.
Il lui dit qu'il était venu chercher un asile auprès de lui ;
Ali, fils de Wohoudan, l'envoya, habillé en marchand, à
Tripoli de Barbarie pendant que le khalife abbasside
el-Motaded qui avait succédé à el-Motamed écrivait
une lettre au prince de Sédjelmasa pour l'avertir de ce qui
venait de se passer ; heureusement pour les Shïites, ce
prince, soit qu'il ne crut point à l'imminence du danger,
soit par négligence, ne tint aucun compte de l'avis du kha-
life abbasside. Au même moment, Abou-Abd- Allah, le
missionnaire, demeurait parmi les Berbers qu'il conver-
tissait à ses croyances ; Obeïd-Allah lui envoya son frère
Aboul'-l-Abbas à Kétama pour l'aider dans le comman-
dement de l'armée berbère à la tête de laquelle il se trou-
vait.
Ils s'emparèrent de la capitale de l'Ifrikiyya ainsi que
d'un butin immense; Zyadet- Allah,, fils d'el-Aghleb-el-
Ifriki (i) dut évacuer la célèbre ville de Kaïrawan et les
troupes d'Abou-Abd-AUah-Meshréki eurent bientôt fait de
s'en emparer; au mois de Rédjeb de Tannée 296, Kétama
avec tout le Maghreb recoûnaissait son autorité. Quand
(i) Les souverains Aghlabites reconnaissaient la suzeraineté des
khalifes abbasides de Bagdad. (Djiliàn-Kiisha, ms. supp. Persan
ao5, folio i58 recto.)
- 74 -
le missionnaire ismaïlien put se rendre maître de Sedjel-
masa, le Mahdi venait d'atteindre sa trente-septième année.
Il ne tarda pas à tout diriger par lui-même et à ne laisser à
Abou-Abd-Allah-el-Meshréki et à son frère Abou'-l-Abbas
qu'tine autorité très secondaire ; cette mesure blessa profon-
dément ces deux hommes sans lesquels la cause des Shîites
n'aurait évidemment pas fait grand progrès dans le
Maghreb, mais elle n'empêcha point les gens d'accourir
en foule auprès du Mahdi Obeïd- Allah, ce qui était en
définitive tout ce qu'il demandait.
Là encore, ceux qui avaient été les artisans de la pre-
mière heure et qui avaient sacrifié sans hésitation toute
leur vie à un apostolat des plus rudes, au milieu des pires
dangers, ne trouvèrent que l'ingratitude la plus révol-
tante comme prix de leurs efforts.
Un jour, le Mahdi, oubliant tout ce que les Shîites et
lui-même devaient à Abd-Allah, demanda au peuple :
« Ne suis-je point votre imam ? — Certainement si, lui
répondit-on. — Vous m'avez juré fidélité et obéissance
absolue ? » Les Berbers lui dirent que oui. « Eh bien, leur
commanda-t-il, tuez ce vieillard Abou- Abd-Allah ! (i)
— Je ne mérite point que tu rendes une pareille sen-
tence contre moi, s'écria le vieux missionnaire. — Et moi,
répliqua le Mahdi Obeïd-AUah, je ne pourrai jamais
mener mes affaires à bon port et jusqu'au bout tant que
tu vivras ! » Les Berbers, dit Rashid-ed-Din, se précipi-
tèrent sur le malheureux comme des loups affamés et le
massacrèrent.
Il est certain qu'Abou-Abd-Allah avait fait, dans les
derniers temps, une opposition très vive au Mahdi et que
ce dernier n'était pas homme à le lui pardonner; il n'y
faut point voir, à mon avis, la preuve qu'Abou-Abd-Allah
considérait Obeïd-AUah comme un faux descendant d'Ali,
mais uniquement le dépit d'un homme qui sentait son
œuvre lui échapper et qui voyait qu'un autre n'avait qu'à
étendre la main pour recueillir les fruits de tous ses efforts.
(i) Cette phrase est en arabe dans le texte de*Rashid-ed-Din.
- ^5- -
En tout cas le crime est inexcusable, même si ce fut lui
qui permit aux Shïites de s'emparer de la vallée du Nil et
d'y fonder un puissant empire.
D'après les historiens musulmans, la venue du Mahdi
Obeïd-AUah avait été formellement prédite aux premiers
jours de l'Islam par le Prophète qui avait dit : « A l'aube
de la trois-centième année, le soleil se lèvera à son occi-
dent. » l^yu ^ fj,^\ ^Xk) ioUUUJI ^!; Jl^ (i)-
Us déclarent que cette étrange prédiction ne peut être
interprétée autrement ; j'ignore sur quels faits ils s'appuient
pour être aussi affirmatifs, le calcul du djomâl, appliqué
à ^jM^I et aux différents noms du Mahdi ne m'a donné
en effet aucun résultat.
Les historiens partisans de la légitimité de la dynastie
(i) Celte même année, dit Tauteur du Destour-el'inonadjdjimin
<texte publié par M. de Goeje, dans son Mémoire sur les Carma-
theSf p. 202], trois nuits du mois de Dhou'lkaada étant passées,
Ibrahim, iils d'Ahmed, TAghlcbite, mourut après être sorti de
lllrikiyya; avant sa mort et pendant cinq jours les étoiles tom-
bèrent du ciel; sur ces entrefaites, le Précurseur ^^^lâ «ç^^^U» mourut
et transféra l'imamat à el-Mahdi ; c'est ainsi que se trouva vérifiée
cette parole : c A l'aube de la trois centième année, le soleil se
lèvera à son occident. » Saadi dans son Gulistan s'est servi d'une
façon bien ingénieuse de cette tradition dans l'histoire légère-
ment scabreuse du kadi d'Hamadhan à qui il fait dire : « La porte
du repentir ne sera pas fermée pour les serviteurs d'Allah jusqu'au
moment où le soleil se lèvera à son occident. » {GalistaUf chapitre V,
histoire ao.)
Le mot shems, soleil étant en arabe du féminin, c'est a ce mot que
se rapporte le suflixe pronominal féminin ha de maghréhihâ;
l'expression « l'occident du soleil » s'emploie dans la bonne lit-
térature pour dire le couchant. Je donnerai comme exemple
ce vers cité par Yakout el-Hamavi dans son traité de géographie
intitulé Modjem el-bouldan :
« Et nous avons donné le pays de Roum et la Syrie jusqu'au soleil
couchant au superbe Selm. » (Tome 1, page 4i8.)
- 76 -
fatimite rapportent plusieurs aventures miraculeuses qui
seraient arrivées au Mahdi Obeïd- Allah au cours de sa
mission et qu*il serait trop long de mentionner ici; la
plus étrange est la suivante : durant la campagne qui
se termina par la prise de Misr, et très peu de temps
avant cette date, le Mahdi était assis un matin dans sa tente
quand un chien s'approcha de lui et le regarda bien en
face; il ordonna à ses émirs de faire entourer cet animal
de soldats et de l'exciter de telle façon qu'il passât le Nil
à la nage ; il leur recommanda en même temps de le suivre.
Ils exécutèrent ses ordres ; le chien se précipita dans le
fleuve, les soldats s'y jetèrent sans hésiter après lui et
quand les habitants de Misr virent les troupes du Mahdi
si près d'eux, ils leur livrèrent la place sans songer à
résister plus longtemps.
X
Les historiens orientaux sont loin de s'accorder sur la
généalogie du Mahdi fatimite, et plusieurs d'entre eux
pensent qu'en réalité Obeïd- Allah ne se rattache nullement
à l'auguste famille du Prophète, mais qu'il n'était qu'un
aventurier, fils d'un de ces Shïites de Perse qui avaient
entrepris de détruire l'Islam, ou plutôt d'en faire un régime
communiste et anarchiste. Cette question n'a d'ailleurs
qu'une importance très secondaire; en effet, les Shiites,
comme les Soufis, ont toujours eu une conception extrême-
ment élevée du droit divin, à laquelle les dynasties euro-
péennes n ont jamais atteint : la parenté matérielle, tem-
porelle, s'il est permis de s'exprimer ainsi, était à leurs
yeux, et à juste titre, bien inférieure à la parenté spiri-
tuelle, qui seule peut conserver la longue tradition politi-
que et religieuse d'un parti ; la parenté matérielle n'est
en réalité qu'un accident, tandis que la seconde est
le résultat de la volonté. Il n'y a pas à douter qu'il y ait
eu dans les ordres de Derviches, tels que les Nakhshibendis
oulesMaulévis, une continuité de traditions que l'on cher-
cherait vainement dans n'importe quelle famille souve-
raine d'Occident. Aussi, quand Obeïd- Allah déclarait qu'il
était le descendant spirituel de lïmam, il ne faisait qu'ex-
primer une idée courante dans les sectes shïites, et très
raisonnable pour leurs adeptes ; seuls les historiens sun-
nites ne l'ont pas comprise ety ont vuun accaparement de
parenté qui n'a jamais existé dans la pensée du Mahdi, s'il
n'était pas réellement, comme il l'affirmait, le descendant
authentique d'Ali. Cette opinion est d'ailleurs compré-
hensible chez des sectaires anti-alides ; elle l'est moins
chez les historiens occidentaux, peu au courant de
ces questions, et qui méprisent profondément le Sou-
fisme, sans se douter qu'il est presque tout l'Islamisme.
- 78 -
Ils ont adopté toutes faites les rancunes et les parti-pris
des Sunnites sans se demander s'ils ne s'étaient pas laissés
entraîner au-delà de la vérité, et même de la vraisem-
blance, par leur rage contre les Alides.
Quoi qu'il en soit, voici la généalogie officielle duMahdi
Obeïd- Allah, celle qu'il reconnaissait comme la seule véri-
table : Obeïd- Allah, fils d'Hasan, fils d'Ali, fils de Moham-
med, fils d'Ali, fils de Timam Mousa, fils de l'imam Djaa-
fer, fils de l'Imam Mohammed, fils de l'Imam Ali, fils de
rimam Hasan, fils de l'imam Ali, fils d'Abou-Taleb (i).
Cette généalogie rencontrait plus d'un incrédule, même
en Egypte, àTépoque de la toute-puissance de la dynastie
fondée par le Mahdi ; on y racontait volontiers que lors-
que Moêzz, le quatrième khalife fatimite, était entré au
Kaire, le chef des Alides s'était rendu au-devant de lui et
l'avait prié de lui donner des preuves de sa noblesse (2).
Le Fatimite lui aurait alors montré son sabre en lui jetant
une bourse, et lui aurait dit : « Voici ma généalogie et
voilà ma noblesse. »
Cette histoire est parfaitement invraisemblable et, jus-
qu'à preuve du contraire, il est permis de croire que si
Moëzz-li-din-IIlahavait eu de pareils doutes sur sa noblesse,
ce dont nous ne savons rien, il se serait empressé de n'en
point faire part au chef des Alides du Kaire. Dans son mé-
moire sur les Karmathes du Bahrem,M. de Goëje, repre-
nant une théorie qui avait été émise en i836 par Quatre-
mère dans le Journal Asiatique, rejette ccHume une
fable inventée à plaisir la généalogie qui fait du Mahdi
Obeïd- Allah un descendant du fils d'Abou-Taleb. Suivant
(i) De Sacy, Exposé de la Religion des Drnzes, Introd, p.
CCCGXXXIX.
(a) La noblesse, chez les Musulmans, consiste uniquement dans
le titre de descendant du Prophète, c'est-à-dire, en d'autres termes,
qu'il n'y a que les Alides qui soient nobles, et c'est pour cette
raison qu'ils ont toujours réclamé la souveraineté. Ni les Omey-
yades, ni les Abbasides, n'étaient nobles, au sens musulman, ils
détenaient le pouvoir et régnaient sur llslam, mais sans y avoir
aucun droit.
— 79 —
lui, la fausseté des prétentions des Fatimites n'était en
Orient un sujet de doute pour personne. Telle n'était point
cependant l'opinion des trois meilleurs historiens musul-
mans sunnites, et certainement les plus consciencieux :
Aboulféda, Taki-ed-Din-Ahmed-el-Makrizi (i) et Ibn-Khal-
doun. Gomme le dit fort bien le second de ces auteurs, que
Renan appelait à juste titre l'un des esprits les plus judi-
cieux de l'Islamisme, les descendants authentiques d'Ali
étaient très nombreux dans toute l'Egypte et dans les deux
Maghreb; les Shïites avaient pour eux un respect qui
tenait du fétichisme; comment dans ces conditions,
' auraient-ils reconnu comme Imam un homme qui n'aurait
point réellement été lui-même un Alide ? Il ne faut pas
croire qu'il fut très difficile, au commencement du iv® siè-
cle de l'hégire, de faire la preuve d'une généalogie alide;
plus tard, à l'époque des Idrisites et des Sultans Shérifs
du Maroc, ce fut une tout autre question, parce qu'évi-
demment les généalogies s'étaient embrouillées et que
des interpolations avaient pu s'y glisser. Ibn-Khaldoun,
qui fut également l'un des esprits les plus distingués de
l'Islamisme, l'un des très rares Musulmans qui aient vu
dans l'histoire autre chose qu'une sèche énumération d'évé-
nements et de dates, et qui en aient fait une étude philoso-
phique, est aussi d'avis que les Fatimites descendent très
réellement d'Ali (2); ces deux témoignages, d'ailleurs très
désintéressés puisque les deux auteurs qui les émettent
étaient sunnites, et même très sunnites, surtout Ibn-Khal-
doun, ont beaucoup plus d'importance que M. de Goëje
n'est porté à leur en attribuer.
La plupart des généalogistes partisans de la légitimité
alide des Fatimites et, à mon sens, les seuls qui soient dans
la vérité historique, font descendre le Mahdi Obeïd- Allah
d'un fils de Mohammed, fils d'Isma'il, fils de l'imam
(i) De Sacy, Chrestomatie Arabe, tome II, première partie,
pages 88 et suivantes.
(a) Prolégomènes ^ trad. de Slane> Notices et Extraits, t. XIX»
p. 40.
— 8o —
Djaafer-el-Sadik, nommé Abd-AUah. M. de Goêje refuse
d'admettre cette généalogie parce que chez plusieurs
auteurs, Abd-AUah ne parait pas dans la liste des Ois de
Mohammsd-ibn-Ismaïl ; c'est ainsi que le célèbre historien
arabe Mohammed-ibn-Djérir-el-Tabari est d'avis que
Mohammed-ibn-Ismaïl n'a jamais eu de fils nommé Abd-
Allah.
Comme on l'a vu un peu plus haut, l'auteur du Destour-
eUmonadjdjimîn ne dit pas lequel des six (ils de Moham-
med-ibn-Ismaïl, Djaafer, Ismaîl, Ahmed (r), Hoseïn, Ali
et Abd-er-Rahman, il regarde comme l'imam légitime.
Je suis assez porté à croire que cet Abd-AUah, ancêtre
du Mahdi, est le même personnage que l'Abd-er-Rahman
du Destour'el'monad/djlinîn, fils de Mohammed-ibn-
Ismaïl, et que l'autre Abd-er-Rahman dont il parle, sans
que l'on sache au juste où l'intercaler dans la descendance
de Mohammed-ibn-Ismaïl (2).
L'auteur du DJihan-Kusha(3)j Ala-ed-Din-Ata-Mélik-el-
Djouveïni, qui me paraît plus clair que le Destour-el-
monadjdjimîn et que toutes les autres chroniques, dit que
d'après les Ismaïliens, il y eut trois imams cachés qui
se nommaient Mohammed, Ibn- Ahmed, Ibn-Léis, et qui
étaient surnommés Radi, Raki et Taki ; de plus, le Mahdi
(i) Ahmed, le cinquième des imams cachés, occupait ilmamat
vers Tannée 278 de l'hégire ; de Sacy, Exposé de la Religion des
Druzes, Introd.y p. LXVIi.
(2) Il y a en effet des exemples de cas où, dans un nom com-
posé de Abd « esclave de » et d*un des 99 adjectifs qui dési-
gnent les atlributs d'Allah dans le tesbih, Rahman, Kérim, etc.,
•cet adjectif est remplacé par le mot Allah qui à lui seul, au point
de vue théologique, a la valeur totale de toutes ces épithètes;
autrement dit Abdel-Rahman, Abd-el-Kérim, Abd-el-Ghaffour,
peuvent devenir simplement Abd-Allah. Je ne dis pas qu'il y a
beaucoup d'exemples de ce fait, mais il y en a. Je citerai le sui-
vant : rhistorien d*Alep, Kémal el-Din ibn el-Adim, (ms. ar. 1666,
folio 171 v«), nomme el-Mokaddem Abd-Allah, un émir syrien
auquel Ibn el-Athir (Historiens orientaux des Croisades) donne le
nom d'el-Mokaddem Abd el-Mélik, ce qui prouve suflisamment
l^xistence de ce procédé.
(3) Man. Supp. Persan 2o5, folio i58 t«.
— 8i -•
Obeîd- Allah était le fîls de rimam Taki; dans ces condi^
tions, il est bien évident, malgré le silence d'ailleurs
inexplicable du Destoar-eUmonadjdjimîn, que les Ismaï-
liens considéraient l'Imamat comme s'étant transmis
directement de Djaafer-el-Sadik à Ismaîl, puis à son fils •
Mohammed, puis aux trois imams cachés, et enfin au
Mahdi Obeïd-Allah"
Cette généalogie se trouve énoncée d'une façon beau-
coup plus claire dans le Mokaffa de Taki-ed-Din Ahmed
el-Makrizi et dans un passage d'un historien qu'lbn-Khal-
likan cite sans le nommer, et dont l'opinion est également
rapportée par Aboul-Mahasen dans le Nodjoum ; d'après
cette généalogie, le Mahdi Obeïd-Allah est fils de l'imam
Taki, petit-fils de l'imam Wafi, et arrière-petit-fîls de
rimam Radi ; ces trois imams cachés étant nommés el-
mestourin fi zat Allah, « ceux qui sont cachés dans l'es-
sence d'Allah », et l'imam Radi étant le même personnage
qu'Abd- Allah, fils de Mohammed, fils d'Ismaïl, fils de
Djaater-el-Sadik. Makrizi donne à l'imam Taki le nom
d'Hosein, et à l'imam Wafi celui d'Ahmed.
Un auteur nommé le sheïkh Abou-'l-Nasr-el-Bokhari dit
bien que la généalogie des khalifes fatimites n'est point
fixe (i); cela ne signifie nullement qu'ils ne descendent
point de Fatima, mais simplement, comme le dit Ibn-
Khallikan, qu'on ne s'accorde point sur quelques-uns des
personnages intermédiaires entre Fatima et le Mahdi
Obeïd-Allah. L'auteur de cet ouvrage, qui est un Shïite
convaincu, dit en effet, et formellement (2), qu'Obeïd- Allah
se nommait Abou-Mohammed-ibn-Mohammed-el-Hébib-
(i) Ms. ap. 2021, fol. 143 V».
(2) Ms. ar. 2021, fol. i34 p*. D'autres généalogies rapportées par
Rashid ed-Din dans la Djami el-tévarikht le font descendre 'de
Djaafer el-Sélami, 111s de Mohammed, ûls dlsmaîl, fils de Djaafer
el-Sadik ; d'après une autre, plus curieuse encore, il serait le des-
cendant de Mohammed-el-Hébib, fils d'Abd-Allah, fils de Meîmoun-
Mohammed, fils d'Ismaïl, fils de Djaafer el-Sadik. On voit que
cette dernière généalogie combine la généalogie réelle des Alides
et celle de Ma'imoun el-Kaddah, le fondateur de la secte des Karma-
— Sa — ^
ibn-Djaafer-ibn-Mohammed-ibn-lsmaïl, et d'autres généa-
logistes en font le fils de Djaafer, fils d'Hoseîn, fils d'Ha-
san, fils de Mohammed, fils de-Djaafar-el-Sha'ïr, fils de
Mohammed, fils d'Ismaïl. La première de ces deux généa*
logies est celle qu'adopte le célèbre historien berber
Ibn-Khaldoun. ^
L'auteur de V Histoire de la ville de Kaïrawan, cité par
Aboul-Mahasen dans son Histoire d'Égjypte, admet une
généalogie suivant laquelle le Mahdi Obeïd- Allah est fils
d'Hoseïn, fils d'Ali, fils de Mohammed, fils d'Ali er-Razi,
fils de Mousa el-Kazem, Timam, qui dans le Shïisme
orthodoxe, succéda légalement à son père Djaafer-el-
Sadik après qu'Ismaïl eût été déshérité. Cette généalogie
est celle d'un groupe de partisans des Fatimites non
Ismaïliens.
On voit qu'en définitive les auteurs orientaux les plus
sérieux, généalogistes de métier ou historiens, s'accor-
dent pour faire du Mahdi Obeïd-AUah le descendant
du fils de l'imam Djaafer-el-Sadik ; cela a une impor-
tance tout autre que les quelques divergences qui existent
entre la partie de cette généalogie qui s'étend depuis
Djaafer-el-Sadik jusqu'au Mahdi ; car il faut bien remar-
quer que la plupart de ces personnages intermédiaires
sont parfaitement inconnus et qu'en tout cas, ils n'eurent
qu'une importance des plus secondaires ; ce fait sufiit à
expliquer la divergence des généalogistes sur ce point.
Nous allons examiner maintenant la généalogie du
Mahdi Obeîd- Allah qui est donnée par les ennemis des
khalifes fatimites, et qui a fort bien pu être forgée par
eux de toutes pièces ; il est certain que les khalifes abbas-
sides en particulier n'ont pas dû hésiter à user de ce
procédé pour disqualifier leurs concurrents, et à en abu-
ser, même en ayant en main toutes les preuves de l'au-
thenticité de la descendance alide du Mahdi Obeïd- Allah.
thés, de façon à contenter à la fois les partisans et les adversaires
de l'origine fatimite du Mahdi Obeid-AUah. On va voir en effet
que les antifatimites prétendaient que le Mahdi n'était que te
descendant du célèbre chef Karmathe.
— SS-
II ne faut pas, comme nousledisions plus haut, regarder
comme une preuve absolue de la non-légitimité des pré-
tentions d'Obeïd- Allah, le Mahdi, ce fait que le mission*
naire Abd-AUah-el-Meshréki lui lit une violente opposi-
tion quand il fut arrivé dans le Maghreb ; c'était unique-
ment par qu'il sentait que son rôle était fini et qu'il en
ressentait un dépit très naturel. En tout cas, Abd-Allah-el-
Meshréki aurait été à peu près le seul de son avis, puisque
les Berbers n'hésitèrent pas à obéir au Mahdi quand il
leur ordonna d'assassiner l'infortuné missionnaire.
L'historien arabe Tabari, qui était un sunnite farouche,
rapporte qu'Obeïd- Allah ne descendait nullement d'Ali,
mais du célèbre Meïmoun-el-Kaddah, et qu'il était fils de
Mohammed, fils d'Abd-er-Rahman-el-Basri, originaire de
la ville persane d'Asker-Mokrem, qui aurait habité pen-
dant plusieurs années à Bassora, d'où son nom d'el-
Basri (i). D'après le DJihan-Kusha d'Ala-ed-Din-Ata-Mé-
lik, certains Musulmans du Maghreb disaient que le Mahdi
était un descendant d'Abd- Allah -ibn- Salem -el-Basri,
l'un des missionnaires ou dais de la secte Ismaïlienne (2).
Les généalogistes sunnites ont tout fait pour rattacher
Obeïd-Allah à Meïmoun-el-Kaddah, mais il faut reconnaî-
tre qu'il ont été encore plus embarrassés pour le faire
que les historiens shïites ne le sont, ou plutôt ne paraissent
l'être, pour le rattacher à Ali, fils d'Abou-Taleb. Les gé-
néalogies qu'ils ont dressées sont tout aussi flottantes et
dans ces conditions, on ne voit pas pourquoi, sans parti
pris, on leur accorderait plus de créance qu'aux seconds qui
ont au moins l'avantage de dire des choses vraisembla-
bles et quelquefois raisonnables. Autrement dit, Tabari (3)
donne au Mahdi la généalogie suivante :
(i) De Goëje, Mémoires sur les Carmathes du Bahraïn, p. la.
(2) Ms. Supp. Persan 2o5, fol. i58 r'.
(3) Ala-ed-Din-Ata-Mélik dit dans le Djihan-Kusha qne ce sont
les Musulmans de Bagdad et de llrak qui prétendaient qu'Obeïd-
Allah était le descendant du célèbre révolutionnaire Karmathe ;
par Musulmans de Badgad et de l'Irak, il est bien clair qu'il faut
entendre les sujets sunnites des Abbasides> ennemis jurés des
Fatimites.
- 84 -
Meîmoon-el-Kaddah
Abd-eivRahman-el-Basri (i)
I
Mohammed
Obeïd-AUah
Le Kitab-el'Fihrist (2) indique la généalogie suivante
qui est toute différente :
Meîmoun-el-Kaddah
I
Abd-AUah
\
Mohammed Ahmed Hoseîn
I
Obeïd-AUah-el-Mahdi
D après l'auteur de ce traité, Mohammed et Ahmed
auraient tous les deux succédé à leur père.
L'historien égyptien Nowaïri (3) donne une troisième
généalogie qui est encore différente et que voici :
Meîmoun-el-Kaddah
I
Abd-Allah
I
Ahmed
! .
I ^ I
Mohammed- Abou-Shalaglagh Hoseîn
Obeïd-AUah-el-Mahdi
Cette généalogie du Mahdi Obeîd- Allah, qui est celle
à laquelle Rashid-ed-Din se rallie dans la Djami-el'teQa'
(i) Si cette généalogie est exacte, ce dont personne ne saurait
fournir de preuves, on voit que les Shïites ont essayé de faire
entrer Abd-er-Rahman-el-Basri dans la généalogie alide, en fai-
sant de ce personnage le lils de Mohammed-ibn-Ismail, fils de
rimam Djaafer-el-Sadik.
(a) De Goêje, Mémoire sur l£s Carmathes du Bahraïn et les
JfatimideSy pages 19, ao et ai.
(3 De Sacy, Exposé de la Religion des Drnzes, Introd,, p.
CCCCXXXVIU.
— 85 —
rikh diffère de celle du Kitab-eUFihrist par ce fait que
Mohammed et Hoseïn sont les fils d'Ahmed au lieu d'être
ses frères ; Hoseïn succéda à Ahmed comme chef de la
secte des Karmathes et Mohammed-Abou-Shalaghlagh
devint le tuteur de son neveu Obeïd- Allah IcMahdi ; sur
ce point encore, comme sur les précédents, ni les généalo-
gistes, ni les historiens antifatimites ne parviennent à
s'entendre : les uns donnent comme tuteurs du Mahdi,
Ahmed, fils d'Abd-AUah, fils de Meïmoun, son oncle
d'après le Kitab-el-Fihrist, son grand-oncle d'après
Nowaïri ; il est probable que cette opinion était celle
des personnes qui admettaient que Mohammed, i^hmed
et Hoseïn étaient les trois frères ou l'hypostase d'un
même personnage ; d'autres prétendaient qu'Obeïd-Allah-
el-Mahdi eut comme tuteur un personnage nommé
Ahmed, fils de Mohammed, fils d'Abd-AUah-el-Meïmoun,
autrement dit ils admettaient une généalogie ainsi éta-
blie :
Meîmoun-el-Kaddah
I
Abd-Allah
!
Mohammed-Abou-Shalaghlagh Hoseïn
Ahmed Obeïd-Allan-el-Mahdi
Cette généalogie consiste, comme on le voit, à regarder
Ahmed, non comme le fils d'Abd-AUah, frère suivant le
Kitab-el'Fihrist de Mohammed-Abou-Shalaghlagh et de
Hoseïn, leur père d'après Nowaïri, mais bien comme le
fils de Mohammed-Abou-Shalaghlagh, et le cousin du
Mahdi Obeïd-AUah.
Ces généalogies ne sont pas irréductibles à celle du
Kitab-el-Fihrist, si l'on admet, comme le propose M. de
Goëje, qu'Ahmed, fils d' Abd-Allah et Mohammed-Abou-
Shalaghlagh ne sont qu'une seule et même personne, au-
trement dit que Nowaïri a déplacé Ahmed, fils d' Abd-
Allah ; dans cette hypothèse, on retombe sur la généalo-
gie du Kitab-el'Fihrist ; mais il est bon de remarquer
— 86 —
que ce n'est là qu'une hypothèse et qu'elle est absolument
contredite par un fait très simple, à savoir que les généa-
logies du Fihrist et de Nowaïri ne sont que des déforma-
tions voulues de la généalogie admise par un grand nom-
bre de Shïités, et qui se trouve exposée par Makrizi et par
Ibn-Khallikan. Cette généalogie est la suivante :
Djaal*er-el-Sadik
Ismaîl
Mohammed
Abd-AUah = Timam Radi
Hoseïn =z Timam Wafi
Ahmed = l'imam Taki
Le Mahdi
On n'a qu'à comparer ce tableau avec celui qui est
donné par Nôwaïri pour voir immédiatement "qu'ils sont
identiques, à cela près que l'historien sunnite a remplacé
Mohammed, fils d'Ismaïl et petit-fils de Djaafer el-Sadik
par le révolutionnaire karmathe Meïmoun el-Kaddah.
Cela se passe de plus ample commentaire, car le pro-
cédé est tangible ; la généalogie du Kitab-el-Fihrist est
une déformation encore plus avancée de celle qui est
fournie par Makrizi. On voit très bien comment la généa-
logie shïite, dans laquelle figurent les trois imams qui
sont « cachés dans l'Essence d'Allah », et qui répond admi-
rablement aux théories métaphysiques de l'imamisme, a
été déformée par les Sunnites, tandis qu'on ne voit pasdu
tout par quel miracle les Shïites, en combinant des généa-
logies telles que celles qui nous sont données par le
Fihirst et par Nowaïri, auraient pu en établir une qui
s'accorde avec leurs théories.
En tout cas, ce fait montre d'une façon irréfutable que
non seulement les auteurs sunnites ne connaissaient pas
mieux que les Shïites la généalogie du Mahdi, mais
encore qu'ils leur ont emprunté cette généalogie du
- 87 -
Mahdi pour Testropier. D'autres donnent des généalogies
forgées de toutes pièces, qu'il est matériellement impossi-
ble de rattacher à celles du Fikrist ou de Tabari (i).
Ils disent qu'Obeïd- Allah est fils de Saïd, fils d'Hoseïn,
fils d'Ahmed, fils d'Abd-Allah-Kaddah, fils de Daïsan,
fils de Saïd-Ghadbân ; ce dernier personnage était origi-
naire de la ville de Râm-Hormuz en Susiane et il apparte-
nait à la secte des Khourrémis, dans laquelle les histo-
riens musulmans reconnaissent une secte mazdéenne (a)
et dont les dogmes se rapprochent en effet beaucoup
de ceux de l'hétérodoxie mazdéenne ; il composa même
un livre pour soutenir les doctrines des Zendiks.
Même si Ton admettait cette généalogie, on voit que le
Mahdi Obeïd-AUah n'en serait pas moins le descendant
d'une famille d'origine persane, et que ses ancêtres appar-
tiendraient à l'une des sectes hétérodoxes du Magisme ; c'est
ce qu'affirme d'une façon bien nette le kadi Abou-Bekr-
Ibn-Bakkalani, dont l'opinion est rapportée par Aboul-
Mahasen dans sa célèbre histoire d'Egypte intitulée el-Nod-
yoam-eZ-ZaAir^/i Ci); d'après cet auteur, el-Kaddah, l'an-
cêtre d'Obeïd- Allah, appartenait à la religion des Mages,
c'est-à-dire au Mazdéisme, et les prétentions alides d'Obeïd-
AUah au Maghreb auraient été facilitées par ce fait qu'au-
cun des Oulémas de ce pays lointain ne connaissait sa véri-
table généalogie. C'est là une raison des plus singulières
qui se puissent invoquer et elle fait aussi peu d'honneur à
Bakkalani qui Ta inventée qu'à Aboul-Mahasen qui la
acceptée ; si les Oulémas africains avaient eu tant de
doutes que le prétend Bakkalani sur la généalogie alide
du futur Mahdi, il est à croire qu'ils ne l'auraient pas
aussi généralement reconnu comme le descendant du fils
d'Abou-Taleb. En tout cas, cet historien affirme qu'Obeïd-
AUah était un farouche bathénien et qu'il ne songeait qu'à
(i) Sylvestre de Sacy, Exposé de la religion des Druzes;
Introd.y page GCCCXXXVIII.
(3j Leyde, tome II, pages 446 et 559.
— 88 —
détruire rislamisme. Le kadi Abd-el-Djebbar-el-Basri, éga-
lement cité par Aboul-Mahasen dans le Nodjoum, va en-
core plus loin et dit que l'ancêtre des khalifes fatimites fut
un certain Saïd dont le père était juif, et exerçait la profes-
sion de forgeron à Salamiy y a. Ce Saïd prétendit un beau j our
qu'il était le fils d el-Hoseïn, fils de Mohammed, fils d'Ah-
med, fils d'Àbd- Allah, fils de Meimoun^el-Kaddah. On
voit que d'après cette théorie, le Mahdi, bien loin d'être
un alide, ne serait même pas un descendant du célèbre
Meïmoun-el-Kaddah, mais tout simplement le fils d'un for-
geron juif de Syrie ; cette opinion était assez peu vrai-
semblable pour que beaucoup de personnes, parmi les-
quelles Abd-el-Djebbar-el-Basri cite un Ismaïlien nommé
Aboul-Kasem-el-Abiad-el-Alévi, aient admis que ce Saïd
avait au moins pour mère l'épouse d'el-Hoseïn-ibn-Mo-
hammed et que ce fut ce dernier, descendant authentique
de Meimoun-el-Kaddah, qui prit la peine de l'élever ; il
l'afiiliaà la secte Ismaïlienne et l'aurait fait épouser la fille
d'Abou-Shalaghlagh ; ce serait seulement au Maghreb, que
ce Saïd aurait prit le nom d'Obeïd- Allah et le surnom
d'Abou-Mohammed, en même temps qu'il aurait nommé
son fils el-Hasan. Il est à peine besoin de faire remarquer
combien cette histoire est compliquée et qu'elle suppose
de la part d'el-Hosein-ibn-Mohammed une mansuétude et
une tolérance qui ne se trouvent généralement pas plus •
dans rislam qu'ailleurs ; en d'autres termes ce récit
d'Abd-el-Djebbar-cl-Basri est bien peu vraisemblable et
frise l'absurdité.
XI
Je terminerai cet exposé de la généalogie du Mahdi
Obeïd-Allah par son histoire telle qu'elle est racontée par
Fadl-AUah-Rashid-ed-Din dans la DJami-at-taparikh.
Elle ne diflPère pas sensiblement de celle qu'adopta Ala-ed-
Din-Ata-Mélik-el-Djouveïni dans son grand ouvrage histo-
rique intitulé Djihan-Kusha.
« Djaafer-el-Sadik avait envoyé son petit-fils Moham-
med'ibn-Ismaîl avec Abou-Shaker - Meîmoun - el - Disani
connu sous le nom de Meïmoun-el-Kaddah, dans le Taba-
rîstan ; après la mort de Djaafer-el-Sadik, Meïmoun-el-
Kaddah confia son fils Abd-Allah à Mohammed-Ibn-
Ismaïl en lui disant : « La parenté charnelle ne provient
que de la naissance matérielle de l'enfant, tandis que la
parenté spirituelle provient de l'attachement que l'on a pour
telle personne ; tu dis que quelqu'un est le fils d'un homme
parce qu'il naît de ses œuvres, mais celui qui a reçu d'un
autre la Science et l'intelligence qui sont l'essence de la
vie spirituelle, n'est-il pas son fils plus proche encore ?
Quant à moi, je suis né spirituellement de Mohammed-
ibn-Ismaîl, et à cause des secrets de la Science qu'il m'a
révélés, il convient que je me dise son fils ». Bref, il finit
par dire : « Abd-Allah est le fils de Mohammed-ibn-Ismaïl,
son héritier présomptif; il me l'a confié pour l'élever et
pour que je le sauve des embûches que ses ennemis lui
tendent. » Quand Abd-Allah eut atteint l'âge de dix-sept
ans, Meîmoun-el-Kaddah proclama effectivement qu'il était
rimam et les Shïites ne firent aucune difficulté pour le
reconnaître comme tel. Meïmoun-el-Kaddah mourut dans
la petite ville de Salamiyya, en Syrie, près de Homs, et
son fils Abou-Shalaghlagh se rendit dans l'Irak et à
Koufa avec son fils ; il dit : « Je suis le missionnaire de
— 90 —
rimam et la venue de rimam est proche (i). » Il envoya
dans le Yémen un missionnaire nommé Abou'-l-Kasem
et il lui ordonna d'en envoyer dans toutes les parties du
monde. Abou'-l-Kasem fit des conversions dans le Yémen
et envoya Abd-AUah-el-Meshréki à Kétama (dans le Ma-
ghreb); en même temps, il écrivit au fils d'Abd-Allah-ibn-
Meîmoun-Kaddah pour le mander auprès de lui et l'exci-
ter à se livrer à la prédication ; ce dernier se rendit dans
le Maghreb et quand Abd-AUah-el-Meshréki se fut em-»
paré de Kaïrawan et de Sedjelmasa, il le reçut de son
mieux et lui offrit de lui déléguer la Mission. Abd-Allah-
ibn-Meïmoun-Kaddah lui répondit : « J'ai dit il y a quel-
que temps que j'étais le Précurseur de l'imam ; comme
jusqu'à présent l'imam n'est point paru, je vais dire que
nous sommes au moment de son apparition, et que moi, je
suis le Mahdi, l'un des enfants d'Ismaîl, fils de Djaafer-el-
Sadik. »
Suivant d'autres récits, quand Abd-AUah-ibn-Meïmoun-
Kaddah mourut, ses enfants prétendirent qu'ils étaient les
descendants d'Akil, le fils préféré d'Abou-Taleb et ils agi-
rent dans le plus grand secret.
Ahmed, fils d'Abd- Allah, fils de Meïmoun-Kaddah
mourut en laissant un fils nommé Mohammed ; ce
Mohammed eut trois fils : Ahmed,Hasan et Hoseïu; à Sa-
lamiyya et à Bagdad, il y eut également un des fils de
Meïmoun-Kaddah, nommé Abou-Shalaghlagh, cet individu
déclara qu'il était l'Imam à venir w*I cxa^^U?, et il était en
correspondance avec le Yémen, le Maghreb et le Savad.
Comme il n'avait point d'enfants, il adopta celui d'une
femme qui avait été mariée à un Juif, et lui donna le sur-
nom d'Abou-Abd-AUah. Sur ces entrefaites, il arriva
qu'Hoseïn, fils de Mohammed étant venu à mourir, ses
fidèles le déclarèrent son successeur, et il prétendit à
l'imamat. Mais les gens lui dirent : « Vous n'y avez point
droit, car vous descendez d'Akil, fils d'Abou-Taleb. » Il
(i) On a déjà vu cette x)hrase plus haut, il est probable que
c'était la formule consacrée.
_ 91 —
répondit : « Je vous le dis en vérité, je suis l'un des des-
cendants de Djaafer-el-Sadik. » Voyant san» doute qu'il
ne réussirait pas dans cet endroit, il se rendit dans le
Maghreb auprès d'Abd-Allah-Shïi. Abou-Abd- Allah tint
durant un certain temps le Mahdi ismaïlien caché dans
sa maison, et il attendit le moment propice pour déclarer
que la venue de Tlmam était proche. Cet instant ne tarda
d'ailleurs pas à arriver. Les gens, intrigués de ses maniè-
res, lui demandèrent quelle était la cause d'une conduite
aussi étrange. Après leur avoir fait jurer de garder le
secret le plus rigoureux sur les choses qu'il allait leur ré-
véler, il leur dit : « Je suis le Maître du temps (sahib-i-zé-
mari), car je porte le même nom et le même surnom que
le Prophète ; c'est ainsi qu'il nous a prévenus ; les temps
messianiques (vakt'i-zohour) ne sont pas encore arrivés
mais on peut les prévoir d'après ce qui est dit dans le
Koran. » Ces paroles firent une impression très profonde
sur les Maghrébins qui, dès l'année suivante, demandèrent
à voir le Mahdi dont on leur avait parlé. Abou-Abd-
Allah leur dit d'élever une haute construction pour qu'il
puisse se montrer; ils bâtirent une haute maison qu'ils
ornèrent de tapis et de tentures. Un jour, le Mahdi sortit
de sa retraite et fut acclamé par près de dix mille person-
nes ; il s'assit lui-môme sur le trône qui lui avait été pré-
paré et c'est ainsi, d'après Rashid-ed-Din, que s'exécuta
sans violences et sans troubles l'une des révolutions les
plus formidables de l'Islamisme.
Il est assez remarquable que les livres des Druzes fassent
du Mahdi Obeïd- Allah le descendant de Meïmoun-el-Kad-
dah; je ne sais s'il faut y voir une preuve absolue du fait
qu'Hamza et les missionnaires de la secte niaient qu'il fût
un des descendants de l'Imam Djaafer-el-Saddiketpar con-
séquent d'Ali. Il est certain, comme on l'a vu, que plusieurs
fractions de l'Islamisme hétérodoxe avaient fait rentrer
Meïmoun-el-Kaddah dans la famille alide.
XII
- C'est sous le règne du khalife fatimite el-Hakem-bl-
amr- Allah que naquît Tune des sectes les plus puissantes
et les plus vivaces de l'ismaïlisme, celle des Druzès (i).
Le khalife fatimite el-Hakem, descendant à la cinquième
génération du Mahdi Obeïd-AUah, ne voulut point se
contenter du rôle d'imam qui avait suffi à ses prédéces-
seurs et il prétendit à la divinité. Cette prétention n'était
pas le moins du monde, comme on le croit généralement,
une marque de folie de la part du khalife fatimite, mais
le résultat de l'évolution naturelle des doctrines ismaî-
liennes et en général des théories ésotériques. Puisque le
missionnaire peut s'élever à travers les degrés de la hiérar-
chie mystique jusqu'à devenir le Préexistant et aie rempla-
cer, il n'y a rien que de très naturel à ce que le chef de la
secte ait cru un jour qu'il était une hypostase de la Divinité,
ou mieux encore qu'il était Allah en personne ; il en fut
de même quand il soutint qu'il était identique au Messie
Jésus-Christ, ûls de Marie (s). Le missionnnaire Ismaïlien
pouvant s'élever à la dignité de Prophète et le remplacer,
peut-être soit Mohammed, fils d'Abd- Allah, soit Moham-
med, fils d'Ismaîl, soit l'un quelconque de ses prédéces-
seurs, le Messie, Moïse, Abraham, Noé ou Adam, puis-
qu'en définitive tous ces prophètes ne sont que les hypos-
tases d'une seule et même Divinité ; à plus forte raison
l'imam est-il identique à Jésus-Christ. C'est ainsi que les
Ismaïliens disent que les khalifes ne sont ni fils ni pères les
(i) En réalité, les Fatimites et les Druzes ne sont que les deux
branches à peine distinctes d'une même secte, comme Hamza le
reconnaissait lui-même. (De Sacy, ibid.. Introduction, page CCXL).
(a) L'avènement du Messie sous le nom de Jésus-Ohrist est
appelé le a Commencement », Son apparition sous le nom de
Hamza est la « Fin ». (De Sacy, ibid., tome II, p. i5i.)
- 93 -
uns des autres, maïs uniquement les aspects d'un person-
nage unique qui peut s'identifier à volonté avec les Pro-
phètes ou avec la Divinité. Cette théorie dont nous ne con-
naissons certainement pas les principaux secrets, revient
à dire qu'il n'y a qu'un Être primordial, une Ame du
monde, dont tous les êtres vivants ne sont que l'émanation
et auquel ils retournent après un nombre indéfini d'hypos-
tases; c'est à très peu de chose près l'essentiel de la
doctrine soufie.
Dans la prétendue folie d'el-Hakem, il ne faut voir que
le développement exagéré d'une idée anti-abbasside, qui
devint de bonne heure chez lui une monomânie, et le
résultat d'une logique poussée à ses limites les plus
extr.êmes.
A part des défenses ridicules, comme celles faites aux
Chrétiens et aux Juifs, et qui se répétèrent d'ailleurs plus
tard, aussi bien sous les Ayyoubites et les Manilouks et
même sous le règne des Turcs (jue pendant son règne, il y
a dans toutes ses prohibitions une logique parfaite, qui
consiste à chercher à anéantir le souvenir de tout ce qui a
causé un tort quelconque à la famille d'Ali ; il défendit de
manger de la méloukhia parce que Moaviyya l'aimait, de
la roquette parce que c'était Aïsha qui en avait introduit
l'usage; on ne devait point faire de bière parce qu'Ali
n'avait point de goût pour cette boisson. Ces prohibitions
sont la suite toute naturelle de la malédiction qu'el-
Hakem fit prononcer eu SgS (i) de l'hégire contre les
premiers khalifes et de la construction au Kaire d'un col-
lège destiné à l'enseignement de la doctrine des Bathé-
niens. Sous les faits les plus bizarres et les plus incom-
préhensibles d'el-Hakem se cache toujours une cause anti-
abbasside, et c'est bien à tort qu'on a voulu y voir les
indices d'une névrose spéciale.
(i) Ce que fit el-Hakem dans cette circonstance ne dépasse pas
les ordonnances des princes Bouyyides qui firent graver sur les
portes des mosquées : « Qu'Allah maudisse Moaviyya, fils d'Abou-
Soiian, celui qui a usé de violence envers Fatima et qui a empê-
ché el-Hasan de reposer dans le tombeau de son aïeul ! x>
- 94 -
C'est vers l'an 4^5 de Thégire qu'un missionnaire
ismaïlien, vraisemblablement d'origine persane(i), nommé
Hamza, fils d'Ali, fils d'Ahmed-el-Hadi, prit le titre de
^^AAA^wXl ^^:>[^ et commença à répandre la doctrine
suivant laquelle le khalife fa timi te était l'hypostase de la
divinité ; pour attirera lui les Chrétiens Coptes qui, comme
on le sait, formaient alors une communauté très impor-
tante en Egypte, Hamza leur disait qu'el-Hakem n'était autre
que le Messie ; toute bizarre que paraisse cette affirmation,
elle n'en est pas moins très logique, comme on vient de le
voir, et de plus il est intéressant de remarquer que les
attributs du Messie sont à peu de chose près identiques
à ceux du dernier Imam (2), Hamza enseignait que la
Divinité s'était manifestée à plusieurs reprises aux yeux
des hommes et que la dernière de ses incarnations était le
khalife fatimite el-Hakem-bi-amr- Allah (3).
Dans la théorie Ismaïlienne, le Mahdi n'est point lui-
même une incarnation de la Divinité, mais seulement son
fils el-Kaïm, le deuxième khalife fatimite; le Mahdi n'est
lui-même qu'Aboû-l-Kaïm ou Huddjet-el-Kdim « la
Preuve de Kaïm » (4).
(i) L*hislorien el-Makin dit formellement qu'Hamza était un daî
étranger ; Nowaïri assure qu'il était persan et originaire de la ville
de Zouzen, sur laquelle on peut consulter le Dictionnaire géogror
phique de la Perse, de M. Barbier de Meynard. Aboul-Mahasen dit
dans son Histoire d'Egypte qu'il était Bathénien. Le nom que
Hamza donnait à la Divinité «^■â.;^ bârkhodâ indique suOisam-
ment son origine iranienne ; il est curieux que bârkhodâ soit jus-
tement le nom que les Soulis exaltés donnent à l'Etre Unique.
(2) Voir de Sacy, Exposé de la Religion des Druzes, Introduc-
tion, p. GGGLXXXIV.
(3) Les signes qui doivent précéder le retour d'el-Hakem sur la
terre sont les mêmes que ceux qui doivent annoncer aux Musul-
mans le jour de la résurrection.
(4) ^UlII &35- le mot hudjdjet ou hodjdja « Preuve » s'emploie
pour désigner l'un des grades de la hiérarchie religieuse des Ismaï-
liens; l'historien persan Rashid-ed-Din nous apprend dans sa
Djami-el'tevarikh que le hudjdjet est un missionnaire qui se dis-
tingue particulièrement dans la mission qui lui a été conûée. Le
mot {jIa^ borhân est employé dans le même sens par les Souûs.
- 95 -
Gomme il ne peut y avoir que sept Imams cachés, de
même qu'il n'y a que sept cieux et sept terres (i), et que
el-Kaïm ne fut pas le dernier fatimite, Hamza déclara que
ce prince et les quatre khalifes qui lui succédèrent sur le
trône d'Egypte, el-Mansour, el-Moëzz, el-Aziz et el-Hakem,
n'étaient que des incarnations différentes, des hypostases
d'une seule et même personne, et qu'ils n'étaient ni ancêtres
ni descendants les uns des autres. Cela revient à dire que
le Mahdi Obeïd-AUah ne fut que le Précurseur du khalife
el-Hakem, puisque ce dernier est le même qu'el-Kaïm.
La véritable forme de cette audacieuse doctrine qui
devait être si mal accueillie en Egypte, fut donnée par un
Ismaïlien qui fut converti à cette théorie de la divinité
d'el-Hakem par un missionnaire nommé Ali, fils d'Ahmed-
el-Habbal.
Cet individu se nommait Noushtîkin-ibn-Ismaïl-Darazi (2);
comme l'indique son nom de Noushtikin, il était d'origine
turque (3); l'historien arabe el-Makin dit que c'était un
missionnaire de la secte des Ismaïliens et qu'il était
persan. Ces deux qualités ethniques sont loin d'être in-
compatibles, quand l'on songe au nombre de Turks qui,
à partir du second siècle de l'hégire et même probable-
ment bien avant cette époque, vécurent de la civilisation
et de la culture iraniennes. Quoi qu'il en soit, ce Noushti-
kin ne tarda pas à chercher à se soustraire à la tutelle
d'Hamza - ibn- Ali -ibn- Ahmed ; il prétendit à l'Imamat
et prit le titre de Setf-el-iman (4) « Glaive de la foi »,
(i) Les sept terres et les sepl climats des Musulmans sont un
emprunt à peine déguisé aux sept Karshvares ou continents dont
on trouve les noms dans TAvesta.
(2) Les historiens qui citent le nom de ce personnage le don*
nent sous des formes assez différentes. Les livres des Druzes le
nomment Darazi, ce qui doit être la vraie leçon tandis que cer-
tains manuscrits d*Abou'-l-Mahasen l'appellent Darzi.
(3) C'est-à-dire natif, soit de la contrée qui est aujourd'hui le
T.urkestan Russe, soit du Turkestan Chinois.
(4) D'après le el-ghayet wé-l-masiket, cité par de Sacy, Exposé de la
Religion des Druzes^ Introd, p. CCCXCI, note i. On fit remarquer
à Noushtikin que le surnom de Glaive de la Foi n'avait aucun
- 96 -
de « Prince des Directeurs » (i) et de Hejyat-el'moste-
djibin.
Darazi qui était un impulsif et un homme pressé, alla
encore plus loin qu*Hamza n'avait osé le faire, et il déclara
qu'el-Hakem était le Créateur de l'Univers : à cet effet, il
composa un ouvrage dans lequel il enseignait que l'âme
d'Adam avait passé dans Ali, et qu'à son tour l'âme d'Ali
avait passé dans celle de tous les ancêtres d'el-Hakem et
qu'elle s'était enfin arrêtée à lui (2). Darazi vint lire son
opuscule au peuple dans une des grandes mosquées du
Kaire ; cette audace révolta les assistants qui se précipi-
tèrent sur lui, saccagèrent tout ce qui leur tomba sous la
main et l'auraient infailliblement écharpé s'il ne s'était
empressé de fuir.
Ël-Hakem, qui l'avait certainement incité à agir ainsi,
n'osa pas le soutenir officiellement, car il y allait de son
trône, mais il lui fit passer de l'argent et lui conseilla de
se rendre en Syrie. Cet imprudent personnage alla en effet
s'établir dans la vallée de Teïm-AUah sur le territoire de
Banias et il y recruta de nombreux adeptes qui reçurent
le nom de Druzes (3).
sens, car la Foi n^a que faire d'un sabre et qu'il n'y avait que
les Fidèles qui s'en servissent ; néanmoins il garda son surnom et
n'eut point tout à fait tort, au moins de ce côté, car on trouve
dans le protocole musulman une quantité d'autres titres auxquels
il serait facile d'opposer la même critique; les noms de Seîf-ed-
Din, Hosam-ed-Din, « Sabre de la religion ii>, Seîf-el-miUeh-wé-l-
Douniâ-wé-1-Hakk-wé-l-Din, « Sabre de la Religion, du monde, de
la vérité et de la Foi » sont parmi les plus répandus, et ni la reli-
gion, ni le monde, ni la vérité ne se servent de sabre,
(i) Le elrghajret-wé'l'nasihet explique ce titre par jj^â. (Ji
: (2) ^
Abou-1-Mabasen, Histoire d'Egypte, ms. ar. 1778, fol. 87 r*.
(3) Il paraît d'après le récit de certains historiens que Darazi fui
mis à mort en 410 de l'hégire par ordre d'el-Hakem ; ainsi que plu-
— 97 —
Hamza ne pardonna pas à Darazi d'avoir cherché à le
supplanter et d'avoir échoué si piteusement ; il est certain
que Darazi eut mieux fait de laisser agir Hamza, qui était
un homme très prudent, que de se livrer à une pareille
escapade qui n'avança pas, bien au contraire, les affaires
de la secte. Aussi Hamza, dans ses écrits, prodigue-t-il a
Darazi les noms de veau, de porc, de Satan et d'autres
aménités du même genre (i).
Le khalife el-Hakem ne se tint pas pour battu et peu de
temps après la fuite de Noushtikin-Darazi (2), il décida un
personnage que Nowaïri appelle Hasan-ibn-Haidara-Fer-
ghani-el-Akhram à proclamer sa divinité. Le nom de cet
individu dit assez quel était son pays d'origine ; c'était la
province turque de Ferghana dans le Ma-vara-nnahar, et
il était, comme on le voit, compatriote de Noushtikin-
Darazi. Cet el-Akhram réunit un nombre assez grand
d'adhérents pour en former une petite secte, et quand il la
crut assez considérable, il se décida à tenter l'aventure.
a Un jour, dit Aboul-Mahasen dans le Nodjoum-ez'zahi-
ra-fi'akhbar'Tnolouk-MisT'Wé-l'Kakira, el-Akhram sortit
du Kaire à cheval, avec cinquante de ses compagnons, et
prit la route de Misr ; il entra dans la grande mosquée
toujours à cheval, ainsi que sa troupe ; le Kadi des Kadis
Ibn-el-Avvam tenait alors une séance au cours de laquelle
il examinait des questions juridiques. Les gens d'el-Akhram
se jetèrent sur les assistants et les dépouillèrent de leurs
vêtements, puis ils donnèrent au Kadi une requête pour
qu'il y fasse droit; elle commençait par ces mots : « Au
nom d'eUHakem, le Clément, le Miséricordieux ! » (3)
sieurs de ses partisans (de Sacy, Exposé de la Religion des Dru-
zes, tome II, p. 190).
(i) De Sacy, ibid», tome II, p. i85.
(2) L'historien égyptien AbouM-Mahasen prétend au contraire
que ce fut avant la folle tentative de Darazi.
13)
*5U»»I ^jM iU.; ^Ji:^ i Cf5Î; HyûUJI j^ p^ill 2:7^ pL^ill J^ i yli'L^
^1 sU^i (g*6^^ f^V J^ ^^i *xj9^ «X^b L^^ ^^ J^'>3 fà^ O^aaS^
- 98 -
Le premier moment de stupeur passé, les assistants
indignés se ruèrent sur les partisans d'el-Akhram et les
massacrèrent à peu près tous, tandis que leur chef imitait
Darazi et prenait la fuite à toute bride. On ne sait ce qu'il
devint. Depuis ce temps, il paraît qu'el-Hakem renonça à
ces tentatives qui n'aboutissaient à aucun résultat et il
laissa Hamza élaborer tranquillement la doctrine compli-
quée qui devint celle des Druzes. Le dogme le plus impor-
tant en est qu'après la disparition d'el-Hakem, il n'y aura
plus à attendre d'autre manifestation de la Divinité jusqu'au
moment où il réapparaîtra. C'est en effet sa venue que les
Druzes attendent depuis neuf siècles dans les montagnes
du Liban (i).
^^UlU \yX^y ^^ ^y^^ o-^' !><4^ f^ i 7^=^ *^ LJU. pl^l
lis^^y tT^y' r^^ ^*^ ^y>^ 005 <^y3 L^ Â*5j
Aboa-1-Mahasen, Histoire d* Egypte , ms. ar. 1778, fol. 86 ir». Il est
à peine besoin de faire remarquer à quel point cette formule est
sacrilège; elle est copiée sur la formule bien connue : « Au nom
d'Allah, le Clément, le Miséricordieux ! »
(i) On sait que les Druzes passent pour adorer une idole qui a
la forme d'une vache et qui ne serait autre que la représentation
du khalife el-Hakem-bi-amr- Allah ; M. de Sacy ne croyait point que
cet animal fut l'image d'el-Hakem, mais bien celle de son adver-
saire, le démon Iblis ; cependant on sait que les Ismaïliens ren-
daient un culte au veau, peut-être même à la gazelle; il est évi-
demment étrange de voir une secte musulmane, si hétérodoxe soit
elle, adorer un homme sous une forme aussi vile et aussi dégra-
dante que celle d'un animal , mais c'est un fait qui, malgré tout,
ne saurait guère être mis en doute. M. Casanova a trouvé au
Kaire une petite figurine en terre cuite, si grossièrement travail-
lée qu'on ne peut voir au juste si elle représente un bélier ou un
mouton, et sur laquelle est tracée à la pointe l'inscription sui-
vante :
M. Casanova a fait remarquer avec beaucoup de sagacité que le
nom de ^b ^l el Hakem-billah qui se trouve sur ce petit monu-
ment, a été abrégé par faute de place de la forme plus complète
M\ ^b ^\A el-Hakem-bi-amr-Allah. Il en a rapproché un fait ana-
logue qui se remarque dans les inscriptions gravées sur les mon-
naies du khalife abbaside el-Nasir-li^din- Allah dont le nom, pour
— 99 —
La mort d'el-Hakem marqaa la fin de la période reli-
gieuse de la dynastie des Fatimites et les princes qui lui
succédèrent sur le trône du Khalifat ne paraissent pas
s'être beaucoup préoccupés de se faire passer pour des
incarnations de la Divinité ; il est vrai que les mauvais
jours ne tardèrent pas à survenir, et que des soucis d'un
ordre tout différent ne laissèrent plus guère aux descen-
dants du Mahdi le temps de penser aux théories ismaï-
liennes et aux prétentions de leurs ancêtres ; ce n'était pas
au milieu des défaites qui se succédaient en Syrie et des
attaques des Francs que Mostanser 6u Mostéali avaient
chance de réussir là où Hakem avait échoué (i).
Ce qu'il y a de certain, c'est que tous les historiens
s'accordent à dire qu'el-Hakem savait que le jour où il fut
tué et le lendemain, il courrait un très grand danger. Beau-
coup de gens refusèrent de croire à la mort du khalife et
plus d'un imposteur essaya d'en profiter. Hamza disparut
à peu près de la scène, mais il continua à rédiger ses livres
en secret et à réunir des adhérents.
les mêmes raisons, est abrégé en el-Nasir-lillah ^ yoUJ) ; c'est
donc le nom du célèbre khalife fatimite el-Hakem-bi-amr-Allah
qui se lit sur cette figurine de terre cuite. M. Casanova traduit
cette inscription « Vimam c'est el-Hakim-biilah. » Peut-être faut-il
lui donner un sens plus étendu ; il est évident que celui qui a fait
cette figurine était un partisan des Fatimites et que, par consé-
quent, il était bien convaincu que Vimam était el-Hakem-bi-amr-
Allah; je crois dans ces conditions, qu'il a voulu faire compren-
prendre : « (voilà la représentation de) l'imam ; et (ïlmam) c'est el-
Hakem-bi-amr-Allah. » On trouvera une reproduction de ce
curieux monument avec une dissertation de M. Casanova dans la
Revue Archéologique de 1891, sous le titre Figurine en terre cuite
avec Inscription arabe. J'ajouterai que lesDruzes donnent au kha-
life el-Hakem le nom de el-Kaim-el-Hakim-bizatihi. qui montre
sufiisamment qu'ils le considèrent comme la Divinité par excel-
lence.
(i) L'historien arabe Ibn-el-Azrak-el-Farïki, qui est de la fin du
VI' siècle de l'hégire, rapporte cependant que des gens voulurent
faire passer Mostéali comme une émanation de la Divinité et qu'ils
prétendirent qu'il connaissait le passé et qu'il pouvait prédire
l'avenir; mais des termes mêmes de cet auteur, il est visible que
ces prétentions ne venaient pas de Mostéali et qu'il les subit plutôt
qu'il ne les inventa. Cette tentative dut rapidement avorter.
— lOO —
On retrouve naturellement dans les doctrines des Druzes
les deux points fondamentaux de rismaîlisme (i) : la
théorie suivant laquelle le dernier Prophète est en même
temps le dernier imam, et le système du microcosme, qui
ne peut guère avoir été emprunté qu'à l'Iran (2). Chez les
Druzes les sept cieux sont les sept imams cachés (3).
Le i'"' ciel est l'imam Ismaïl, fils de Djaaler; le prophète
correspondant est Adam.
Le 2° ciel est l'imam Mohammed, son fils ; le prophète
correspondant est Noé.
Le 3« ciel est Ahmed, son fils ; le prophète correspondant
est Abraham.
Le 4® ciel est Abd- Allah, fils d'Ahmed; le prophète cor-
respondant est Moïse.
Le 5*^ ciel est Mohammed-el-Mahdi ; fils d' Abd- Allah, le
prophète correspondant est Jésus.
Le 6' ciel est Hoseïn, fils de Mohammed ; le prophète
correspondant est Mohammed.
Le 7« ciel est Abd-AUah, père du Mahdi. autrement dit
Obeïd- Allah, ouSaïd, ou encore xAbou'-l-Kaïm ; le prophète
correspondant est Saïd, c'est-à-dire le même que l'imam.
(i) Je compte montrer plus tard que leur système cabalistique
est, à peu de chose près, celui des Soulis et qu'il en dérive comme
celui des Hourouiis et du Babisme.
(2) On pourrait dire que cette théorie a été empruntée à l'Hellé-
nisme plutôt qu'à riranisme, car les historiens musulmans s'ac-
cordent à dire que les idées des philosophes grecs avaient forte-
ment influé sur les dogmes de l'Ismaïlibme et des sectes secon-
daires qui en dérivent; mais il est bon de remarquer que les
philosophes grecs n'étaient guère connus dans l'Islam que par
Aristote, et que Platon lui-même y fut toujours plus célèbre
comme médecin que comme philosophe. It est incontestable que
• les doctrines philosophiques d' Aristote, de Platon et plus encore
de Plotin, et celles de Philon forment la base de la philosophie
musulmane; mais la doctrine philosophique du monde musulman
ne peut qu'artificiellement se séparer de l'ésotérisme, qui est une
chose persane ou plutôt iranienne. D'ailleurs, comme j'ai eu l'oc-
casion de le dire plus haut, la doctrine philosophique et ésotéri-
que des sectes hétérodoxes de l'Islamisme est, au fond, la même
. que celle du Souiisme.
(3) De Sacy, Exposé de la Religion des Druzes j tome II, p. 38-
XIII
L'origine de la secte hétérodoxe des Nosairis ou Ansaris
qui vivent dans les montagnes de Syrie, est moins connue
et moins claire que celle des précédentes. M. de Sacy (i)
les considérait comme une secte de Bathéniens (2) ; il est le
premier qui ait démontré que les Nosaïris ne sont ni des
Karmathes, ni des Druzes, mais il a admis avec raison
qu'ils sont une branche dérivée de la secte karmathe. D'a-
près le Catéchisme des Druzes, la secte des Nosaïris date*
rait d'el-Hakem; un homme, nommé Nosaïri, s'imagina de
nier la divinité du khalife fatimite et celle de ses prédéces-
seurs, jusqu'au Mahdi el-Kaïm exclusivement ; il disait que
la divinité d'Ali, qui était incontestable, s'était manifestée
dans les douze imams et qu elle était disparue après
Mohammed-el-Kaïm-el-Jlahdi. Au fond, cette théorie était
celle d'une secte imamiste qui n'admettait point qu'el-
Kaïm, el-Mansour, el-Moezz, el-Aziz et le khalife el-Hakem-
bi-amr-AUah fussent un môme personnage ou plutôt
l'hypôstase d'une seule Divinité. Ils ne croyaient pas
davantage qu'el-Hakem fût cette Divinité et Hamza son
imam.
Il est plus probable que les théories des Druzes et des
partisans d'el-Hakem ne furent pas acceptées par tous les
Ismaïliens et qu'un grand nombre d'entre eux professaient
l'opinion que le Catéchisme attribue à Nosaïri, mais je
crois qu'il y a là une erreur, voulue ou non, plutôt voulue,
de Hamza, et que la secte des Nosaïris ou Ansaris se rat-
tache à l'une des premières sectes hétérodoxes de l'Isla-
misme.
Dans son excellente étude sur les sectes musulmanes
fi) De Sacy, Exposé de la Religion des Druzes, t. II, p. 567.
12) Ibid., t. Il, p. 562.
— 102 —
qu'il a fait entrer comme troisième chapitre dans ses Pro--
dromi ad refatationem Alcorani, Maracci dit avec raison
que le dogme fondamental des Nosaïris ou Ansaris est
qu'Ali est une hypostase de la Divinité et que la mission
de Mahomet était toute secondaire comparée à la sienne.
Ils croyaient également que les esprits divins peuvent
apparaître aux hommes sous forme humaine et le démon
sous forme animale (i).
Gela revient à dire que les Nosaïris ne sont qu'une bran-
che des Ali-Ilahvyân ou divinisateurs d'Ali, les plus
hétérodoxes de tous les Shïites, puisqu'il nient dès les
premières heures de l'Islam, la mission de Mahomet
pour lui substituer celle d'Ali. Il serait curieux que cette
secte insensée des Ali-Ilahiyân se rattachât à celle des
Keîsanis dont il a été parlé plus haut. Ce quidistingue prin-
cipalement les Keîsanis des autres sectes hétérodoxes du
Sh'iisme iranien, c'est le rôle qu'ils font jouer à larchange
Gabriel et la divinisation d'Ali, qui est le dogme essentiel
de la religion nosaïrie. On a vu plus haut comment el-
Féredj, fils d'Osman, annonçait que le Mahdi Mohammed,
iils d'Ali, était l'incarnation tangible de l'ange Gabriel
dont une autre des hypostases avait été, sept siècles
auparavant, Jean, fils de Zacharie. Rien dans le récit d'Ibn-
el-Athir, d'Aboul-Féda et de Bar-Hébreus ne permet de
déterminer quel était le rôle d'Ali dans la secte Keîsanie,
mais ce que dit Shehristani ne permet pas de douter que
ses adeptes considéraient Ali comme une Divinité : il
est bon de remarquer, d'ailleurs, que le silence de ces
trois auteurs dont l'un était chrétien et les deux autres
sunnites, n'autorise nullement à mettre en doute l'afiir-
(i) «r Hi (Nasirîtœ) asserimt, apparitionem spiritus cam corpore
materiali non posse negari, eum Gabriel apparuerit in figura
hominis et Satanas in figura animalis bruti : et ita Deum appa-
raisse in figura xoO Ali et filiorum ejus, et loquutum esse, per
linguam eorum et apprehendisse per manus eorum. » AlcoranuSt
textus nnweraus».. his omnibus prœmissus est Prodromns..»
ductore Ludovico Marraccio, Patavii, MDGXGVUI, Proetromas,
§ 3, p. 84.
— io3 —
mation très nette de Shehristani, qui fait des Keïsanis un
cas particulier des Ghalis ou adorateurs d'Ali ; ils n'ont
pas voulu, en parlant des Nosa'iris, insister sur un fait
qui leur semblait révoltant : plus d'un historien musul-
man orthodoxe n'a pas agi plus franchement quand il
avait à parler des sectes shïites.
Mohammed, fils d'Ali et de la Hanéfite, n'étant que le
Mahdi, une hypostase de Jésus-Christ, il n'y arien que de
tout naturel à ce qu'Ali soit la Divinité primordiale, dont
Moïse, puis Jésus, puis Mahomet, et enfin le fils d'Ali et de
la Hanéfite sont les Prophètes successifs. En tout cas»
l'importance du rôle attribué à l'ange Gabriel dans les
théories des Nosaïris et la divinisation d'Ali, prouvent
que leur secte se rattache, à travers des intermédiaires
dont la plupart sont aujourd'hui disparus, à la secte qui,
renouvelant les premières tentatives de Mahomet, essaya
de fondre le Christianisme, le Judaïsme et l'Islamisme
dans un même syncrétisme.
Volney raconte (i) que les Nosaïris actuels se divisent
en plusieurs sectes qui adorent les unes le soleil, les au-
tres des chiens ; c'est un fait qui n'a rien de surprenant
quand l'on pense que les Druzes, dont la doctrine telle
qu'elle fut exposée par Hamza était si abstraite et si esoté-
rique, adoraient une vache, représentation mystique du
Messie de la secte, le khalife fatimite el-Hakem-bi-amr-
AUah(a).
(i) Voyage en Syrie et en Egypte^ tome 11, page 5.
(a) On trouvera ea appendice quelques-uns des arguments qui
portent à penser que la secte des Nosaïris, comme celle 'des Yézi-
dis, se rattache à la secte des Keïsanis. Ces développements ne
seraient pas à leur plade ici, vu le peu d'importance de cette secte.
Malgré l'étrangeté de ses doctrines secte et bien qu'elle ait
beaucoup moins d'importance que celle des Druzes, il serait inté-
ressant de faire pour elle ce que de Sacy a fait pour les dogmes
des iidèles du khalife fatimite el-Hakem-bi-ami"- Allah. Des extraits
choisis au hasard dans ces traités risquent de ne donner qu'une
idée assez inexacte de la religion des Nosaïris.
XIV
L*UQe des sectes isinaîliennes les plus redoutables par
son fanatisme est bien connue en Europe sous le nom
d'Assassins, grâce au rôle fort louche qu'elle joua
durant tout le temps des Croisades ; les princes chré-
tiens et musulmans n'hésitaient pas à recourir au poi-
gnards de ces sectaires pour se débarrasser des person-
nages qui les gênaient ; c'est ainsi que Saladin faillit être
assassiné au siège de la petite ville d'Azaz ; le comte de
Tripoli, le marquis, comme l'appellent les historiens ara-
bes, fut moins heureux que lui et tomba sous les coups de
deux Ismaïliens qui avaient poussé l'audace jusqu'à se
déguiser en prêtres chrétiens. La puissance de cette
secte était telle que ses chefs, du haut de leur nid d'aigle
d'Alamout, défièrent les attaques de Saladin lui-même et
que ses successeurs durent se résigner à tolérer le voisi-
nage de ces fanatiques. Il serait d'ailleurs inexact de
croire, comme on le fait assez volontiers en Occi-
dent, que ces crimes leur étaient pour ainsi dire im-
posés par leurs croyances ; la doctrine ismaïlienne et
shïite en général n'a jamais fait de l'assassinat politique
et du régicide, une obligation religieuse pour ses adeptes ;
si la secte des Ismaïliens d'Alamout est devenu de très
bonne heure une redoutable Sainte-Wehme, elle le doit
uniquement aux circonstances politiques particulière-
ment tragiques au milieu desquelles elle vint au monde,
et aux bouleversements qui ébranlaient le trône des Sul-
tans Seldjoukides, laissant la voie libre à l'invasion mon-
gole ; leur religion n'y est pour rien.
L'origine de cette secte est trop connue pour qu'il soit
nécessaire d'y insister ici (i).
(i) Lé lecteur pourra se reporter au tome III de V Histoire des
Mongols depuis Tchingaiz Khan.,,, de d'Ohsson, i85a; et au
— io5 —
Les Fatimites du Kaire entretenaient des missionnai»
res en Perse, où il y avait un très grand nombre de parti-
sans de la doctrine suivant laquelle Timaniat alide reve-
nait de droit à Ismaïl, fils de Djaafer-el-SadiketnonàMousa-
el-Kazem. L'undeces missionnaires était un nommé Hasan,
fils de Sabbah, plus généralement connu sous le nom d'Ha-
san-i-Sabbah. Ce personnage disait être le fils d'Ali, fils
de Mohammed, fils deDjaafer, fils d'Hoseïn-ibn-el-Sabbah-
el-Himyari-el-Yéméni ; c'est-à-dire qu'il prétendait appar-
tenir à la célèbre tribu de Himyar qui, à l'époque anté-
islamique, fournit des rois au Yémen (i). Le vizir Nizam-
el-Moulk, qui devait plus tard périr de la main d'un des
affidés d'Hasan-i-Sabbah, prétendait qu'il ne descendait
nullement des rois du Yémen, mais qu'il était simple-
ment le fils d'un hétérodoxe qui habitait à Reï (2).
Si quelqu'un sut à quoi s'en tenir sur la véritable généa-
logie d'Hasan, c'est bien Nizam-el Moulk qui fut son con-
disciple durant de longues années, ainsi que le célèbre
poète et mathématicien Omar-Kheyyam ; mais il ne faut
pas oublier que le vizir était animé d'une haine mortelle
contre Hasan-i-Sabbah, et qu'il ne laissa pas échapper une
occasion de le perdre dans l'esprit du sultan Seldjoukide*,
les faisant naître quand elles ne se présentaient pas d'elles
mêmes. Pour arriver à créer une secte aussi terrible avec
tome U de la traduction française de ï Histoire de Perse, de Mal-
coim.
(i) Le père de Hasan était venu de Koufa à Koum; c'est dans
cette villeque naquit Hasan. L'anti^urinisme farouche d'Hasan i-Sab-
bah s'explique, au moins en partie, par le fait qu'il passa quelques
années de son enfance à Koum. Cette ville fut de tout temps l'un des
centres du Shïisme; le géographe arabe Yakout-el-Hamawi aliirme
que de son temps, on n'y trouvait pas un seul sunnite, et que la
population était très montée contre ceux que leurs fonctions
administratives mettaient dans l'obligation d'y venir résider
(Barbier de Meynard, Dictionnaire géographique.,, de la Perse,
p. ^og). C'est à Koum que se trouve le tombeau de la iille de
l'imam el-Rida, qui est l'un des monuments les plus vénérés des
Shïites.
(2) Mirkhond, Rauzet-el-sé/a dans Notices et Extraits des Manus-
crits de la Bibliothèque Impériale, tome IX, 181 3, page i43
— io6 —
de si petits moyens et en partant de si bas, il fallait évi-
demment que les mécontents fussent en nombre infini
mais il fallait égalemment qu'Hasan fût d'une intelligence
extraordinaire et d'une volonté de fer ; il paraît qu'étant
employé à la cour du sultan Alp-Arslan, il accomplissait
des travaux incroyables de statistique en dix fois moins
de temps que le premier ministre ; un jour qu'Hasan de-
vait en résumer un devant le sultan, Nizam-el-Moulk s'in-
troduisit chez lui et brouilla ses fiches qui n'étaient point
numérotées, de telle sorte qu'Hasan ne put retrouver le
fil de ses calculs ; le sultan le prenant pour un sot, le
chassa de son service, et Nizam-el-Moulk n'eut plus à crain-
dre qu'Hasan lui prit sa place ; il est vra^ que cette petite
supercherie se paya par le coup de poignard de 1092.
Dans son autobiographie (i) qui, autant qu'on en peut
juger, est écrite avec assez de sincérité, Hasan ne
dit point qu'il fut le fils d'un ismaïli, mais bien d'un
shïite, et il est à présumer qu'il ne l'aurait point caché si
cela eut été exact, comme le prétend Nizam-el-Moulk, car
il n'avait aucun intérêt à agir ainsi, au contraire. La tra-
duction de cette courte autobiographie est la meilleure
source de l'histoire des commencements de la secte des
Assassins.
« Dans ma jeunesse, dit-il, à partir de sept ans, j'eus un
grand amour pour toutes les sciences, et je cherchai par tous
les moyens possibles à devenir un savant ; je m'instruisis
ainsi jusqu'à l'âge de dix-sept ans. J'appartenais à la secte
de mes parents, celle qui reconnaît les douze imams. Je
vis à Reï un allidé (réjik) qui se nommait Amirèh-Sorab ;
de temps à autre, il exposait la doctrine des khalifes du
Kaire, suivant en cela l'exemple de Nasir-i-Khosrau (2),
(i) J'emprunte cette biographie à Fadl-AUah-Rashid-ed-Din qui
l'a reproduite dans sa DJami-at tawarikh, sans doute intégrale-
ment ; Mirkhond l'a également copiée dans son RauzeUelséfa fi
siret el enbia wé-l molouk-wé-l-khonléfa, mais suivant $a désas-
treuse habitude, en l'abrégeant, et en faisant disparaître plusieurs
des passages les plus caractéristiques.
(a) Nasiri-IChosrau F Alide est l'un des personnages les plus étranges
qui aient appartenu à l'hétérodoxie musulmane; on pourra con-
— lO'J —
la Preuve du Khorasan {hodjdjat-UKhorasân), quoique ce
ne fut point une chose aisée à faire ; à Tépoque du sultan
Mahmoud-Abou-Ali-Simdjour, un grand nombre de gens
avaient adopté cette doctrine, et l'émir Samanide, Nasr,
ûls d'Ahmed, ainsi que beaucoup des grands personnages
de la cour de Bokhara s'y étaient ralliés. Je lui dis : « Ja-
mais je n'aurai de doute sur la véracité de l'Islamisme
et aucun respect humain ne me détournera de mes devoirs
religieux ; je crois fermement qu'il y a un Dieu, vivant,
éternel, tout-puissant, qui entend les prières des hommes
et qui voit leurs besoins; je crois qu'il y a eu un Pro-
phète, un imam (Ali), qu'il y a des choses licites et
d'autres qui ne le sont pas, qu'il y a un paradis et un
enfer, des choses ordonnées et d'autres prohibées. Je
pense que c'est là la loi de tout le monde et en particulier
celle des Shïites ; jamais je n'arriverai à croire qu'il faille
chercher la Vérité en dehors de l'Islamisme. La secte
des Ismaïliens n'est qu'une secte de philosophes (i) ».
« Cet Emirèh-Sorab était un homme honorable ; la pre-
mière fois qu'il eut un entretien avec moi, il me dit :
« Voici quelles sont les théories des Ismaïliens. )> Je lui
répondis : « O mon ami ! ne me répète pas leurs paroles,
car ce sont des gens excommuniés et leur doctrine est
hétérodoxe ! » Nous continuâmes à converser et à discu-
ter ; il ébranla mes convictions en m'exposant ses doc-
trines ; je ne savais pas m' être livré quand, en réalité,
ses paroles avaient pénétré profondément dans mon âme.
Je lui dis au cours de cette conversation : « En tout cas,
quand quelqu'un meurt en professant les croyances de
cette secte, tout le monde dit : « Voilà le cercueil d'un infi-
dèle », car le peuple, suivant son habitude constante, se fait
salter sur lui TexceUente notice que M. Rieu a insérée dans son
Catalogue of the persian manuscripts in the British Muséum^
tome T', page 379, et qui a servi de base à la préface du Séfer^
Nàmèhy de Nasiri-Khosrau, publié par M. Gh. Schefer, dans la
Bibliothèque de TEcole des Langues Orientales Vivantes.
(i) Par conséquent des disciples des Grecs, des Soufis.
— io8
des idées fausses et erronées. J'ai vu plusieurs Nizariens(i)
pieux qui s'acquittaient rigoureusement de leurs devoirs
religieux, et qui en même temps se livraient à la boisson.
Quant à moi, j'ai pour elle la plus grande répulsion, car
je sais qu'elle équivaut à tous les péchés et qu'elle est la
mère de tous les vices.» — Emirèh me dit: «La nuit, quand
ilt'arrivera dépenser alors que tu seras couché, tu verras
que ce que je t'ai dit te convaincra (2).» — Sur ces entrefai-
tes, je fus séparé de lui et je trouvai beaucoup de choses
dans leurs livres au sujet de l'imamat d'Ismaïl, la
Preuve. J'interrogeai sur ce sujet plusieurs personnes,
mais je n'en reçus pas de réponse satisfaisante. Je médis :
« Cet imamat dépend cependant d'une façon absolue de
traditions ou de textes koraniques et de passages des
livres de Loi, mais moi je ne sais vraiment pas quels ils
sont (3). » Sur ces entrefaites, je tombai très gravement
malade, et Dieu voulut que ma peau se séparât de ma
chair (4). « // changea sa chair contre une chair plus
saine et son sang contre un sang plus généreux ».
Je réfléchis en moi-même que cette doctrine était évidem-
ment la Vérité, mais c'était par suite de mon extrême
frayeur que je ne m'y ralliais point. Je me disais : « Le
terme fatal viendra, et si je ne suis pas arrivé à la Vérité, je
suis un homme perdu ». A la fin, je me tirai de cette terrible
maladie et je recouvrai la santé. Je trouvai un autre Ismaï-
lien nommé Bou-Nedjm-Sarradj à qui je posai des ques-
tions sur la doctrine de cette secte, il me les expliqua et
me les commenta longuement. Il y avait un autre person-
nage, nommé JVJoumin, à qui le sheïkh Abd-el-Mé-
lik-Attash avait permis de se livrer à l'apostolat. Je
le priai de me donner l'investiture et de m'aflilier à cette
(1) Partisans des khalifes fatimîtes du Kaire, autrement dit
Karmathes ou, ce qui revient au même, Ismaîlieus.
■ (21 Ou qu'il est absolument nécessaire que tu t'y conformes.
(3) Le texte se sert ici des mots nass et taukif dont le sens, au
point de vue théologique, est suffisamment établi dans Lane, An
ardbic-english lexicon, p. 2797.
(4) Lilt. que ma chair et ma peau lissent deux choses différentes.
— I09 —
secte ; il me répondit : « Toi qui te nommes Hasan. ton
stade est plus élevé que le mien qui suis Moumin. Com-
ment pourrais-je recevoir ton serment «x^ et comment
pourrais-je te faire déclarer que tu reconnais Timam ? »
Après de vives instances, il finit par recevoir mon ser-
ment. Au mois de Ramadan de Tannée 464, Abd-el-Mélik-
Attash, qui à cette époque était missionnaire (daï) pour
rirâk, vint à Reï et approuva ma conduite, il me chargea
même de le suppléer dans la Mission et me dit : « llfaut que
tu te rendes auprès de notre Maître. » Le khalife était alors
el-Mostanser-BilIah. En Tannée 467, le sheïkh Abd-el-Mé-
lik Attash quitta Reï et se rendit à Isfahan. En 469, après
qu'il m'eut choisi comme vicaire, je me décidai à aller au
Kaire ; je partis d'Isfahan par la rpute de TAzerbeïdjan,
après m'être rappelé les angoisses et les souffrances que
j'avais endurées et j'arrivai à Méyafarkin. »
Hasan-i-Sabbah par via t au Kaire le dix-septième jour du
mois de Safer de Tannée ^'ji ; le khalife el-Mostanser-
Billah envoya pour le recevoir le Grand Missionnaire et
plusieurs de ses principaux officiers ; Hasan demeura un an
et demi dans la capitale, comblé d'honneurs par tout le
monde, mais sans voir une seule fois el-Mostanser qui lui
accordait toutes les faveurs. Quelques-uns des courtisans
du khalife fatimite finirent même pars'inquiéterdelafaçon
dont Hasan- i-Sabbah était traité et ils craignirent qu'il
n'atteignit dans Tempire égyptien une position qui les
éclipsât ; el-Mostéali-Billah, fils d'el-Mostanser, qui était
le deuxième ^ et l'héritier présomptif, faisait partie
des mécontents ainsi que le généralissime Redr-el-
Djémali ; el-Mostanser ne put, ou ne sut défendre
Hasân'-i-Sabbah contre cette coalition et celui-ci dût
quitter TEgypte ; il s'embarqua à Alexandrie. « Soudain,
dit Rashid-ed-Din, une violente tempête s'éleva qui dé-
gréa le bâtiment ; cela jeta la consternation dans Téqui-
.page, tandis que notre maître (iS'irf7i<5=Hasan-i-Sabbah)
restait parfaitement tranquille ; l'un des matelots lui
demanda : « Comment peux -tu garder ton sang-froid au
— IIO ^-
milieu de pareilles circonstaaces. » Hasan répondit : « El-
Mostanser-Billah m'avait averti de cet incident et il m'a
prévenu qu'il n'y a aucune crainte à avoir, c'est pour-
quoi je ne m'en occupe pas. »
Le vent poussa le navire à Djibala qui, à cette épo-
que, était entre les mains des Francs ; le kadi de cette
ville ayant reconnu Hasan-i-Sabbah, l'emmena chez lui et
lui donna l'hospitalité dans sa propre maison.
C'est au mois de Redjeb de l'année 4^3 de l'hégire
qu'Hasan monta à la forteresse d'Alamout dont il ne sor-
tit pas une seule fois jusqu'au jour de sa mort, occupé à
rédiger les règlements de la secte et à écrire des livres
religieux qui sont tous disparus. Quand Djélal-ed-Din-
Hasan-ibn-Mohammed-ibn-Hasan se fut rallié à l'Isla-
misme orthodoxe, et qu'il eut reçu du khalife abbasside le
titre de « Nouveau Musulman » {Non- Musulman), il
lança l'anathème contre la mémoire de ses ancêtres (i) et
fît brûler les ouvrages d'Hasan-i-Sabbah (2); il paraît que
l'exécution ne fut pas complète ; en effet, quand le khan
Houlagou s'empara d'Alamout, le sahih-Udwan Ala-ed-
Din-Ata-Mélik-el-Djouveïni, vizii: et conseiller d'état, fut
chargé de trier les livres qui se trouvaient dans les forte-
resses ismsaliennes et de brûler tous ceux qui étaient rela-
tifs à la religion et à l'histoire de la secte (3).
On ne sait au juste à quel mobile obéit Hasan-i-Sabbah
en fondant la secte des Ismaïliens d'Alamout, ni quel fut
son but; peut-être fut-ce par ambition personnelle, quoi-
que tous les historiens, même ceux qui sont les plus pré-
Ci) Cette coutume se retrouve dans la religion orthodoxe russe ;
toute personne qui l'embrasse doit maudire la mémoire de ses
parents ; on ne faisait même pas jusqu'à ces derniers temps d'ex-
ception pour, les princesses qui abandonnent leur religion quand
elles épousent un membre de la famille impériale.
(a) Mirkhond, Rauzet-el-séfa, dans Notices et Extraits, tome IX,
p. 172-
(3) Ala-ed-Din raconte lui-même ce fait dans sa chronique inti-
tulée DJihaJi'Kusha. Il parcourut au moins quelques-uns de ces
ouvrages et c'est avec les renseignements qu'il en tira qu'il com-
posa son chapitre sur les doctrines des Bàthéniens.
— III —
venus contre lui, le représentent beaucoup plus comme
un mystique et un homme très simple, que comme un
vulgaire ambitieux ; il ne faut pas perdre de vue qu'Ha-
san se considéra toujours comme le missionnaire du
khalife fatimite du Kaire, el-Mostanser-billah-Aboa-
Témim-Maad ; il est probable qu'il resta toute sa vie à la
disposition de ce prince, n'attendant qu'un signe de lui
pour tenter à nouveau l'aventure qui avait si mal réussi
à Darazi et à Hamza sous le règne d'el-Hakem-bi-amr-
Allah; mais le signal ne vint pas, parce que Mostanser
n'avait pas l'audace de son aïeul et que, d'ailleurs, les temps
étaient bien changés; ce n'était pas dans des calamités
au milieu desquelles l'Egypte se débattait désespérément
que le khalife pouvait songer, si ce fut jamais son idée,
à reprendre pour son compte les théories d'el-Hakem.
Il est certain, quoique l'on ne possède guère de docu-
ments sur la politique des Ismaïliens d' Alamout, qu'après
lamort de Mostanser, Hasan-i-Sabbah se considéra comme
le défenseur des descendants de Nizar ; Mostanser avait
deux fils, Nizar, qui aurait dû être l'héritier légitime, et
Mostéali ; contrairement à tout droit dynastique, ce fut
Mostéali qui monta sur le trône, et Nizâr fut assassiné
par ses ordres (i). Hasan prit le parti de Nizar contre
Mostéali, comme tout loyal sujet des Fatimites eût dû le
faire. On a vu plus haut que ce furent les intrigues de ce
prince qui forcèrent le chef ismaïlien à quitter précipi-
tamment le Kaire. Ce fait a même une importance beau-
coup plus grande, comme on va le voir. Suivant Mir-
khond (2), certains Ismaïliens racontaient qu'un des
confidents du khalife el-Mostanser , nommé Abou'-l-Hasan-
Saidi, était venu du Kaire à Alamout, un an après la mort
(i) L'un des meilleurs historiens de l'Egypte, Abou'-l-Mahasen,
raconte, dans la el'Nodjonm-^l-zahira'fi'molouk'Misrwa''l'Kahi-'
ra, cette révolution de palais qui éclata à la veille de la première
expédition des Francs en Palestine.
(2) Rauzet-el-sé/a dans Notices et Extraits^ tome IX, p. 167.
Rashid-ed-Din raconte quelque chose d'analogue dans sa chroni-
que.
— lia —
du khalife, apportant avec lui uu enfant qui n'était autre
que le fils de Nizar; c'était à cet enfant que revenait Ti ma-
rnât après la mort de son père, car Mostéali n'était qu'un
usurpateur. Abou'-l-Hasan confia ce secret à Hasan-i-Sab-
bah qui éleva le fils de Nizar ; une vingtaine d'années envi-
ron après cet événement, le fils de Nizai» s étant marié, eut
un fils que l'on nomma Ala-Zikrihi-Esselam (i); au môme
moment, la femme du prince d'Alamout, Mohammed, fils
de Kyâ-Bouzourg-Oumid, fils de Hasan-i-Sabbah, venait
d'accoucher ; on en profita pour substituer le fils du fils de
Nizar à celui du prince ismaïlien, et c'est ainsi que le
descendant légitime des khalifes fatimitesduKaire, l'imam
véritable, devint prince des Ismaïliens. D'autres Ismaï-
liens allaient encore plus loin et prétendaient que le fils
de Nizar avait eu des relations adultères avec Tépouse
de Mohammed, fils de Bouzourg-Oumid, et que le qua-
trième prince Ismaïlien d'Alamout, Ala-Zikrihi-Essélam,
était son fils.
Cette légende, car ce récit a évidemment été inventé
de toutes pièces dans un but facile à comprendre, ne se
trouve pas seulement dans la chronique de Mirkliond,
mais cet auteiir est le seul qui la rapporte d'une façon
à peu près raisonnable.
L'historien arabe Ibn-el-Azrak-el-Fariki prétend au
contraire qu'après l'avènement de Mostéali, Nizar resta
caché au Kaire, et qu'Hasan-i-Sabbah l'y vint trouver
d'Alamout; Nizar aurait épousé la fille du chef Ismaïlien
et en aurait eu un fils nommé Mohammed-el-Moustafa ou
Mohammed-el-Kaïm, lequel, à son tour, aurait eu un fils
nommé Nizar comme son grand-père, qui aurait par con-
séquent été à la fois le khalife fatimite légitime et le
prince des Ismaïliens d'Alamout. Cette assertion, tout
comme celle de Mirkhond, n'a pas d'autre but que de faire
des chefs ismaîliens les descendants du Mahdi fatimite
Obeïd-AUah.
(i) piLJI »y5j J.fi ce qui signifie « que le salut soit sur sa men-
tion ou sur son souvenir x>.
— ii3 —
Le vizir de Ghazan, Fadl-Allah-Rashid-ed-Din raconte
dans sa chroniqae intitulée Djamiet-téwarikh, que le
prince ismaïlien Rokn-ed-Din-Khourshah est fils d*Ala-
ed-Din-Mohammed, fils de Djélal-ed-Din-Hasan, fils de
Nour-ed-Din, connu sous le nom de Ala-Zikrihi-Ëssélam,
fils d'el-Kaher-bi-kouwet-AUah, fils d'el-Mohtédi-billah,
fils d'el-Hadi-ila- Allah, fils d'el-Moustafa-li-din-Allah-
Nizar , fils du khalife fatimite el-Mostanser-billah. Il est
surprenant qu'un historien aussi sérieux et généralement
aussi consciencieux que Rashid-ed-Din, ait admis une
pareille généalogie sans s'apercevoir de son absurdité. En
effet, Mostanser-billah est mort en 1094 de l'ère chré-
tienne, c'est donc en 1095 environ qu'on apporta à Ala-
mout le fils de l'infortuné Nizar ; le fils du fils de Nizar,
Ala-Zikrihi-Essélam estnéeniia6, puisque Mirkhond dit
qu'il est né la même année que le fils de Mohammed, fils
deKyâ-Bourzoug-Oumid. Or, dans cet intervalle de 3a an-
nées, il est impossible de faire tenir les quatre intermé-
diaires que Rashid-ed-Din place entre Ala-Zikrihi-Es-
sélam et le khalife fatimite el-Mostanser-billah ; la même
objection vaut contre la généalogie donnée par l'auteur du
Omdet'eUtâlib-fi'néseb'âUAboU'Tâlib.
Cet auteur dont les termes en ce passage sont assez peu
clairs et même inexacts (i) dit que Ala-Zikrihi-Essélam
qu'il appelle Ala-ed-Din, prince de la citadelle de l'Occi-
dent (lire d'Alamout) était le fils de Djélal-ed-Din-Hasan,
fils d'Ala- ed-Din-Mohammed, fils d'Abou-Abd-Allah-
Hoseïn, fils d'el-Mostafa-li-din-AUah-Nizar; il est inutile,
après ce qui a été dit pour Rashid-ed-Din, de s'attarder
à relever les erreurs de cette généalogie absurde.
(i) Arabe 3031, folio i45 recto.
XV
. La Perse mise à part, c'est dans le Maghreb, et en général
dans les pays de l'Afrique du Nord, que la doctrine mah-
diste a été le plus rapidement et le plus complètement
acceptée ; il serait trop long d'examiner ici les causes mul-
tiples de ce fait qui ne laisse pas d'être assez étrange à
première vue, car il semble que la théorie messianique
étaitbien idéaliste pour les Berbers de l'Atlas et pour les
nègres du Kordofan. La chute de la dynastie fatimite du
Kaire laissait les Maghrébins sans imam, car tous les prin-
ces de la famille d'el-Adid-li-Din-Allah avaient été soi-
gneusement enfermés par Saladin et ils ne pouvaient se
rallier aux Assassins qui prétendaient être, comme on Ta
vu plus haut, les descendants du fils de Nizar et par consé-
quent du Mahdi Obeïd- Allah. Non seulement les Africains
en étaient fort éloignés, mais encore aurait-il fallu qu'ils
fussent certains de l'authenticité de cette histoire bizarre.
La place d'imam ne resta pas longtemps vacante et il
est bien probable que plus d'un ambitieux attendait de-
puis longtemps le moment de proclamer sa mission
divine; les derniers Fatimites n'avaient plus aucune au-
torité dans ce Maghreb qui les avait acclamés à l'époque
d'Obeïd- Allah, et Mohammed-ibn-Toumert mourut en 1 163,
huit ans avant le dernier khalife du Kaire, el-Adid-li-din-
AUah, après s'être fait reconnaître comme le Mahdi par
les Berbers de l'Atlas, et après avoir soumis à son autorité
le Maroc et la plus grande partie de l'Espagne, (i)
Les Sultans Shérifs qui régnent aujourd'hui encore sur
le Maroc, déclarent n'exercer la souveraineté temporelle
qu'en qualité de descendants d'Ali, fils d'Abou-Taleb, au
(i) Ibn-Khaldoun, Histoire des Berbers, traduite par Mac
Gluckin de Slane, tome II, p. i6i; Ibn-KhalUkan, Biographical
Dictionary^ traduit par le même, tome II, p. i8a.
— ii5 —
même titre qae les Fatimites d'Egypte et les Séfévîs de
l'Iran. Deux dynasties de Shérifs alides se sont succédées
sur le trône du Maroc, la première, celle des Saadiens est
éteinte depuis le milieu du xvii« siècle, époque à laquelle
le pouvoir souverain passa aux mains des princes de
Sédjelmasa, les Shérifs Filalis.
L'ancêtre des souverains de la première dynastie shéri-
iîenne du Maroc vint dans ce pays du petit port de
Yanbo (i), près de la Mecque, au commencement du viii^
siècle de l'hégire, et c'est à cette même époque que l'an-
cêtre des Shérifs Filalis, qui étaient également des des-
cendants du Prophète, vinrent à Sédjelmasa (2).
Ce fait n'a rien de surprenant quand l'on sait avec quelle
facilité et avec quelles faibles ressources, les sectateurs
de l'Islam entreprennent des voyages extrêmement lon^s
à travers toute l'étendue des pays musulmans. Aujour-
d'hui encore, il n'est point rare de voir des prédicateurs
venir de Yanbo jusqu'en Algérie pour faire des sermons
et recevoir pour tout salaire une cinquantaine de francs.
Quoique la généalogie qui fait des Sultans Shérifs
du Maroc les descendants d'Ali, fils d'Abou-Taleb, soit
probablement exacte, elle n'en a pas moins été atta-
quée par leurs adversaires avec le même parti-pris et la
même violence que celles des khalifes Fatimites d'Egypte.
(ij Les premiers Musulmans ne craignaient pas d'entreprendre
des expéditions autrement lointaines et bien plus dangereuses :
l'ancêtre de Tune des familles royales qui régnèrent sur Mada-
gascar, celle des Antaïmoro était un Shïite, un partisan des
douze imams, qui vint de Moka dans la grande île africaine où il
se fixa dans la vallée de Matatana ; les Antaïihoro qui furent très
puissants à Madagascar au Moyen- Age sont aujourd'hui réduits à
an état des plus misérables. Les chroniques malgaches donnent à
cet émigrant le nom d'Andriamboaziribc, il se maria avec
Andriambarilanirano et eut pour fils Vazaha Firoforo, Vazaha
Voloïmpo et Vazaha Sandranato. Le premier des rois Antaïmoro
fut Ramakarano, les quatre premiers régnèrent au capAinbahoahé,
les autres au village d'Ivatoarivo.
(2) Ibn-el-Kadi dans le Dorret-eUsolouk fi-men-hava-el-monlk-
min-^l'inoloukf cité par Mohammed-es-Saghir dans le Nozhet-el-
hadl (Houdas, page 18).
— ii6 —
Il est bon de remarquer dès à présent qu'elle offre moins
de variations que celle du Mahdi Obeïd-Allah, mais il ne
faudrait pas en tirer cette conclusion que son authenti-
cité est plus généralement reconnue, cela tient seulement
à ce fait qu'elle est rapportée par un plus petit nombre
d'historiens et que les causes des divergences diminue par
cela même.
Le principal de ces historiens est l'auteur du Nozhet-eU
hadi'bi'akhbar-molouk-el'karTi'el'hadi (i), Mohammed-
el-Saghir-ibn-el-Hadjdj-ibn-Abd-Allah-el-Oufrânî, qui
s'appuie pour cette question sur l'autorité de plusieurs
chroniques parmi lesquelles il convient de citer le el'
montéka-el-maksour- ala-maasir - khilafet - eZ - Sultan -
Aboul'AbbaS'Ahmed-el'Mansour, par Aboul-Abbas-
Ahmed-ibn-Mohammed-ibn-Mohammed-ibn-el-Afia, sur-
nommé Ibn-el-Kadi, et le Z>o/Te^-^Z-soZottA:, d'Ibn-el-Kadi.
D'après ces différents auteurs, l'ancêtre de la dynastie
des Shérifs du Maroc, Abou-Abd-Allah-el-Kaïm-bi-amr-
Allah (2), qui prit le titre à' Emir-el-mouminin et de kha-
life au commencement du xvi® siècle, était le descen-
dant à la i8<» génération de Kasem, fils de Mohamoied-
el-Nefs-el-Zakia (Mohammed, l'âme pure), fils d'Abd-
Allah-el-Kamil, fils d'Hasan, fils d'AU, fils d'Abou-Taleb
et de Fatima la pure. Cette généalogie était la plus répan-
due au Maroc à l'époque à laquelle écrivait Mohammed-
el-Saghir-el-Oufrânî, mais il parait, d'après les termes
mêmes de cet historien, qu'elle n'est point absolument
exacte. En effet, Mohammed-el-Nefs-el-Zakia n'eut point
de fils nommé Kasem, et sa descendance ne peut, suivant
deux célèbres généalogistes, el-Mekki-el-Samarkandi et
el-Mesnévi, s'établir que de la façon suivante : Mo-
hammed-el-Nefs-el-Zakia, père d'Abd -Allah -el-Ashter,
(I) Publié et traduit par M. Houdas dans la Bibliothèque de
VEcole des Langues Orientales, UI* série, vol. II et III.
(a) Ou raconte que ce prince eut un song^e qui lui prédit a
grandeur à laquelle atteindraient ses descendants. Cette légende
se retrouve en Orient à Torigine de presque toutes les dynasties,
aussi bien pour les Mozafférides que pour les Bouïides.
— IIJ —
père de Mohammed, père d*Hasan le borgne, qui fut
assassiné sous le règne du khalife el-Motaz-billah (866-
868). Cet Hasan le borgne eut quatre fils dont le dernier
se nommait Kasem. C'est de ce personnage que descen-
drait le fondateur de la dynastie des Shérifs Maghrébins.
Les ennemis de ces princes, qui étaient légion au
Maroc, et en particulier les Shérifs de Sédjelmasa dont ils
se disaient cousins, prétendaient que cette généalogie
était fausse et qu'ils avaient cherché sans aucun droit à
rattacher un de leurs ancêtres à un descendant d'Ali ; une
opinion assez généralement répandue parmi leurs adver-
saires était qu'ils étaient issus des Béni-Saad, fils de Bekr,
fils de Hawazin, tribu à laquelle appartenait Halima-el-
Saadiyya, la dernière nourrice du Prophète Mohammed.
C'est même pour cette raison qu'on leur a donné le titre de
Shérifs Saadiens, qu'ils n'ont jamais pris eux-mêmes, et
qu'ils défendaient absolument d'employer dans leur pro-
tocole, car il n'avait été inventé que par ceux qui niaient
leur noblesse (i).
Le premier des Shérifs de Sédjelmasa dont Iç descendant,
Abd-el-Aziz, règne aujourd'hui sur le Maroc(2), fiitMaulay
(I) Houdas, Nozhet-elrhadi, trad., p. i6.
(a) Voici la succession de ces princes jusqu'au commencement
du XIX* siècle. Quelques-uns n'ont fait que passer sur le trône,
être renversés, puis restaurés, j'indique par les mots bis, ter, les
différents règnes de ces souverains qni portent tous le titre de
Maulay :
el-Shérif-ibn-Ali (i)
Mohammed (2) er-Réshid (3) Ismaîl (4)
el-Zéhébi Abd-el-Mélik Abd-AUah Ali Mostadi Zeïn-el-Abidin
(5, 6 bis) (6) (7, 8 bia, 9 bis, (8) (9, 11) (10)
10 bis y
II bis, la bis)
Sidi-Mohammed (la, i3)
I I
Yézid (14) Soleîman (i5)
Abd-el-Aziz (1900)
— ii8 —
Hasan, fils d'el-Kasem, qui fat appelé en 664 de Thégire
(xa65 J.-C), de Yanbo à Sédjelmasa par le vœu unanime
des habitants de cette contrée. Cet Hasan, fils d'el-Ka-
sem, qu'on appelle souvent Hasan-el-Dakhil, était le descen-
dant, à la quinzième génération, deMohammed-el-Nefs-el-
Zakia (Mohammed Tâme pure) ; or, si la généalogie des
Shérifs de Sédjelmasa donnée par Mohammed-el-Saghir-
el-Oufrani dans le NozheteUhadi (i), d'après un grand
nombre d'ouvrages qu'il serait trop long d'énumérer
ici (a), est d'une autorité incontestable, il s'en suit immé-
diatement que celle des Sultans Shérifs Saadiens l'est éga-
lement et au même titre. En effet, ces deux généalogies
ont une partie qui leur est commune jusqu'à Mohammed,
descendant à la 17® génération d'Ali, comme l'indique le
tableau suivant, dans lequel les noms des Shérifs Saadiens
sont imprimés en italiques.
Abou-Taleb
L
I
Hasan-el-Sibt
I
Hasan
I
Abd-AUah-el-Kamil
Mohammed-el-Nefs-el-Zakya
Kasem
Ismaîl
Ahmed
Hasan
I
Ali
I
Abou-Bekr
I
(i) Hondas, ibid,, page 47^ et le Maroc de i63i à 1812, Introd.,
page 9.
(a) La principale de ces chroniques est le ed-donr-eUséni-fi-
men-bé'FcLS'Tnin-el-néseb'el-hasanî, par Abou-Mohammed-Abd-el-
Sélam-el-Kadiri.
— 119 —
Hasan
I
Mohammed-Abou-Arfa
Abd-Allah
Hasan
Mohammed
Aboa'-l-Kasem
Mohammed
Ahmed Kasem
I I
Zidan Hasan
Makhlouf Mohammed
I I
Ali Hasan
I I
Abd-^r-Rahman Ali-el-Shérif
Mohammed-eîrKaîm-biamr- Allah Yousouf
Mohammed'el-Mahdl
A
Mohammed
el-Shérif
Personne ne conteste aux Shérifs Saadiens la partie de
leur généalogie qui s'étend de Mohammed-el-Kaïm-bi-
amr- Allah à Ahmed, fils de Mohammed et frère de Kasem,
père de Hasan-el-Dakhil, le premier Shérif hasanien de
Sedjelmasa.
Or si Mohammed, fils d'Aboul-Kasem, est bien le des-
cendant d'Ali pour la généalogie des Shérifs de Sedjel-
masa, il l'est également pour celle des Shérifs Saadiens,
puisque Mohammed, fils d'Aboul-Kasem, est leur ancêtre
commun, et que cette partie de la généalogie est commune
aux deux branches des Alides du Maghreb (i). Il faut
(i) En efTet Mohammed-el-Saghir-el-Onfrânî dit dans le NozheU
eUhadi (Hondas, texte, page 6), jjb Jlî.i3JI ^\3 ^Ji ^^ 0.^1 yl^
— I20 —
croire que romission de trois noms entre Mohammed-el-
Nefs-el-Zakia et Kasem dans la liste des ancêtres des Shé-
rifs de Sedjelmasa avait moins d'importance que dans
celle des Shérift Saadiens pour les ennemis de ces der-
niers.
On a vu plus haut que d'après les auteurs musulmans»
la venue du Mahdi fatimite avait été prédite par une tradi-
tion attribuée à Mahomet; les historiens maghrébins ont
trouvé qu'une parole du Prince des Prophètes ne suffisait
point pour annoncer celle du premier sultan de la dynas-
tie des Shérifs, et ils prétendent que c'est Allah lui-même
qui l'a annoncée dans le Koran. Un nommé Sidi-Ali-ibn-
Haroun (i) trouvait que l'avènement de la dynastie Shé-
rifienne dans le pays arrosé parl'Oued-Draa, était prédit
par le verset io5 de la XXI« Sourate. « Nous : avons écrit
dans les Psaumes, après l'invocation : Certes, la terre sera
l'héritage de mes serviteurs vertueux »^^?JÎ i U.AiS'ooUf^
^jj^UaJ! 4^:»La-^ L^j-j c>j^5 (j' j^ôJ] ù<x> ç^
Il parait que la conquête de l'Egypte par Sultan Sélim
rOsmanli était également prédite par ce verset, car le
nombre représenté par Joi)^ dans le djomâl {o) est le
même que celui qui est représenté par Sélim, de plus l'ad-
Jli IjJl ^j^ JJI3 ^\S 0JI3
« Et le seyyid Hasan, iiis de Kasem, qui (Hasan) entra le premier
dans le pays de Sedjelmasa... était le fils de Toncle parternel de
leur grand-père (aux Shérifs Saadiens) qui entra le premier dans
le pays de TOued-Draa; c'est Zidân, fils d'Ahmed, fils de
Mohammed, père de Kasem, père d'Hasan, qui entra (dans le pays
de Sedjelmasa). »
(i) Hondas , NozheUeUhadi-'bUakhbcu^moloÛk'eUkiirn-el'hadi ,
trad., page a5.
(a) Pour la définition du djomâl je ne saurais mieux faire que
reproduire la note a de la page 28 de la traduction du Nozhet-eU
hadi, de M. Hondas : a Le mot djomâl signifie addition; par
suite on donne ce nom à une sorte de procédé de divination qui
consiste à additionner la valeur numérique des lettres d*un texte
du Coran pour connaître la date à laquelle un fait déterminé doit
se produire. »
— 121 —
dition des trois lettres du mot j^S donne 920 qui est l'année
durant laquelle le sultan osmanli vainquit Touman-Bay
de telle sorte que ce verset, ainsi interprété, devient :
« Sélim ! nous avons écrit dans les Psaumes après l'invo-
cation : Certes, après 920, la terre sera l'héritage de me&
serviteurs vertueux. » Ce procédé divinatoire d'une appli-
cation aisée, appliqué aux différents noms du premier
sultan Shérif ne donne rien de bien satisfaisant; il n'y a
que la date de 920 qui concorde avec l'époque à laquelle
la dynastie shérifienne arriva au pouvoir dans le Ma-
ghreb. L'auteur du Nozhet-el-hadi déclare lui-même qu'il
ignore comment l'on pouvait tirer cette prédiction de ce
verset. Il est prudent d'imiter sa réserve.
L'agitation madhiste ne se termina pas au Maroc avec
l'avènement des Shérifs originaires de Yanbo, et l'onpeut
dire qu'elle existe encore à l'état latent dans ce pays,
n'attendant qu'une conflagration européenne pour éclater
avec la même violence qu'aux siècles de jadis.
Abou-1-Kasem-ibn-Ahmed-ez-Ziani raconte dans le eZ-
tordjeman-el-moareb'an'donvel'el'Mashrek'We'-l'Magh-
reb, qu'en l'année 1197 de l'hégire (1783 J.-C.) « il y eut
une émeute suscitée par le missionnaire {daï) el-Hadjdj-
el-Yemmouri; ce personnage se livrait à l'apostolat et pré-
tendait être l'envoyé du « Maître du Temps (2) ».
(i) Après les conquêtes en Syrie qui amenèrent la chute défini-
tive de Jérusalem, le Sultan el-Mélik-el-Naser-Salah-ed-Din-You-
souf-lbn-Ayyoub lit écrire au khalife de Bagdad, el-Nasir-li-din-
Allah par le katlb Imad-ed-Din-el-Isfahani, une lettre commençant
par cette même formule. Djémal-ed-Din-ibn-Wasil nous en a con-
servé une partie dans son grand ouvrage historique intitulé
MoferredJ-el-kéroub'fi'akhbâr'molouk -Béni - Axyoub , manuscrit
arabe 1702.
• Nous avons écrit dans les Psaumes après Vinvocation : Certes,
la terre sera Vhéritage de mes serviteurs vertueux. » Louange à
Allah qui a réalisé cette promesse, qui a élevé notre sainte reli-
gion au-dessus de toutes les autres, celles du passé comme celles
de Tavenir I... »
(2) iLi^b JL5l 4^^3 j'Sv. u^c5«J^' <^>V è^ J^J Mî ^^ ^A
O. Houdas, Le Maroc de i63i à 1812, extraits de V ouvrage inti-
— 122 —
On voit par ces quelques mots de l'historien maghrébin
que rien n'était changé dans les habitudes des mission-
naires des sectes ismaïliennes ou simplement shîites. Tout
comme Abd-AUah-el-Meshréki, el-Hadjdj-el-Yemmouri
sut acquérir une grande renommée chez les Berbers et il
parvint à leur faire croire tout ce qu'il disait; mais le
sultan Sidi-Mohammed, fils d'Abd-Allah, fils d'Ismaïl,
envoya contre lui des troupes qui le défirent, et il périt de
la main du bourreau. Le Mahdi dont il annonçait la venue
prochaine ne trouva pas le moment propice pour appa-
raître et de ce côté, tout rentra dans l'ordre au Maroc.
tulé EttordJemçLn. Paris, Imprimerie Nationale, 1886, p. 83 du texte
arabe.
XVI
Des trois grandes divisions de l'hérésie fatimite, ce fat
la secte des Ismaïliens ou Assassins qui resta la dernière
pour le plus grand dam du Sunnisme orthodoxe. On sait
que le frère de Fempereur de Chine Mangkou-Kaan, Hou-
lagou, l'anéantit en 1266 de notre ère, et que son dernier chef
mourut au milieu des solitudes de la Tartarie, en revenant
de la cour du Fils du Ciel qui ne l'avait même pas admis
à contempler son impériale Majesté. Cette date marque
une division bien nette dans l'histoire de l'hétérodoxie
musulmane, car les bouleversements politiques causés par
les deux invasions mongoles changèrent entièrement la
face du monde de l'Islam. A partir de ce moment, une
grande partie des pays qui le composaient, la Perse en
particulier, devinrent jusqu'au commencement du xvi® siè-
cle, la proie des hordes turques et mongoles qui étaient
sorties des steppes glacées et des toundras de la Tartarie ;
les autres, ceux qui avaient échappé à cette avalanche, res-
tèrent sur le qui- vive, hypnotisés par l'épouvante etcroyant
toujours entendre le galop des cavaliers aux coursiers
bardés de fer, jusqu'à ce que la terreur mongole se fut
définitivement évanouie. La double invasion des Tartares
de Djingiz-Khakan et des Turks de Timour-Kourkan ne
s'étendit pas, autant que l'auraient voulu les deux con-
quérants, jusqu'aux grèves de la mer occidentale, et par
deux fois elle vint se briser contre les troupes presque
invincibles des Sultans Mamlouks du Kaire. Ce fut le salut
de l'Occident, qui ne s'en douta guère : sans les défaites
d'Aïn-Djaloutet de Homs, l'invasion se serait indéfiniment
étendue vers l'Ouest, et les Mongols, plus heureux que leurs
ancêtres les Huns, seraient venus planter leurs étendards
jusque sur les murs des capitales de l'Occident. L'Asie
— 124 ""
paya pour TEurope, et pendant deux siècles et demi, la
Perse fut livrée, sans défense, à toutes les brutalités
des vainqueurs. L'empire fondé dans l'Iran par la postérité
de Djingiz-Khakan s'était tellement effrité en un laps de
temps très court, que Timour n'eut qu'à se présenter pour
recueillir sa succession, mais quand les descendants de
Timour euienl à leur tour dilapidé et gâché l'immense
héritage que leur avait légué le grand conquérant, il ne
restait plus rien dans le pays d'Iran, qui fut à la veille
de devenir la proie des brigands turitomans des tribus du
Mouton noir et du Mouton blanc.
Par bonheur, la Perse put confier la garde de ses des-
tinées à une famille que ses vertus illustraient plus
encore que sa noblesse, et dont les premiers rois la sau-
vèrent de l'anarchie intérieure autant que de l'invasion
étrangère.
Depuis la chute de la dynastie Sassanide jusqu'à l'avène-
ment des Sété vis avec Shah-Ismaïl, la Perse n'avait jamais
eu d'existence politique indépendante. Suivant les hasards
des époques et de sa destinée, elle avait été une province
de l'empire des Khalifes ou des Seldjoukides, l'apanage
de l'une des branches cadettes de la dynastie mongole, ou
un morceau de l'empire de Timour, que les descendants
du conquérant ne tardèrent pas à se disputer l'épée à la
main. C'est à cette dynastie de mystiques et de derviches
que revient la gloire de lui avoir rendu son indépendance
et d'en avoir lait une unité politique, qui compta dans les
destinées cie l'Asie, autrement que ne l'avait fait la pro-
vince perdue dans l'immensité de l'empire de Khoabilaîoa
de Timour- Kourkan.
Shah-Isinaii (i) était le descendant à la dix-huitième
génération de Timam Mousa-el-Kazem, fils de Djaafer-el-
Sadik et huitième imam des Shïites imamis ; ses ancêtres
habitaient la petite ville d'Ardébil, et ils y avaient acquis
par leurs austérités un renom de sainteté auquel le grand
(i) Les Séi'evis, imamistes ou partisans des 12 imams n'avaient
rien de commun avec les sectes révolutionnaires ismalliennes du
Shiisme iranien.
— 125 —
Timour ne dédaigna pas de rendre un hommage public.
L'avènement de cette dynastie de moines ou plutôt de Sou-
fis,au trône de Perse est l'un des faits capitaux de l'histoire
de cette contrée, et l'on ne saurait lui trouver aucun paral-
lèle à cause du caractère mixte, à la fois politique et reli-
gieux des descendants du Prophète. Après la mort d'Henri
IV un Jésuite se fût assis sur le trône de France que ce ne
serait pas encore un fait comparable à l'avènement du clé-
ricalisme mystique et ésotérique des Séfévis. Une faut pas
oublier en effet que tout Alides et nobles qu'ils fussent, les
Séfévis n'en étaient pas moins de bons religieux, des der-
viches, tout comme Djélal-ed-Din-Roumi, l'immortel auteur
du MesnéçL Ce rapprochement fait mieux comprendre à
quel point est étrange l'avènement de la dynastie fondée
par Shah Ismaïl; et cependant, ces derviches dont les
ancêtres passaient leurs journées et leurs nuits en prières
et en méditations, sont avec les Sassanides, la dynastie la
plus brillante qui aitrégné sur la terre d'Iran. Ce n'était pas
la première fois d'ailleurs, que le cléricalisine escaladait,
dans la personne d'un prêtre, les marches du trône de
Perse ; un fait identique s'était produit près de vingt siècles
auparavant, au lendemain de la mort ou du suicide de
Kambyse, lorsque le Mage Smerdis, qui, selon toutes les
vraisemblances historiques, n'était qu'un imposteur, s'em-
para de la couronne de Perse et régna tranquillement pen-
dant neuf mois. Sans Darius et ses six frères d'armes, rien ne
dit que le moine n'eût pas fait souche de rois, et que les
Achémenides n'auraient pas été définitivement exclus d'un
trône qui leur revenait de plein droit.
XVII
On a vu que c'est dans la doctrine de la secte des Ismaï-
liens que la théorie des imams cachés (mestour) et du
Mahdi se trouve exposée avec le plus de netteté; si elle pa-
rait quelquefois un peu flottante, cela tient uniquement à ce
fait que presque tous les historiens musulmans qpii nous
ont fait connaître leurs dogmes, les considéraient comme
des monstruosités. C'est dans cette secte maudite du Sun-
nisme orthodoxe que se manifeste le plus clairement ce
nihilisme religieux auquel correspondait, dans l'ordre
social, le communisme le plus absolu. Nous allons montrer
que ce système politique et théologique a été presque
entièrement emprunté à la Perse d'avant l'Islam, comme
les historiens musulmans l'ont parfaitement reconnu : en
définitive, l'étrange religion ismaïlienne se rattache direc-
tement à celle que Timposteur Mazdak tenta de fonder à
la fin du règne des Sassanides, et leur doctriçe n'est que
le développement historique de celles qui séduisirent
les dernières années du bon roi Khosroès Perviz.
Le Shïisme iranien qui a traversé tout l'Islam en provo-
quant des révolutions sans nombre, depuis les frontières
de Chine jusqu'aux grèves lointaines que viennent battre
les flots de l'Atlantique, est né de la réaction du génie
messianique iranien contre l'esprit sémitique, dont le but
était justement d'anéantir la croyance au Messianisme. On
peut aller plus loin encore et montrer que le Mahdi des
Shïites est emprunté à un personnage qui a son existence
propre dans la religion mazdéenne, le Kéanide Bahram le
Victorieux.
Comme je l'ai fait remarquer dans un article antérieur (i),
(i) De l'influence de la religion mazdéenne sur les croyances
des peuples turcs, extrait de la Revue de VHistoire des Religions
de i8gy.
— 127 —
le récit de lajSn du monde tel qu'il se trouve exposé dans les
livres mazdéens, n'est pas primitif, et il dérive certainement
d'une interpolation dont il est facile de deviner Torigine.
Il semble bien que dans la légende primitive, le Messie,
on oserait presque dire le Mahdi des Mazdéens, qui devait
paraître à la fin de la douzième période millénaire du
monde, pour accomplir la résurrection et achever l'œuvre
du Prophète, était Bahram-Amavand (i) (Verethraghna-
Amavanta), que ce prophète fut Djemshid, le roi Soleil, ou
Zoroastre (a). L'intercalation dans la légende mazdéenne
de la geste de Zoroastre a complètement bouleversé le
dogme iranien, et il a fallu faire de la place aux nouveaux
venus aux dépens des anciens ; c'est alors qu'on réduisit
Djemshid à n'être plus que le roi glorieux de la légende
iranienne, en lui retirant le Prophétisme et que le Messie
Bahram Amavand devint un succédané incolore et aux trois
quarts inutile, des trois Messies, fils à venir de Zoroastre.
Je ne reviendrai pas sur l'étrange légende, évidemment
forgée après coup, d'Ukhshyat-ereta, d'Ukhshyat-nemo et
de Saoshyant (3) ; ce ne sont que de froides abstractions
théologiques dont le rôle s'explique aussi mal que possible
et dont l'utilité est des plus contestables. Je n'insisterai
pas plus longtemps sur cette question, car elle deman-
derait pour être étudiée à fond des développements beau-
coup trop considérables ; mais je crois qu'on ne peut guère
douter que le vrai Messie de l'Iran fût Bahram- Amavand,
dépossédé de son Messianisme au profit des trois fils de
Zoroastre, comme Djemshid avait été dépouillé de son
Prophétisme au profit de leur père. L'universalité de la
mission de Bahram Amavand est suffisamment prouvée
(I) Ibid,
(a) Primitivement Zoroastre n'avait aucun des attributs de la
Prophétie ; il était simplement Tun des membres de la dynas-
tie des prêtres de Haoma; j'étudierai un jour, sous l'empire de
quelle préoccupation et à quelle époque les théosophes mazdéens
ont fait entrer le cycle de Haoma et de ses prêtres dans le cycle
prophétique et royal de Tlran.
(3j Ibid.
— 128 —
par un passage du Grand Bundehesh pehlvi, qui est
cependant dérivé du Néo-Avesta et rédigé avec le même
parti pris de substituer le cycle de Zoroastre à l'antique
légende royale de l'Iran : « En ce temps-là, viendra du
Kavoulistan (i) un homme en qui résidera la gloire de la
famille des divins Kcanides; il se nommera Yahram et
tous les hommes le suivront; il sera souverain de l'Inde,
souverain de la Grèce, souverain du Turkestan et de tous
les pays ; il abolira toutes les mauvaises croyances, res-
taurera la religion de Zoroastre, et personne ne pourra
plus avoir une autre croyance ». On se demande ce que
viennent faire après cela les trois Messies, fils de
Zoroastre (2).
C'est la théorie messianique zoroastrienne qui a inllué
sur la formation du Mahdisme musulman ; dans la théorie
ismaïlienne, la plus parfaite de tout le Shïisme, l'appa-
rition du Mahdi est précédée par la venue de trois imams
cachés ^yLu*^ (3). Je suis très tenté de voir dans ces trois
imams cachés la copie des trois fils de Zoroastre,
Ukhshyat-ereta, Ukhshyat-nemo et Saoshyant et dans le
Mahdi, Bahram Amavand.
L'explication du nombre douze des imams est plus dif-
ficile et doit se rattacher à des calculs cabbalistiques dont
nous ne connaissons pas l'origine, et analogues à ceux <
qui font les délices des Soufis. Peut-être, mais ce n'est
là qu'une hypothèse tout-à-fait hasardée, ce nombre cor-
respond-il aux douze périodes du monde dans la cosmo-
gonie iranienne. En tout cas, aujourd'hui que l'on est
(I) Le pays de Kaboul, qui pour les Mazdéens du Néo-Avesta
était une dépendance politique de Tlnde.
(a) Zak'i angàm min kôat-i Kàçulisiân êvak-i ^a7im/ân£t
manaah gadâ patash min dàtak-i bakân Kâi Vahrâm karittuid;
hamâk martàm Ivatâ olâ li-alshar yahvùnd u pûn-ic Hindàkàn ù
Hràm u Tàrkistân u hamûk kôst pâtakhshâhîh obdûnil ; hdmâk
avâràn gîravishn IVal yakhaanfinit din-î Zariàhasht vinârit iah
pàn hic giravishn ol padtâkih là tuvân yàtûntan,
(3) Autrement dit, le Mahdi est le dernier de la période que Ton
appelle dans le Mahdisme la a période des quatre cachés ».
— 129 —
revenu de la théorie trop commode des mythes solaires,
personne ne songera plus à voir dans les douze imams la
personnification des douze signes du Zodiaque.
On saitque dans la théorie cosmogonique du Mazdéisme,
l'existence du monde est divisée en douze périodes d'une
durée égale; dans l'Avesta et dans les livres du Néo-Maz-
déïsme, la durée de chacune de ces périodes est de mille
ans ; il serait imprudent d'affirmer qu'il en était de
même dans le Mazdéïsme primitif (i). Chacune de ces pé-
riodes était sous la domination d'un astérisme, et vrai-
semblablement aussi d'un représentant de la divinité, dont
la mission n'allait pas jusqu'au Prophétisme ; il reste
assez de traces de cette constitution primitive du monde
mazdéen dans le Néo-x\vesta pour qu'on puisse la recons-
tituer en entier; ce n'était qu'à la fin du monde que devait
paraître le Messie.
Il est certain que l'hétérodoxie musulmane n'a pas tiré
ridée messianique de son propre fonds, mais qu'elle l'a
emprunte à l'étranger et on va voir qu'il y a de grandes
chances pour qu'elle l'ait emprunté à la Perse mazdéenne.
Il faut écarter le judaïsme, car malgré l'opinion générale-
(i) Il est très probable qu'il ne faut pas voir dans cette division
de la vie du monde une tentative pour baser la mesure du temps
sidéral sur la précession des équinoxes. On sait qu'il faut envi-
ron a6,ooo ans pour que le point vernal ait décrit toute la circonfé-
rence de l'écliptique, en admettant que ce mouvement de rétro-
gradation soit continu et uniforme. L'obliquité de l'éclip tique
variant suivant une équation qui n'est point connue, la durée du
mouvement de rétrogradatioa du point vernal n'est qu'approxi-
mativement de 26,000 ans, et il se peut qu'elle soit encore modi-
fiée par une foule d'autres constantes sidérales. Dans ces condi-
tions il est très possible que les astronomes de l'antiquité aient
attribué à la rétrogradation du point vernal une durée de
34*000 ans divisée en 12 périodes de deux millénaires, pen-
dant lesquelles le point vernal décrivait un arc de 3o"» de l'éclipti-
que. La précession des équinoxes passe pour avoir été découverte
par le célèbre astronome grec Hipparque, en l'année 128 avant
notre ère, mais il est très probable que ce mouvement de rétro-
gradation apparente du point vernal avait été observé à des épo-
ques très reculées par les astronomes égyptiens et chaldéens
qui furent les maîtres de la science hellénique.
— i3o —
ment reçue, il n'a joué qu'un rôle très effacé dans la forma-^
tion de l'Islam, bien inférieur à celui du Christianisme ;
en admettant même que le Messianisme du Shîisme soit
emprunté de toutes pièces au Judaïsme, cela ne ferait que
déplacer la question de quelques siècles, car il n'y a
aucun doute que le Messiamisme du peuple juif ne soit
lui-même d'origine iranienne (i).
Le Mahdi, le dernier imam des Shïites, est si visible-
ment identique à Bahram le Victorieux, que les Mazdéens
n'ont pas hésité un instant à les identifier. Si étrange que
ce fait paraisse à première vue, il n'en est pas moins très
réel et il s'explique d'ailleurs aisément. 11 était clair, peu
de temps après la conquête, que le Mazdéisme avait défi-
nitivement sombré dans les catastrophes de Kadésia et de
Nihavend, et qu'une restauration des Sassanides était
impossible ; les Parsis le comprirent si bien qu'ils allèrent
chercher dans l'Inde des maîtres plus cléments. Les Maz-
déens ne pouvaient songer à se rallier à l'Islam qui est
l'antipode de leur religion, mais ils pouvaient tolérer
auprès d'eux et accepter dans une certaine mesure, une
formule religieuse ennemie de l'Islamisme, quoiqu'en
dérivant, et qui n'avait d'autre but que de détruire l'ordre
de choses créé par les successeurs de Mahomet. C'est ce
fait qui explique pourquoi dans la dernière moitié du
XIX® siècle, tant de Guèbres ont adopté le Babisme : c'est
qu'ils voyaient tout naturellement dans le Bâb Ali-
Mohammed, le Mahdi des temps messianiques, autre,
ment dit leur Bahram- Amavand. Il est certain que cette
curieuse tendance d'esprit des Mazdéens restés en Perse
remonte bien plus haut, comme le démontrent plusieurs
passages d'ouvrages des Guèbres. Dans un texte pehlvi
que j'ai publié dans la Reçue de V Histoire des Religions^
on trouve une phrase, qui au premier abord, est des plus
énigmatiques : « Quand viendra-t-il, ce jour où arrivera
des Indes un messager annonçant la venue du roi Bah-
(i) Je compte revenir en détail sur cette question, dont il serait
trop long d'indiquer ici les grandes lignes.
— i3i —
ram de Tlndoustan, avec mille éléphants, montés par des
chefs, portant des étendards qui flottent au vent, comme
en portent les souverains à la tête des armées (i). » Il est
difficile de déterminer d'une façon précise la date à la-
quelle ce texte a été écrit ; un fait certain et très impor-
tant, c'est qu'il a été écrit en Perse et non aux Indes,
comme tant d'autres textes pehlvis; le plus ancien
manuscrit où il se trouve remonte au xiv® siècle, c'est l'ap-
proximation la plus grande que l'on puisse donner pour
la date de la rédaction de ce traité, mais rien ne dit qu*il
n'est pas très antérieur. Ce document n'est d'ailleurs pas
isolé dans la littérature qui s'est formée autour des débris
du Néo-Avesta. Dans un recueil factice auquel Anquetil-
Duperron a donné le nom de Petit Raçaêty et qui a été
formé d'extraits divers dans la première moitié du
XVI® siècle, on trouve quatre vers plus explicites encore
que le texte pehlvi traduit plus haut, et qui se rap-
prochent assez de la légende du Bahman Yesht pour
que l'on puisse croire qu'ils sont extraits d'un rifaci-
mento poétique de cet ouvrage : « Il y aura un roi de
l'Inde et de la Chine, de la race des Kéanides, au jour de
la vengeance (2) ; il aura un fils dont les désirs seront tou-
jours conformes à la Loi, et que l'on nommera Bahram.
Le signe de sa venue dans le monde sera une pluie d'étoi-
les qui tombera du ciel. Ce sera au jour Bâd du mois
Abân que naîtra ce Khosroès de la race sainte (3). »
(i) Amat yahvànât amat piyak-i yâtûnit min Hindàkân amat
yâtânit zak Shah Vâhrâm min Hindûkân amatpil-it hazar madam
sarân u madam roishâ il pilpân amat àrâstak drafsh yakhsanû-
nit pun aiçin-'i shatrôyârân IV-âîn sipâh madam yadrûnand»
(Textes Religieux pehlvis^ extrait de la Revue de l'Histoire des
Religions de l'année 1895).
(3} Le jour où les Iraniens tireront vengeance des défaites que
leur infligèrent les Musulmans, et qui entraînèrent la chute de la
dynastie sassanide ainsi que la disparition du Mazdéisme comme
religion d'état.
(3J Manuscrit Supplément Persan 47, folio 181 recto (Cf. Textes
pehlvis historiques et légendaires extrait de la Revue Archéologique^
de 1895).
— i3^ -
Dans un volume qui a également appartenu à Anquetil
Duperron, on lit ce qui suit : <x Dans quel endroit apparaî-
tra le Kéanide Bahram ? — Du côté où se lève le soleil,
dans le pays qui est entre l'Inde et la Chine ; c'est de ce
côté que Ton dit qu'il viendra (i). Le signe de sa naissance
dans ce pays est connu, c'est une pluie d'étoiles qui tom-
beront du ciel... On a dit que c'était à l'âge de trente
ans qu'il paraîtrait dans ce pays (2)... Ce sera dans
Tannée 903 du comput Parsi, à partir de la mort de l'em-
pereur Yezdegerd. Dieu sait le reste et ce qui est
caché (3). »
On a vu que plusieurs des descendants dlsmaïl, fils de
l'imam Djaafer-el-Sadik, s'étaient réfugiés aux Indes pour
échapper aux persécutions des Abbassides et à la moii;
dont ils étaient constamment menacés. Il se forma en
Perse, dans un certain groupe de partisans d'ismaîl
et de ses descendants, une opinion suivant laquelle le
Mahdi devait revenir de l'Inde où s'étaient réfugiés ces
proscrits, et les Mazdéens de Perse acceptèrent cette
théorie ; rien en effet, dans la littérature mazdéenne
ancienne, n'indique l'endroit d'où viendra le Messie
Bahrâm Amavand, tandis que l'on sait exactement où
naîtront les trois Messies, fils à venir de Zoroastre, dans
la province du Séïstan. Le principal est que l'on soit cer-
tain que l'identification du Mahdi et de Bahram Amavand
est déjà fort ancienne et qu'elle n'est pas une innovation
de date récente, introduite dans un Mazdéisme factice
et fin de siècle comme celui de plus d'un Parsi de Surate
ou de Bombay.
La théorie des imams cachés et du Mahdisme n'est pas
(i) Les aatorités sur lesquelles s*appuie l'auteur du Rivajret
auquel ce passage est emprunté.
(2) Ce qui coïncide avec ce que raconte le Bahman Yesht,
(3) Manuscrit Supplément Persan 5i, fol. 147 v». Dans le Grand
Rivayet d' Anquetil, il est dit que le Messie des Mazdéens est
appelé de noms divers suivant les différentes sectes (ms. supp.
Persan 46, folio 6 recto). Cette expression est obscure, mais je ne
crois pas qu'il y faille voir une allusion aux sectes musulmanes.
— i33 —
le seul point de la doctrine des Ismaïliens qui soit em
prunté au Mazdéisme. Uun des faits les plus étranges que
l'on remarque dans cette doctrine est leur façon de re-
trouver dans le nom du Prophète Mohammed, la repré-
sentation schématique du corps humain ou microcosme.
D'après Nowaïri, le nom de Mohammed s'écrit ainsi
en koufique redressé >-o-2o ; ils disaient que la tête était
représentée par le mim initial «, les deux bras par le ha ^,
le ventre par le second mim ^ et les deux jambes par le
dal â.
Uélif] représentait également l'homme debout, le lam J
le représentait à genoux tandis que le hé a le montrait
prosterné à terre ; la réunion de ces trois lettres !, J, et »
forme le mot aJI, qui n'est autre que le nom de Dieu.
Cette théorie bizarre se rapproche, comme on le voit,
autant des procédés de la Kabbale juive que de ceux du
Mazdéisme ; il est certain que la valeur numérale des let-
tres et des mots jouait un grand rôle dans les conceptions
cosmogoniques des Iraniens ; c'est ainsi que le créateur
Ahura-Mazda tira le monde de la formule Ahuna-Vairya
et que les vingt-et-nn mots qui la composent correspondent
aux vingt-et-un chapitres de l'Avesta ; il est plus que pro-
(i) Sylvestre de Sacy, Exposé de la Religion des Druzes,
Introd. p. CCin. On retrouve cette interprétation cabalistique du
nom du Prophète- Mohammed dans des œuvres dues à des Soufis
exaltés, écrites tant en arabe qu'en persan; elle fait partie
intégrante de la théorie cabalistique de Tunité trine et du système
cabalistique qui considère les lettres de Talphabet arabe comme
étant les éléments du macrocosme et du microcosme ; on ne peut
l'en séparer, et Ton voit par cela même que si les Ismaïliens
-connaissaient cette interprétation ésotérique du nom de Moham-
med, c'est qu'ils connaissaient également les théories cabalis-
tiques que Ton retrouve, avec quelques additions, dans le Sou-
fisme persan.
(a) itit ilah signiiie « dieu b en général, ^1 allah est pour J^t
elrilah litt. : a le Dieu par excellence. » C'est une faute de traduire
la formule bien connue ^1 ilî jJl il a 11 n'y a pas d'autre Dieu que
DieuD, il faut comprendre :ail n'y.a pas d'autre Divinité qu'Allah»,
ce qui a un tout autre sens.
— i34 —
bable que la Kabbale juive est allée chercher sa théorie
dès nombres dans rancienne Perse.
C'est une conception plus visiblement encore iranienne
que Ton trouve dans Torganisation interne de la théologie
et de la théocratie des Ismaïliens. Chaque élément hu-
main de la secte répond à un élément matériel du monde,
autrement dit, la secte est un microcosme, tandis que le
monde extérieur est un macrocosme. Chacun des sept
itnams est accompagné de douze hodjdja ; les sept imams
correspondent aux sept cieux, aux sept terres, aux sept
planètes, aux sept vertèbres cervicales (i) qui sont éle-
vées au-dessus de tous les autres, des sept ouvertures du
visage, les deux yeux, les deux oreilles, les deux narines
et la bouche. Les hojdjas correspondent aux douze mois,
aux douze phalanges des quatre doigts de la main, sauf le
pouce qui, lui, n'a qu'une seule division, les deux phalan-
ges du pouce sont le Prophète et le sous (2). Cela rap-
pelle de très près, comme on le voit, la théorie du micro-
cosme, que l'on trouve dans le Grand Bundehesh
pehlvi (3).
La théorie suivante est encore plus iranienne si cela est
possible : il y a deux Êtres qui gouvernent l'Univers, l'un
est préexistant à l'autre et le second est créé par le
Préexistant ; le premier a été créé par un Être qui n'a pas
d'attributs et qui ne porte point de nom ; sa création a
été involontaire, et elle est due simplement à une pensée ;
le second a été produit également par une pensée du Pré-
existant (4). Nowaïri lui-même, qui nous fournit ces pré-
(i) Cf. Sourate 65, verset 12. « II a créé 7 cieux et autant de
terres. »
(a) De Sacy, Exposé de la Religion des Druses, Introd., p. GKIV.
(3) Voir Textes pehlvis relatifs à la religion mazdéenne dans la
Revue de VHistoire des Religions de l'année 1895.
(4) De Sacy, Exposé de la Religion des Dru^ïes, Introd., p. GXXU.
On retrouve dans le Soulisme une théorie très compliquée du
n^icrocosme et du macrocosme, ou des relations qui existent entre
le K6a\kOi et le corps de Thomme ; cette théorie, qui ne diffère pas
sensiblement de celle des Ismaïliens, est le développement de celle
du Mazdéisme.
— i35 —
oieux renseignements sur les doctrines des Ismaïliens,
si'était aperça que cette théorie était purement iranienne:
« Cette opinion, dit-il, est conforme à celle de quel-
ques-uns des Mages qui, expliquant de quelle manière
Ahriman, qui est Satan, a été produit par le Préexistant,
disent que cela arriva par une mauvaise pensée qui lui
fiurvint et qui engendra Ahriman. »
En disant que ces différents points des théories Ismaï-
liennes reflètent le dogme iranien, je n'entends point pré-
tendre qu'ils sont empruntés directement au Mazdéisme
de FAvesta, mais bien au contraire aux doctrines d'une
secte hétérodoxe du Mazdéisme, probablement le Mani-
chéisme, peut-être même le Mandéïsme. Il est bon de
remarquer que d'après les termes de Nowaïri, ces opi-
nions sont conformes à celles de quelques-uns des Mages
et nullement que ce sont celles de tous les Mages.
On sent très bien dans cette théorie sur les deux êtres
surnaturels qui gouvernent le monde, l'opposition dé la
Pensée (minishn) et de l'Action (kûnishn) qui se trouve à
chaque page de l'Avesta. On sait que d'après la doc-
trine avestique, il a suffi à Ahura-Mazda de « penser le
monde » pour que le monde existât immédiatement, de
même qu'il suffit à Anra-Mainyu de «penser le mal )> pour
que le mal désole l'univers. La théorie de la création
telle quelle se trouve dans l'Avesta et dans les livres
pehlvis n'est évidemment que l'une de celles qui avaient
cours dans les différentes sectes de l'Iranisme (i).
L'Être qui n'a point d'attribut et point de nom, qui
a créé le Préexistant, c'est-à-dire Auhrmazd, daprès
Nowaïri, est selon toutes les vraisemblances le « Temps
sans bornes » du Mazdéisme, qui n'a ni fin, ni com-
(i) On ne saurait nier, malgré l'unité apparente du Mazdéisme
sassanide, qu'il n'y eut à cette époque de très nombreuses sectes
•en Perse. Une tradition attribuée à Mahomet dit : a Les Mages se
divisent en 70 sectes, les Juifs en 71, les Chrétiens en 7a; les
Musulmans en auront 78 ». On a vu plus haut, p. i3â, n. 3 que
l'auteur d'un traité contenu dans le Grand Rivayet d'Anquetil,
parle des différentes sectes du Parsisme,
— i36 —
mencement et dont Texistence est indéfinie plutôt
qu'infinie. La doctrine suivant laquelle Ahura Mazda
aurait, involontairement d'ailleurs, créé le démon Aîira-
Mainyu ne se trouve ni dans VAçesta, ni dans ïOula-'
maï-Islam, mais ce n'est évidemment pas Nowaïri qui
l'a inventée; il n'y a pas de doute qu'elle soit iranienne
et qu'elle ne forme une extension du principe de l'émis-
sion spirituelle, qui est l'acte par lequel Ahura Mazda
créa le Monde.
Le passage suivant de Nowaïri, qui ne fait que copier le
shérif alide Akhou-Mohsin, montre mieux encore que les
Ismaïliens avaient pleinement conscience de la parenté
de leurs dogmes avec ceux du Mazdéîsme (i).
« Si vous avez (à convertir) un Mage (c'est-à-dire un
Mazdéen), dit cet auteur, comme au fond ses opinions
s'accordent avec les vôtres, commencez par le qua-
trième degré (de l'initiation), par la vénération du feu,
de la lumière et du soleil; dites-lui ce qui concerne le
Préexistant, car c'est lui qu'ils nomment Auhrmazd (2) ;
son suivant qui est caché est, selon leur opinion, le Bon
(I)
Manuscrit arabe 1576, fol. 56 verso.
(a) Le manuscrit porte ^y^y^ qui n'a point de sens et qui est
évidemment une faute pour J^y^^ ou j^y^ M. de Sacy a corrigé
ce mot du texte de Nowaïri d'une façon toute différente.
a On lit dans le manuscrit de Nowaïri. dit-il, j^y^^ mais il est
« évident qu'il faut lire {^y^^ ^t et il traduit en conséquence : a car
« c'est lui que ces gens- là connaissent sous le nom d'Ahriman ».
c II est singulier, dit-il un peu plus bas que cet auteur surbor-
donne le bon principe à Ahriman et qu'il distigue les ténèbres,
c'est-à-dire le mauvais principe du même Ahriman. Je ne sais si
c'est par ignorance de sa part ou si le texte a été altéré par les
copistes ». (Exposé de la religion des Druzes, Introd,, p. CLy. En
réalité j^y^ n'est pas une corruption de {^y^^ Ahriman, mais
bien de j^^a' Au/irma«,.pour Auhrmazd, forme habituelle du
- i37 -
Principe, et les Ténèbres cachées sont dans leur esprit le
Mauvais Principe (Ahriman). Ces gens (les Mages) sont
avec les Sabéens les plus proches de nous comme con-
ception religieuse. »
On voit que si Nowaïri rapporte d'une façon peu exacte
d'ailleurs Tun des principaux dogmes du Mazdéisme,
peut-être par la faute de ceux qui ont transcrit son
texte, il n'en est pas moins certain que les mission-
naires ismaïliens se rendaient parfaitement compte qu'il
n'y avait pas, en fait, une grande distancfe entre leur doc-
trine et celle des Mazdéens (i).
D'ailleurs les Ismaïliens shiites étaient loin d'être les
seuls à reconnaître que la plus grande partie de leurs doc-
trines, au moins les plus importantes, étaient empruntées
au Mazdéisme ; la parenté du Shïisme et des doctrines reli-
gieuses de l'ancien Iran n'a pas échappé aux historiens
qui nous ont conservé l'histoire et les dogmes de cette
secte.
C'est ainsi que l'un des plus anciens, Nizam-el-Moulk,
vizir du Sultan SeldjoukideAlp-Arslan, fait très nettement
des Ismaïliens ou Bathéniens les descendants de la secte de
Mazdak (2).
Il dit également (3) que Boii-Tahir, le chef de l'insurrec-
tion des Karmathes dans le Bahreïn « professa publique-
ment les doctrines de Mazdak », Un historien un peu
plus moderne^ Ala-ed-Din-Ata-Mélik-el-Djouvéïni, rap-
porte dans son excellente histoire des Mongols, connue
sous le nom de Târîkh-UDjihânkushâi (4), que dans les
pehlvi ; ce qui, comme on le voit aisément, donne un sens tout
différent à ce passage de Nowaïri et autrement satisfaisant que
celui qui avait été adopté par S. de Sacy.
(i) Exposé de la Religion des Driizes, Introd., page GIV et seq.
(a» Siasset-Ndmèh, publié et traduit par M. Ch. Schefer, 1891,
1893, chapitres XLV et suivants de la traduction et page 2198 du
texte.
(3) Ibid., p. 288 de la traduction.
(4) Manuscrit de Ducaurroy, Supplément Persan ao5, fol. i56
recto.
- i38 —
premiers temps de Tlslam, après Tépoque des khalifes
orthodoxes (i), naquit une secte dont les dogmes étaient
contraires à ceux de la Loi musulmane et dans laquelle
prédominaient les descendants des Mages. Ces hétéro-
doxes répandirent dans le monde la théorie qu'au sens
exotérique du texte du Koran correspond un sens caché,
ésotérique, que le vulgaire ne peut arriver à connaître.
Ala-ed-Din dit que ces gens firent servir ce qu'ils connais-
saient des philosophes grecs à étayer cette fausse doc-
trine. On ne peut pas dire plus clairement et d'une façon
plus catégorique que le Shïisme et le Soufisme sont les
héritiers et les continuateurs historiques du Mazdéisme
de l'ancien Iran.
L'historien persan Hafiz-Abrou (12) dit plus formelle-
ment encore que les Ismaïliens sont une secte de Guè-
bres (j^jîS 4^1:;: qui, sous le règne du khalife abbasside
Mamoun voulurent proclamer leurs croyances, mais qui
ne tardèrent pas à reconnaître qu'ils n'étaient pas en état
de renverser l'orthodoxie musulmane. Hafiz-Abrou va
évidemment trop loin en disant que les Ismaïliens sont
des Guèbres et l'expression dont il se sert dépasse sans
doute sa pensée, mais il n'en est pas moins vrai que
pour cet historien, les Ismaïliens se rattachent directe-
ment aux Mazdéens de l'ancienne Perse sassanide;
Nowairi est plus dans la vérité histoiique en se bornant
à affirmer que les dogmes de l'Ismaïlisme sont très voisins
de ceux du Mazdéisme, et que ces deux formes religieuses
(i) On troave quelquefois chez les historiens sunnites et chrétiens
le nom de khalifes orthodoxes el-khulafa el-rashidin appliqué
en dehors de son acception habituelle pour désigner les Abbass|^es
par opposition aux Fatimites hérétiques. On lit en effet dans
V Histoire des Patriarches d'Alexandrie, ms. arabe Soa, page 4^7 :
a On reçut (au Kaire) la nouvelle que le khalife el-Mostansir-billah
était mort à Bagdad; il était (qu* Allah lui fasse miséricorde) du
nombre des khalifes orthodoxes qui étaient comme les flambeaux
de la Foi b.
(2) Le texte de ce passage de Hafiz-Abrou a été publié par M. de
Goêje dans son Mémoire sur les CarnuUheSf p. «07, diaprés un
manuscrit de Saint-Pétersbourg.
— i39 —
sont apparentées; ce qu'il y a de curieux, c'est que Hafiz-
Âbrou et Nowaïri, qui sonl deux écrivains également
consciencieux, s'accordent pour affirmer que l'adoration du
feu et du soleil était une pratique courante chez les Ismaï-
liens. Si étrange que ce fait puisse nous paraître à pre-
mière vue, il n'a rien que de très vraisemblable quand
l'on songe à l'influence du Mazdéisme sur ces sectes aux-
quelles il fallait une certaine audace pour se prétendre
musulmanes. Beîbars-el-Mansouri (i) dit également que
les Karmathes qui n'étaient, comme on le sait, que l'une
des sectes de l'Ismaîlisme, s'étaient égarés vers les doc-
trines des infidèles, comme Zoroastre et ses pareils, qui
ont permis des choses défendues par les autres religions,
et qu'ils avaient adopté les croyances des Perses et des
Mages. Cet historien se montre même plus affirmatif
encore quand il écrit que les partisans d'une autre secte
ismaîlienne, les Khourrémis suivaient les mêmes règles
qu'une des sectes des Mages sous le règne de Kobad,
où l'on pouvait se livrer sans aucune retenue aux actes
les plus illicites (2). On ne peut pas faire une allusion
plus transparente aux doctrines anarchistes de Mazdak,
et l'on a vu qu'en effet le Karmathisme était une anarchie
religieuse et politique aussi complète que celle de Mazdak.
11 est à remarquer d'ailleurs, qu'en parlant des Ismaïliens,
les auteurs musulmans se servent ordinairement du mot
zéndik (3), ^JjOô^ ; qui est généralement appliqué à
Mazdak et à ses partisans.
(i) Tarikh-el'hidjret, ms. ar. 1672, folio 97 recto.
Aj^^vi^^adJi^ fj»yi-i^ fa^^Jw* \y,y*^^ c:>i^yta.i^l
(a) Ibid., folio 96 verso
(3) Par exemple, Mirkhond, dit dans son Rauzet-^Lsefa (dans
les Notices et Extraits, tome IX, p. 3117).
« Une secte d'hérétiques qui dans le Roûdbâr et le Kouhistan,
avaient arboré Fétendard de Timpiété, de Tathéisme et du Zendi-
— i4o —
Les fragments de Nowaïri et dlbn-el-Djauzi qui ont été
cités plus haut sont une preuve de plus que les Musulmans
avaient pleinement conscience de l'origine étrangère de
la doctrine ismaîlienne et en général de toutes les doctrines
shîites.
kisme ». Le mot zendik a été emprunté par Tarabe aux langues
iraniennes à Tépoque sassanide ou immédiatement après; c'est
Tadjectif peblvi régulièrement formé avec le suifixe-îA du mot
zend qui désigne le commentaire de l'Àvesta écrit en pehlvi ; le
zendik est celui qui se base sur Tinterprétation de TAvesta et
non sur le texte lui-même, celui qui oppose le sens ésotérique
au sens intrinsèque, ce qui était comme on Ta vu, le fond de la
doctrine karmathe, la méthode et en général de toutes les sectes
ismafliennes et celle du Soufisme.
XVIII
Le dogme fondamental de l'hétérodoxie shïite, qui fait
que ceux qui la professent n'ont en réalité aucun droit
à se prétendre des Musulmans, est la croyance qu'une
mission prophétique peut exister après celle de Moham-
med.
L'enseignement de la secte shïite lapins scientifique qui
ait existé dans le monde, celle des Ismaïliens, consistait à
détruire successivement dans chaque degré d'initiation les
dogmes qu'on avait appris à l'initié dans les précédents ;
il faut bien reconnaître que ce n'est là qu'un souvenir des
théories de Mohammed, ou plutôt l'application très logique
du principe le plus important de l'Islamisme.
Mahomet reconnaissait parfaitement la mission pro-
phétique de Jésus-Christ et avant lui, celles de Moïse,
d'Abraham, de Noë et d'Adam, mais dans sa conception
religieuse, chacune de ces missions abrogeait la précé-
dente, en faisant immédiatement cesser l'équilibre reli-
gieux et politique qui en était né, elle abrogeait égale-
ment les livres sacrés qui avaient servi de guide aux
hommes durant le temps qui s'était écoulé entre la venue
de deux prophètes successifs (i).
C'est ainsi que le Koran abrogeait l'Evangile, qui lui-
même avait abrogé la Bible; mais Mohammed est le
dernier des envoyés d'Allah, il est le Sceau des Pro-
phètes, le *U^^I ^•Lk. (2), et il ne s'est pas fait faute de
(i) II ne serait d'ailleurs pas impossible qu'il y ait là une
influence du Mazdéisme. A la lin des temps chacun des trois Mes-
sies, ûls à venir de Zoroastre, apportera un livre nouveau de
l'Avesta; mais cela ne suffit pas pour faire un rapprochement
sérieux à ce sujet entre le Mazdéisme et l'Islamisme.
(a) Toutefois il convient de remarquer que la formule qui résume
tout l'islamisme et qu'il suffit de réciter avec conviction pour avoir
— l42 —
répéter à satiété, comme s'il avait peur de ne pas arriver
à en persuader les hommes, qu'après lui, il n'y aurait
pas, et qu'il ne pouvait pas y avoir de nouvelle mission
prophétique (i). La doctrine des Shïites, d'après laquelle
il peut exister un ou plusieurs autres prophètes après
Maliomet, implique cette idée que sa mission sera
abrogée par celle de nouveaux envoyés divins et que le
le droit de se prétendre Musulmaii, ne dit pas que Mohammed est
le dernier Prophète, elle se borne à dire que Mohammed est
l'Envoyé d'Allah.
(i) Les Soufis sont allés beaucoup plus loin dans cette voie que
les sectes les plus hétérodoxes du Shiisme, avec leur théorie des
Pôles aktâb, dont le Pôle Suprême, le Kotb-el-aktàb, chef de toute
la hiérarchie mystique, commande à TEtre unique. Toutes les
sectes shïites admettent après Mahomet la venue d'un nouveau
Prophète, le Mahdi, mais elles s'accordent toutes pour affirmer
qu'il n'y aura qu'un Mahdi seul et unique, et que la série prophé-
tique sera définitivement close avec- lui. Cela n'a pas paru suffisant
aux Souiis, qui n'ont pas voulu se raUier aux doctrines imamistes
évidemment beaucoup trop restrictives pour eux, si avancées
fussent-elles. Les sectes shïites ont toujours admis que le Mahdi
ne pouvait être qu'un descendant de Mahomet par sa fiUe Patine ;
c'est-à-dire, en définitive que le Mahdi continuera la Prophétie
dans la famille du fils d'Abd-Allah. Les Soufis au contraire, ont
toujours proclamé qu'un mystique quelconque pouvait être le Pôle
(Kotb), et ce Pôle est dans leur théorie, identique au Sceau de la
Prophétie (Khatem); il s'en suit donc, comme on le voit, que la
série prophétique, bien loin d'être limitée aux grands Prophètes
de l'Islamisme et à Mahomet, est indéfinie dans les deux sens et
qu'elle ne se terminera que le jour où Allah mettra fin à l'exis-
tence matérielle du monde. Dans cette théorie, la place du Sceau
(khatem)^ qui fut celle de Mahomet, n'a jamais été vacante un seul
instant et ne le sera jamais ; non seulement le Sceau ou Pôle
suprême peut être un homme quelconque, n'ayant aucune parenté,
si lointaine fût-elle avec Mahomet, mais encore cet homme com-
mande à Allah, qui n« peut diriger le monde que d'après ses
ordres. C'est là, comme on le voit, une théorie autrement auda-
cieuse que celle des Ismaïliens, et cependant ces Soufis prétendent
être les soutiens les plus fermes de l'Islamisme ! Il ne faudrait pas
croire cependant qeulle est le résultat d'élucubrations mystiques
sans rime ni raison ; .cette doctrine extraordinaire, n'est comme
j'espère le montrer dans le travail dont j'ai parlé dans la Préface,
que le développement normal et parfaitement logique de la théo-
rie métaphysique de l'Unité qui est la grande base de l'Esotérisme.
-^ i43 —
Koran sera lui aussi abrogé par d'autres livres. C'est ce
qui ne manqua pas d'arriver et le Koran d'Ahmed, fils
de Mohammed, fils de la Hanéfite, celui du khalife
fatimite el-Hakem et celui du Bâb n'ont pas été écrits
dans un autre but que à^ abroger le Koran de Mohammed,
fils d'Abd-Allah.
La période qui s'étend depuis l'avènement des Séfévîs
jusqu'au milieu du xix« siècle, ne vit pas s'accomplir en
Perse de grands mouvements religieux. Cette longue
accalmie est plus apparente que réelle et l'idée messiani-
que est restée aussi vivante dans l'Iran qu'à l'époque des
révolutions Ismaïliennes. Bien qu'elle ne soit pas immé-
diatement visible à travers les bouleversements au milieu
desquels s'effondra la dynastie Sofie et dans le chaos d'où
sortirent les Kadjars, l'agitation messianique ne cessa pas
un seul instant et elle demeura à l'état latent, jusqu'au jour
où elle éclata avec une telle violence que le trône du roi
Nasir-ed-Din Shah Kadjâr faillit être emporté par la tour-
mente.
Du moment où la Perse fut gouvernée par des souve-
rains dont la religion officielle est le Shïisme, on pouvait
croire impossible et inutile toute nouvelle explosion du
fanatisme qui avait mené les Karmathes à la Mecque et
les descendants d'Obéïd- Allah au Kaire. Mais l'Imamisme,
celui qui admet les douze imams, aussi bien que celui qui
n'en veut reconnaître que sept, doit fatalement conduire à
une série de révolutions.
Le dogme fondamental du Shïisme est la venue future
d'un Mahdi avec lequel sera close à jamais la série des
douze imams; il est clair que ce Messianisme doit infailli-
blement, un jour ou l'autre, amener un Messie, qu'il
enflamme une conviction religieuse, ou qu'il serve de
prétexte à une ambition politique. Ce n'est pas à coups
de fusil, ni même à coups de canon ^ que les Rois des Rois
viendront à bout de cette révolution; la terrible répres-
sion de 1849 ^'^ P^^ ^é l^ Bâbisme qui est plus puissant
que jamais dans l'empire du lion et du soleil, et la Perse
- i44 -
est condamnée, par ses croyances mômes, aux révolutions
religieuses à perpétuité.
Depuis les temps les plus reculés, Tlran n*a fait que
bouleverser les religions de Tancien monde. G*est de
Perse que vient le Messianisme des derniers temps
d'Israël, la plus douloui'euse nostalgie de Favenir q^u'il
ait été imposé à Thomme de souflrir ; c'est également en
Perse que se retrouvent les principaux éléments et l'ori-
gine des abominables cultes mithriaques qui, sans le
Christianisme, seraient devenus la religion f officielle de
l'empire romain, c'est-à-dire de l'Europe tout entière;
c'est de Perse qu'est parti le signal de la révolution contre
l'Islam qui a secoue tout le monde musulman et qui, à plu-
sieurs reprises, a failli amener la ruine déflnitive de la
religion fondée par Mahomet : elle ne peut échapper à la
loi commune et ne pas souiïrir à son tour des maux qu'elle
a déchaînés dans le monde.
On comprend qu'avant d'étudier la doctrine du Bâb et
de la comparer à celle des autres sectes hétérodoxes
de l'Islam, et de rechercher dans quels rapports elle se
trouve avec l'Esotérisme et le Kabbalisme qui forment
une partie très importante des dogmes des Souds et des
Hourouiis (i), il est indispensable d'étudier l'état poli-
tique de l'Iran après la dislocation et la ruine de l'empire
timouride, les causes de la décadence si rapide et si désas-
treuse de la dynastie des Sofis et d'examiner au moins
brièvement ce que les Kadjars ont fait de la Perse. C'est
seulement à ces conditions que l'on peut replacer cette
secte étrange dans le cadre historique au milieu duquel
elle s'est si rapidement développée, minant peu à peu
(i) Les Bâbis sont parement des ésotériques, et ils ont adopté
des théories Kabbalistiques qui se retrouvent chez les Hourouûs
et dans le Soufisme, mais ils détestent les Soufis qu'ils accusent
d'être sortis de l'Esotérisme. C'est là un peu une querelle de mots
et bien que le Bâbisme ail des tendances opposées à celles du
Soufisme, ses doctrines rappellent les théories métaphysiques et
kabbalistes des docteurs soufis.
— i46 —
l'autorité de la dynastie régnante qu'elle serait sans nul
doute arrivée à remplacer dans l'avenir, si les tsars n'at-
tendaient pas l'heure d'annexer le royaume de Djemshid
et de Kai-Kobad à leur empire asiatique.
On ne peut pas davantage rattacher directement les
confréries actuelles de l'Afrique du Nord aux sectes
hétérodoxes anciennes. La chute du khalifat abbasside a
marqué la fin d'un régime politique qui avait duré près
de sept siècles et elle est le point de départ d'une évolu-
tion qui se continue de nos jours. Les doctrines nouvelles
sont nées et se sont développées au milieu de civilisations
qui n'ont rien de commun avec celle qui vit éclore la secte
Karmathe et le dernier Mahdi entraînait à sa suite des
populations toutes différentes de celles qui acceptèrent
la prédication du Fatimite Obéïd-AUah, ou tout au
moins dont l'existence et Tidéal politique ne sont plus
les mêmes.
APPENDICE P'
Extraits du Kitabi-béyan el-édian sur les seotes
hétérodoxes de l'Islamisme.
Cet ouvrage est vraisemblablement le plus ancien des
traités écrits en persan sur les religions orientales ; il a été
composé en 1092 de Tère chrétienne par Timam alide
Aboul Méali Mohammed ibn Obeid Allah, à la cour du
sultan ghaznévide Ala ed-Daulèh Abou-Saïd Djélal ed-Din
Masoud, fils d'Ibrahim, qui était monté sur le trône en
1089. Le texte du KHabi-béyan el-édian a été publié par
M. Gh. Schefer dans sa Chrestomatie persane , tome I«'*,
pages 132-171, d'après un manuscrit de sa collection, daté
de Tannée i494 de J.-C, et qui porte aujourd'hui le n® i356
dans le supplément du fonds persan de la Bibliothèque
Nationale. Les extraits que j'en donne ici et qui forment
la plus grande partie de la section consacrée aux sectes
musulmanes valent au moins ce que racontent Shehris-
tani ou l'auteur du Dabistan el-mézakib, non seulement
parce qu' Aboul Méali Mohammed leur est très anté-
rieur, mais surtout parce que les renseignements qu'il
donne, combinés avec d'autres témoignages, permettent
d'établir ce fait capital, que la doctrine métaphysique des
sectes hétérodoxes de l'Islamisme n'est, en réalité, pas
différente de celle des Ikhvan el-Séfa et du Soufisme. Je
compte revenir plus à loisir sur cette question dont l'im-
portance est évidente et indiquer, autant que faire se peut,
les raisons de ce fait dans le travail sur les Mystiques de
rislam dont j'ai parlé dans ma Préface.
— i48 —
« Les Keïsanis (page i58) sont la deuxième subdivision
des Shïites; ils sont les disciples de Kéïsan, affranchi
d'Ali, fils d'Abou Talib. Leur doctrine est que Y Imamat
passa après Hasan et Hoseïn à Mohammed, que l'on nomme
Ibn-el-Hanifa, parce que sa mère se nommait Hanifa. Ces
gens disent qu'il vit toujours et qu'il ne mourra jamais;
ils croient qu'il est caché dans un vallon du mont Ridoua
et qu'il en sortira quand le moment sera venu pour
lui de se révéler aux hommes; il conquièrera alors le
monde et y fera régner la justice. Les Keïsanis se divisent
en quatre sectes : les Mokhtaris, qui sont les disciples de
Mokhtar ibn Obeïd el-Thakafi; les Karbis, disciples
d'Abou Karb el-Zarir ; les Ishakis, disciples d'Ishak ibn
Omar; les Harbis, disciples d'Abd- Allah ibn Harb.
« Les Ghalis (p. i58), sont à l'extrême gauche du
Shïisme, et ce sont de purs infidèles. C'est un homme
de cette secte qui vint trouver Ali et qui lui dit : « O
Ali le Sublime (Ali-el-àla), que le salut d'Allah soit sur
toi ! » Ali donna l'ordre de le brûler vif et dit : « Il y a
deux sortes de gens qui sont voués .à la perdition : ceux
" qui aiment d'un amour insensé et ceux qui poussent la
haine jusqu'à calomnier l'objet de leur ressentiment. »
Les Ghalis se subdivisent en neuf sectes : les Kamélis,
disciples d'Abou-Kamel ; les Sabaïs, disciples d'Abd-
AUah ibn-Saba; les Mansouris, disciples d'Abou Man-
sour el-Adjéli; les Ghourabis, qui prétendent qu'Ali, fils
d'Abou-Talib, est resté dans ce monde sous la forme d'un
corbeau; les Bertaïs, disciples de Bertaa ibn-Younis;
les Yakoubis, disciples de Mohammed ibn-Yakoub : ce
sont ces gens qui disent qu'Ali vient constamment dans le
monde, dissimulé dans un nuage ; les Ismaîlis, disciples
d'Ismaïl ibn- Ali, et les Azdêris : ces sectaires disent que
cet Ali, qui fut le père d'Hasan et de Hoseïn, n'est point
le vrai Ali, mais que c'est un homme qu'ils appellent Ali
Azdéri. L'Ali véritable, qui est l'Imam, n'eut point d'en-
fants, et il est le démiurge : que la malédiction soit sur
ces misérables ! J'ai entendu raconter au sujet de notre
seigneur Ali, fils d'Abou-Taleb(quela miséricorde d'Allah
— i49 —
soit sur lui !), Tauecdote suivante : c'était à l'époque où je
me trouvais à Koufa. Un vieillard qui appartenait à la
famille alîde et qui professait ouvertement les doctrines
de la secte des Azdéris, à ce point qu'il faisait suivre son
nom de l'épithète « el-Azdéri », était parvenu à une situa-
tion importante, et sa qualité d'Alide lui avait assuré le
respect et la considération de tous. On l'enterra sur l'un
des côtés du meshhed du Commandeur des Croyants, Ali;
la nuit même, une odeur épouvantable sortit de son tom-
beau, à tel point que les gens qui habitaient dans le mo-
nument sortirent tous, hommes et enfants, ouvrirent la
tombe de l'Alide, transportèrent son cercueil à vingt arish
de là et l'inhumèrent à iiouveau. Le lendemain, la puan-
teur avait redoublé ; les gens du meshhed revinrent en
bande, enlevèrent subrepticement le cercueil et allèrent
l'enterrer là où il leur convint pendant la nuit suivante. »
« Les Bathéniens, dit Aboul-Méali Mohammed ibn-
Obeïd-Allah, dans le Kitabi-beyan el-édian (éd. Schéfer,
p. i58), forment la quatrième subdivision des Shîites; le
fondement de leur doctrine repose extérieurement sur le
Shïisme et sur Tadoration du Commandeur des Croyants,
Ali, fils d'Abou-Taleb, mais en réalité, c'est l'infidélité
absolue. Cette secte a pris naissance en Egypte : trois
hommes nommés Bou Meïmoun Kaddah, Isa Tchahar-
Lakhtan et Foulan-Dendani, tous les trois infidèles et héré-
tiques, étaient liés d'une très vive amitié et se réunissaient
pour festiner et pour boire. Un jour, Bou Meïmoun Kaddah
dit : « 11 me vient une haine mortelle contre la religion de
Mohammed, et je n'ai pas une armée avec laquelle je puisse
faire la guerre aux Musulmans; je n'ai pas davantage de
fortune, mais j'ai tellement de ruses et de stratagèmes
que si quelqu'un voulait m'aider, je détruirais complè-
tement la religion musulmane. » Isa Ï«hahar-Lakhtan lui
dit : « Je possède une grande fortune, je veux l'employer
à cette œuvre, et je ne ménagerai rien pour arriver à cette
fin. » Tous les trois s'accordèrent là-dessus.
« Bou Meïmoun Kaddah avait un fils d'une physionomie
très agréable et connu pour sa beauté, tellement que les
— i5o —
gens se livraient avec lui à des turpitades. Boa Meimoun
Kaddah avait des prétentions médicales et il se piquait de
savoir guérir les maladies ; il coilTa son ûls à la mode des
Alides (i).
« Isa Tchahar-Lakhtan donna de largent pour que Ton
menât grand train autour de cet enfant et ces trois person-
nages répandirent partout le bruit qu'il descendait d'Ali ;
ils se conduisaient à son égard comme s'ils eussent été ses
serviteurs et ils le menèrent en grande pompe au Kaire. Ils
ne s'asseyaient point devant lui, lui parlaient avec le plus
grand respect et avec la déférence la plus complète et ne
laissaient pas pénétrer auprès de lui qui voulait. De telles
menées firent qu'une légende se forma autour de cet enfant
et qu'il arriva à une situation considérable ; c'est alors
qu'ils créèrent leur secte en disant que la loi religieuse a
un aspect exotérique (zâher) et un aspect ésotérique (bâtin).
L'aspec); exotérique est celui que connaissent tous les Mu-
sulmans et dont ils mettent les commandements en pra-
tique ; chacun des points de la loi religieuse a également
une valeur ésotérique que le Prophète connaissait et
qu'il n'a révélée uniquement qu'à Ali ; à son tour, Ali l'a
révélée à ses enfants, à ses partisans et à ses familiers.
L'homme qui connaît ce sens ésotérique de la loi est dis-
pensé par cela même des pratiques fastidieuses de l'obé-
dience et du culte. Ces sectaires donnent à Mohammed le
nom de Prophète Exposeur (nâtik) et à Ali celui de
« Base» (asâs) ; ils emploient un grand nombre d'expres-
sions détournées de leur sens propre et des mots d'une
terminologie spéciale ; c'est ainsi qu'ils donnent à l'in-
tellect (akl) le nom de Préexistant (sabik) et de Primordial
(appaZ) ; ils disent que c'est le premier élément qui a été
créé ; ils donnent à l'âme (nefs), le nom de suivant (tâli)
et de secondaire (tâni) et ils disent que l'âme a été créée
de l'intellect et qu'elle est la cause eiïiciente de toutes les
choses qui existent dans le monde.
Ils expliquent comme il suit le verset du Koran : « Et
(i) Cette phrase est douteuse et je ne suis point du tout sfKt
d'en avoir saisi le sens*
— i5i —
la figue, et Tolive et le mont Sinaî {Tour Stn) )» : La figue
(ftn) est rintellect (akt) qui est tout entier impondérable
et essentiel ; l'âme est Tolive qui est composée d'impondé-
rabilité (leihâfet) mêlée à de la pondérabilité (kethâfet),
tout comme Tolive se compose d'une pulpe avec son noyau.
Quant au mont Sina! {Tour Sîn), c'est le Prophète Expo-
seur (nâtik), autrement dit le Prophète Mohammed. En
effet, au point de vue exotérique, il est comme une monta-
gne colossale et il parlait aux gens à coups de sabre (i), mais
au point de vue exotérique, il recèle des attributs spéciaux
qui sont cachés en lui comme les pierres précieuses dans
les flancs d'une montagne. La ville de sûreté {balad-al-
amîn) est la « Base » (usas), autrement dit Ali, qui est
Torig^ne de l'interprétation (mystique) de la loi reli-
gieuse Ces sectaires donnent une interprétation ana-
logue des quatre fleuves du Paradis, et en tout cela leur
intention n'est que de démolir complètement la religion ;
que la malédiction de Dieu soit sur euxl
« Ils disent que le Prophète est le père des fidèles et
qu'Ali est leur mère ; que Mohammed projeta dans Ali
de sa science et de sa connaissance (comme du sperme) et
que de leur union naquit la science ésotérique. Ils
disent également que la première entité qui fut créée
fut le monde de l'intellect (alam-i akl) ; que le monde
de l'âme (alam-i nefs) ne fut créé qu'après lui et qu'en-
suite toutes les autres créatures furent produites à l'exi-
stence. L'homme vit par l'effet d'une âme partielle (éma-
née de l'âme universelle) ; quand il vient à mourir, cette
âme partielle retourne s'unir à l'âme universelle. Si quel-
qu'un leur demande de quoi a été créé le monde de
rintellect, ils disent qu'il a été produit du « fait « (amr);
si on leur demande encore d'où provient le « fait » (amr),
ils répondent : « Nous n'en savons rien et c'est là une
chose transcendantale, car nous ne pouvons comprendre
par notre raison ce qu'est l'Etre Unique (hakk), ni ce qu'est
le Démiurge (sani). Nous n'affirmons pas quïl existe et
(I) Oa peut-être ce qui n'a guère plus de sens « et il parla aux
gens avec le sabre et la parole ».
— i5a —
noas ne prétendons pas davantage qu'il n'çxiste pas ; mais
les docteurs de la théorie de FUnité (mohakkcJzand-tau-
hid, les Esotéristes) sont de cette dernière opinion. C'est
de cette façon qu'ils ont égaré les Musulmans en exposant
toutes leurs interprétations des versets du Koran et de
l'histoire de Mahomet. Si Ton prête attention à leurs
paroles, ils vont plus loin et ils nient le miracle de la
lune, ils disent que tout ce qui arriva au Prophète pro-
vient de trois choses : la lutte (djedd), la révélation (feth)
et l'imagination (kheiâl) qui, pour eux, sont Djibraîl,
Mikhaïl et Asrafil.
ce Ces sectaires sont d'avis que Mahomet a promulgué
sa loi religieuse pour les faibles d'esprit et pour les igno-
rants, de façon à les occuper constamment et à les domi-
ner, mais qu'elle ne répond à aucune réalité qui existerait
en dehors d'elle. Ils ont inventé des interprétations mys-
tiques pour chacun des commandements de cette loi, et
quand on y regarde de près,!on s'aperçoit que cela aboutit
à la démolition de l'Islamisme.
<c C'est ainsi qu'ils interprètent, de la façon suivante la
parole du Prophète : « Le tombeau est l'un des parterres
du paradis ou l'un des abîmes de l'enfer » : ils disent que
par tombeau, le Prophète a voulu parler du corps de
l'homme, autrement dit que ce tombeau est sa personne
matérielle, dans l'intérieur de laquelle se trouve renfermée
l'âme; si cette personne connaît la doctrine ésotérique
{bathini) et qu'elle sorte de la matérialité, elle ne souffre
pas des prescriptions de la loi religieuse, de telle sorte
que sa vie corporelle (ten) est un parterre du paradis. Au
contraire, si elle ne connaltpas l'interprétation ésotérique
delà loi, elle s'efforcera, au milieu de souffrances sans
nombre, de leur obéir et de pratiquer le culte d'Allah
(ibadei), de telle sorte que sa vie sera un des puits de
Tenfer. Ils interprètent de la même façon ce que l'on dit
de l'arbre toubi, dont on raconte qu'il est dans le Paradis
et qu'il n'y a pas un seul endroit dans lequel il n'étende
ses branches ; ils disent que cet arbre est le soleil qui,
tous les jours, embrasse tout l'univers et dont la lumière
- i53 —
pénètre dans toutes les localités du monde. Ils ont une
série d'interprétations analogues pour tout ce qui se
trouve dans le Koran et dans la Loi religieuse, pour la
prière, le jeûne, le pèlerinage et la foi (iman), de sorte
que si nous les voulions toutes rapporter, ce livre n'au-
rait pas de fin ; on pourra juger de ces interprétations
par celle» que nous venons de mentionner. »
« Leur doctrine religieuse est basée sur le nombre sept;
ils font mine de croire à l'existence de sept prophètes,
mais en réalité, dans leur for intérieur, ils les renient
tous. Ils disent qu'il y a sept imams, dont l'un n'est pas
encore paru dans le monde et dont on attend la \enue
(montéser) ; ils l'appellent le Maître du Temps (oéli ez-
zéman). Le jour de la fête du mois de Ramazan, ils prélè-
vent s»r chaque personne un dirhem et un dank, ce qui
fait se^i dank. Dans chaque pays, ils ont un individu qui
cherche à faire des prosélytes parmi les habitants, ils le
nomment Grand Maître (sâkib-i djérîdèh) ; dans chaque
ville, ce personnage est représenté par des missionnaires
{dâyân) ; ils donnent à toute personne à laquelle ils ex*
posent la doctrine (et qui manifeste l'intention d'entrer
dans la secte) le nom d'aspirant {moustedjib), A notre
époque, il y a eu deux personnages qui se sont rendus
célèbres dans leurs fonctions de Grands Maîtres (sâhib-i
djérîdèh) : l'un d'eux fut Nâsir-i Khosrau qui habita à
Yemgân ; il entraîna la population de cette ville hors des
voies de l'orthodoxie et sa doctrine s'implanta dans ce
pays ; l'autre fut Hasan-i Sabbah qui se fixa à Ispahan, puis
qui se rendit à Réi, et qui finit par disparaître. Il détourna
de l'orthodoxie un nombre incalculable de gens dans le
Khorasan et dans l'Irak et il les convertit aux doctrines
de cette secte. Il y en eut également un à Ghaznin qui se
nommait Mahmoud Ëdib ; il alla ensuite se livrer à la pré-
dication en Egypte, et il débaucha une quantité infinie de
gens de cette contrée. Ces sectaires se répartissent en deux
groupes : les Nâsiris qui sont les adhérents de Nâsir-i
Khosrau; cet individu, qui fut un grand misérable, a com-
posé plusieurs ouvrages parmi lesquels le Kitâb vedjh ed-
— i54 —
din et le Kitab el-moutéhaurin ; la doctrine qui y est
enseignée est hétérodoxe et ne peut qu'égarer ceux qui les
liraient ; beaucoup de gens du Tabaristan se sont laissés
séduire par lui et ont adopté ces croyances. L'autre groupe
est formé des Sabbahis ou partisans de Hasan-i Sabbâh,
qui était un homme de langue arabe et d'origine égyp-
tienne, ce fut un des grands missionnaires de la secte. »
« La cinquième division du Shiisme est celle des Imamis
aux douze imams (page i6i) ; ils ne forment qu'une seule
secte et elle est de beaucoup la plus importante du Shi-
isme ; ils sont très nombreux dans l'Irak, dans le Mazen-
déran et il y en également beaucoup dans le Khorasan...
«... Ils disent qu'après Mohammed, le Commandeur des
Croyants fut Ali, et ils sont d'avis qu'il eut plus de qua-
lités que tous les prophètes qui l'ont précédé ; après Ali,
ils reconnaissent ses fils comme imams, jusqu'au douzième
qui disparut, et ils donnent leur nom ainsi que le récit de
leur vie. Ils ne donnent le titre de Commandeur des
Croyants qu'à Ali seul, et appellent tous les autres Imams ;
ils traitent Abou Bekr, Omar et Osman, de brigands, de
rebelles et d'usurpateurs, disant que tout ce qu'ils ont
fait est nul et non avenu. Ils considèrent que le village
de Fadak était l'héritage légitime de Fatima et à ce point
de vue, ils s'appuient sur le verset du Koran dans lequel
il est dit : « Soleïman hérita de David. » Ils regardent la
double résurrection comme un fait certain (i) et ils disent
qu'il n'y a pas eu un seul peuple qui n'ait eu de résur-
rection, comme Ouzeïr, les sept Dormants et d'autres
encore ; ils se fondent pour cela sur le verset du Koran
qui dit : « Est-ce que tu n'as point vu ces gens qui sont
sortis de leur pays et qui étaient des milliers : la mort
les a avertis en leur disant : Allah vous fera mourir,
puis il vous ressuscitera. » Us estiment d'observance
stricte de prier pour ses amis et de demander au ciel quïl
arrive du mal à ses ennemis ; ils nomment croyants (mou-
(i) Doà radjaat hakk binend.
— i55 —
min) les personnes qai appartiennent à leur secte, parce
qae le croyant est celui qui a la foi (iman) aussi bien au
point de vue ésotérique qu'au point de vue exotérique;
quant aux personnes qui possèdent la foi au point de vue
exotérique, mais non au point de vue ésotérique, ils les
nomment Musulmans (mouêlim)^ parce qu'elles se sont
sauvées (selâmetjyaftè end) du sabre, ce qui ne suffit pas
pour qu*on leur donne le nom de croyants (moumin); et
en cela; ils se fondent sur ce verset : « Les Arabes ont dit :
« Nous sommes devenus de vrais croyants ! Dis-leur :
Non! vous n'avez point la vraie foi! Us disent: «Nous
sommes parvenus au salut, parce que la foi est entrée
dans nos cœurs. »
- « Ils admettent que le mal provient de Dieu et que le
douzième imam est resté dans le monde, caché aux yeux
des hommes durant une longue période, par suite d*une
désignation qui a été faite en sa faveur par llmam qui Ta
précédé.
« J'ai vu sur ce sujet un livre composé par le Seyyid
Mortéza intitulé el-mokanna fiUghéïbet, dans lequel cette
doctrine se trouvait exposée tout au long...
« Dans leur théorie, les douze imams sont infaillibles
(maasoum) et chacun d'eux a accompli des miracles et
des prodiges (kérâmet), ils se sont tous manifestés durant
leur vie à leurs fidèles et l'on possède des décisions juridi-
ques (fetça) et des réponses à des questions de contro-
verse (djeçab) qu'ils ont données; au moment de sa mort,
chacun d'eux en a désigné un autre pour lui succéder, et
cette personne ainsi désignée a reçu le nom d'imam après
son prédécesseur ; les choses se sont passées ainsi jusqu'à
Hasan-i Askéri, qui a transféré ses droits à l'Imamat à
son fils en disant : « Celui-là est le Mahdi et l'Eternel du
temps (kaîm ez-zéman) ». Il naquit à Samarra en l'année
a55 ; il y a dans cette localité un souterrain dans lequel
les Imamis disent qu'il se réfugia dans son enfance, et
depuis on ne l'a plus revu ; les gens vont en pèlerinage à
ce souterrain. Depuis l'époque de la naissance du Mahdi
jusqu'à ces derniers jours, pendant lesquels le présent
— i56 —
ouvrage a été composé, il s'est écoulé deux cent trente
années lunaires. Allah seul connaît la vérité et le droit
chemin ! »
« Voici quel est le fondement de la doctrine des Motazal-
lites(page i55): ils disent qu'Allah est Primordial (/ca^im)
par son essence, mais non par ses attributs ; ils distin-
guent formellement les attributs essentiels (ou potentiels)
de la Divinité, de ses attributs actuels (d'action). Ses attri-
buts potentiels sont la science, la toute-puissance (/foa-
dret), car on ne peut dire qu'il y a eu un instant où l'Etre
Unique fut savant, tout-puissant, et qu'à un autre moment,
il n'a été ni l'un ni l'autre. La science, la toute-puis-
sance et leurs analogues, qui forment ses attributs poten-
tiels, sont primordiaux (kadim). Les attributs actuels
d'Allah sont la création, la parole et les actes analogues,
et les Motazallites disent qu'ils ne sont pas primordiaux
(kadim), mais bien accidentels (mouhaddès) ; on est en effet
obligé de convenir que l'Etre Unique a parlé à Moïse, tan-
dis quïln'a pas parlé à Pharaon, et par conséquent, qu'il y
a eu un temps où il a parlé et un autre où il n'a pas parlé.
C'est pour cette raison qu'ils disent que le Koran est un
Etre créé (makhloûk) ; ils nient que l'Etre Unique ait un
aspect tangible, et ils disent qu'il n'a pas d'attribut tel
qu'on puisse le percevoir par les sens, et qu'on le puisse
voir avec la vue matérielle, suivant ce qu'il est dit :
« Les regards ne Le perçoivent point, mais Lui perçoit
les regards (des hommes) ». Ils disent qu'il n'y a pas de
châtiments par delà la tombe et ils traitent de fables ce
que l'on raconte des questions posées par Mounkir et
par Nékir; car une question se comprendrait de la part
de quelqu'un qui aurait besoin de savoir quelle était la
croyance du mort, mais comme ces deux esprits connais-
sent les secrets du. monde invisible et les choses cachées,
ils n'ont pas à les lui faire. Ils disent que le paradis et l'enfer
n^ont pas encore été créés et qu'ils le seront au jour dont il
est dit : « Un jour, la terre sera changée en une chose qui
ne sera point la terre... » Ils croient que Dieu ne punit pas
— i57 —
le péché et qu'il n'a créé ni l'adultère, ni l'impiété, ni la
calomnie, mais que ce sont-là simplement des actes des
hommes, de telle sorte que le châtiment se trouve com-
pris dans l'acte ; ils estiment que l'homme a le libre choix
de ses actes et ils disent qu'en commettant un péché il
sort de la foi (iman), sans pour cela être un infidèle (kâjîr),
il n'est encore qu'un pécheur (fâsik) ; ils donnent à cet état
le nom de « degré intermédiaire entre les deux stades »
(dérédjet beïn el menzéleïn); s'il vient à résipiscence, il
redevient fidèle (moumen), sinon il demeure dans l'enfer
jusqu'à la consommation des siècles. Tout être qui vit
dans le paradis n'a pas connaissance de l'enfer et les
damnés qui sont plongés dans l'enfer n'en sortiront jamais,
mais au contraire y resteront durant toute l'éternité. Toute-
fois ils ne sont pas d'avis que la félicité et la damnation
ont existé de toute éternité sans jamais avoir de fin, car
ils disent que le sort de l'homme (dans l'autre vie) dépend
complètement de ses actes. Les Motazallites ne font aucun
cas des amis du Prophète ; toutefois quelques-uns d'entre
eux donnent à Ali la préférence sur tous les autres ; ils
se divisent en sept sectes : les Hasanis, disciples d'Ha-
san-i Basri ; les Hodheïlis, les partisans d'Aboul Hodeïl
Allaf; les Nizamis, partisans d'el-Nizam; les Moam-
méris, disciples de Moammer ibn Affân el-Selmi; les Na-
siris, sectateurs de Nasr ibn Moammer; les Djahizis, dis-
ciples de Omar ibn Bahr el-Djahiz: les Akabis, disciples
d'Akabi el-Balkhi ».
APPENDICE II
Extraits de Fariki sur les Nizariens.
An mois de Juillet 1901, M. Amedroz, de Londres, a eu
Tamabilité de me communiquer la copie de quelques
extraits d*un historien musulman nommé Ahmed ibn
Yousouf ibn-Ali-ibn-el-Azrak-el-Fariki, auteur d*une chro-
nique de la ville de Méyyafarkin écrite en 672 de l'hég.,
dont un exemplaire est entré tout récemment dans les
collections du British Muséum. J'en donne la traduction
ici, car bien que Fariki n*ait jamais regardé les Ismaïliens
d'Alamout que comme des princes à peu près étrangers
à l'histoire de la ville dont il écrivit Thistoire, on y
trouve quelques détails qu'il est intéressant de rapprocher
de ce que racontent Rashid-ed-Din et Mirkhond.
1. — « On dit que ce fut en l'année 4B9 que mourut au
Kaire Fimam Abou Témim Maadd el-Mostanser-billah,
khalife (fatimite) du Kaire ; c'est à partir de là que les
Ismaïliens ont des avis différents (sur la succession à
l'Imamat). Un certain nombre d'entre eux pensent que
Mostanser désigna (nassa) pour lui succéder son fils
Abou-Mansour Nizar et qu'il le nomma son héritier pré-
somptif. El-Mostanser avait épousé la fille du générsdis-
sime (émir el-djqxoush), l'émir Bedr ; il en eut un fils
nommé Ahmed, à qui il donna le nom d'Aboul-Kasem. Le
généralissime Bedr mourut en l'année 4^; son fils el-
Afdal fut nommé à sa charge et il exerça la réalité du pou-
voir. Quand el-Mostanser mourut^ le généralissime se
déclara contre Nizar et mit sur le trône son neveu, Aboul-
1
— i6o —
Kasem Ahmed, auquel il donna le surnom d'el-Mostéali ;
les Egyptiens se divisèrent alors en deux factions : l'une
qui tint pour Mostéali et l'autre pour Nizar; ce dernier
resta caché au Kaire; Hasan-ibn-el-Sabbahvintd'Alamout
auprès de Nizar et il resta avec lui ; Nizar épousa la fille
d'Hasan-ibn-el-Sabbah et il en eut un fils qu'il nomma
Mohammed, et auquel il donna le surnom d'el-Moustafa ou
suivant d'autres, d'Aboul-Kasem (i). Mostéali resta sur le
trône du Khalifat sous la tutelle de l'émir el-Afdal, le
généralissime »
IL — « El-Mostéali resta sur. le trône du Khalifat du
Kaire depuis le moment où il fut proclamé (par el-Afdal);
quelques personnes disent qu'il n'avait point d'acte offi-
ciel (khatt) lui conférant la souveraineté, et cela parce
qu'el-Mostanser ne l'avait nullement désigné pour lui
succéder. Cette désignation avait eu lieu en faveur de
Nizar qui sortit d'Egypte (à l'avènement de son frère) et qui
se rendit à Alamout où il resta avec Hasan-ibn-el-Sabbah,
suivant ce que j'ai raconté d'eux plus haut. Il eut un fils
qu'il nomma Mohammed et auquel il donna les surnoms
d'Aboul-Kasem et de Moustafa. Ce dernier fut le Khalife
des Ismaïliens à notre époque ; une partie des Ismaïliens
disent qu'il réside dans le Khorasan, d'autres dans le
Maghreb, d'autre en Egypte dont il ne serait jamais sorti
Ils affirment également que Nizar, fils de Mostanser,
n'a jamais quitté l'Egypte et qu'il eut son fils Mohammed
dans ce pays, qu'il lui conféra l'héritage de l'Imamat et
qu'il mourut caché ; ce Nizar, fils de Mohammed, fils de
Nizar résiderait actuellement en Egypte. Le dogme fonda-
mental de la doctrine de ces sectaires est que l'Imam ne
peut mourir avant d'avoir eu un enfant mâle qui est
désigné pour hériter du Khalifat.
« On dit que Mostéali occupa le trône du Khalifat
jusqu'en l'année 5o3, et qu'il mourut alors au Kaire, après
(i) L'historien Dhéhébi raconte dans sa chronique que Nizar
fut assassiné à Alexandrie ; ce récit qui est sans doute le senl
véritable est également celui que fait Aboul-Mahasen dans la
el'noudjoum eZ'zahirèh.
— i6i —
avoir désigné pour lui succéder, son fils Abou-Mansour
auquel il donna le titre d'el-Amir (bi-ahkani- Allah); ce
dernier régna au Kaire et atteignit à une grande puissance.
Il lui arriva qu'un certain nombre de personnes voulurent
le faire passer pour une émanation de la Divinité (i) et
qu'elles racontèrent aux gens qu'il connaissait ce qui est
caché aux hommes et qu'il prédisait l'avenir.
III. — « La succession régulière à l'Imamat (nass) fut
interrompue avant Mostéali (a) ; c'est là ce que disent les
Ismaïliens qui prétendent que l'Imamat s'est transmis de
Mostanser à Nizar, jusqu'à maintenant; telle est leur doc-
trine, mais il n'y a pas un seul individu d'entre eux qui soit
dans la vérité, car il n'y a pas de Khalifat autre part que
dans la famille d'Abbas, suivant ce que le Prophète a dit
en parlant des droits d'Abbas au pouvoir souverain : « Tu
es le père des dignités royales dans ma famille jusqu'au
jour de la Résurrection, » Les Egyptiens et les Ismaïliens
sont donc dans l'erreur et dans l'égarement quand ils
exposent leur doctrine, car il n'y a pas d'autre khalife
que le khalife de Bagdad, qui est de la race d'Abbas ».
On voit par le récit d'Ibn-el-Azrak-el-Fariki, combiné
avec ce que racontent les autres historiens musulmans
qu'à la mort du khalife fatimite el-Mostanser-billah, il se
produisit dans l'Ismaïlisme une rupture identique à celle
qui avait brisé le Shïisme en deux camps ennemis à la
mort de l'imam Djaafer el-Sadik; elle eut moins d'im-
portance, parce que la dynastie des Fatimites du Kaire et
celle des Ismaïliens d'Alamout ne tardèrent pas à dispa-
raître toutes les deux, la première devant Salah ed-Din, la
seconde devant les Mongols d'Houlagou, mais le procédé
était le même, et ce sont évidemment des causes identi-
ques qui ont provoqué ces deux ruptures dans l'hétérodo-
xie musulmane.
(i) Litt. : firent la da^at en sa favear et en son nom.
(3) Cela veut simplement dire que Mostéali n^était point Tlmam
ou le Khalife lég^itime.
APPENDICE m
Sur les préludes de ravènement des Séfévis.
Il ne faudrait pas croire que la révolution religieuse
plus encore que politique qui porta les Séfévis au trône
de Perse fut un événement subit provoqué par Firré-
médiable décadence de l'empire timouride. En réalité,
cette agitation demeura à l'état latent durant tout le règne
des princes du second empire Mongol, et il est certain
qu'elle remonte à une époque très antérieure.
On s'étonne à juste titre en lisant les histoires des
Sultans timourides de l'Iran, telles que le Zâfer-Namèh
de Shéref-ed-Din-Ali-Yezdi. le Matla es-saadeïn wé
Méét/ma el-bahrein de Kemal-ed-Din-Abd-er-Rezzak-ibn
Ishak el-Samarkandi, le Rauzet es-séfa de Mirkhond, le
Habib'es-siyyer de Khondémir, du respect exagéré que
Timour-Kourkan et ses successeurs, qui étaient tous, au
moins en apparence des Sunnites parfaitement orthodoxes,
témoignaient aux Alides et aux Soufis, c'est-à-dire aux
hétérodoxes. On sait que Tamerlan passant par Ardébil, se
crut obligé d'aller rendre une visite à un pauvre derviche,
descendant authentique d'Ali par Fimam Mousa-el-Kazem
et qui jouissait dans toute la Perse d'une réputation de
sainteté parfaite ; ce derviche n'était autre que Sheikh
Séfi, l'ancêtre des princes Séfévis qui devaient plus tard
remplacer les fils de Timour dans la souveraineté de la
terre d'Iran ; c'est pour obéir à un vœu formé par le der-
viche que l'empereur mongol accorda la vie à tous les pri-
sonniers qu'il avait faits en Asie-Mineure pendant la cam-
— i64 —
pagne contre le sultan des Osmanlis, Bajazet rEclair. Cette
clémence, qui n'était guère dans les habitudes du conqué-
rant de rinde, montre assez en quelle estime il tenait le
descendant du septième imam des Shiites. Il suffît de
feuilleter la traduction du commencement du Matla es-
saadéin qu'E. Quatremère a fait paraître dans le
tome XIV® des Extraits des manuscrits de la Bibliothèque
du Roi, pour se rendre compte que 1' « Empereur For-
tuné » Shah-Rokh-Mirza se conforma à la même tradi-
tion, et qu'il ne manqua jamais Toccasion d'aller visiter les
tombeaux des Saints du Soufisme. En toutes les occasions,
on voit, toujours par le récit d'Abd-er-Rezzak el-Samar-
kandi, les Alides et les Soufis jouer un rôle des plus
importants à la cour des sultans descendants de l'émir
Timour ; il serait facile d'en citer un nombre considéra-
ble d'exemples, mais je me bornerai à en mettre quelques-
uns sous les yeux du lecteur, pour lui montrer que la poli-
tique religieuse des derniers Timourides fut la môme que
celle de leur ancêtre.
Abd-er-Rezzak raconte^ dans le Matla es-saadeïn (ms.
Supp. Pers. 221, fol. 255 recto), qu'en Tannée 858 de
l'hég. ( — 1454 de J.-G), le sultan Mirza Aboul-Kasem
Baber, étant à Asterabad, y reçut des envoyés de toutes
les contrées du nord de la Perse qui venaient l'assurer de
leur respect et de leur soumission. Le plus important
de ces personnages fut un certain Nizam-ed-Din-Seyyid
Abd-el-Kérim, chef des Alides et prince des deux villes
d'AmoI et de Sari. Mirza Aboul-Kasem Baber le reçut
avec les plus grandes marques d'honneur, et lui témoigna
la plus vive amitié. En même temps, il combla de bien-
faits les Alides du Mazendéran qui étaient venus lui faire
leur cour et quand ils prirent congé de lui, il leur fit
cadeau de splendides robes d'honneur brochées d'or et de
chevaux de race du plus grand prix.
Un peu plus loin (fol. 269 verso), Abd-er-Rezzak Samar-
kandi nous apprend qu'un célèbre derviche, nommé Baba
Ali Khosh-Merdan, étant arrivé à Meshhed, le même
Aboul-Kasem Baber, non seulement lui accorda une
— i65 —
audience, ce qui est déjà assez surprenant, mais encore
qu'il le traita d'une façon magnifique et qu'il lui accorda
incontinent plusieurs grâces qu'il lui demanda, tout comme
l'émir Timour avait accordé à Slieîkh Séfi d'Ardébil la
vie des sujets d'Ildérim Bayézid. Plusieurs des Alides
qui demeuraient dans les environs de Meshhed furent
accueillis par Aboul-Kasem-Baber avec la môme bonté, en
particulier, un Soufi nommé Sheîkh Sadr ed-Din Moham*
med, avec lequel il eut des entretiens particuliers. Il en
usa de même avec un autre dei*viche qui jouissait d'une
grande réputation, Ouzoun Soufi, originaire de Khva-
rezm ; le sultan lui témoigna même plus de confiance qu'à
aucun autre derviche après un long entretien qu'il eut
avec lui et qui dura toute une nuit.
Abd-er-Rezzak ne laisse pas de s'étonner de cet engoue-
ment des princes timourides pour les Alides, les Soufis et
les derviches. Il semble, dit-il, que tous les derviches
extatiques s'étaient entendus pour venir de tous les
coins du monde à la cour du sultan Mirza Aboul-
ICasem Baber. Sheîkh Zadèh Pir Kavvam^ qui était très
estimé du sultan timouride, fut chargé de leur donner
quelques notions de civilité de façon que l'on pût les
produire à la cour, mais ce fut peine perdue, car, comme
le dit fort justement Abd-er-Rezzak, « ces derviches font
état de ne pas avoir plus d'égards pour un roi, les princes
et les riches que pour les derniers des hommes ».
Il serait facile de multiplier les exemples de cette poli-
tique favorable à l'hétérodoxie musulmane, car ils se
trouvent à presque toutes les pages du Matla^es-saadeïn:
il fallait que l'importance du Shïisme fût bien grande en
Perse au xv« siècle pour que Timour et ses successeurs aient
pris un tel soin de rechercher l'amitié de gens perdus pour
la plupart dans des rêveries philosophiques et dans des
spéculations métaphysiques qui tendaient simplement
à détruire l'Islamisme, et dont beaucoup se condui-
saient à leur égard comme des malappris. C'était beau-
coup plus pour se concilier leurs sujets qui ne cherchaient
pas à cacher leurs tendances alides et shïites que par
— i66 —
goût que les Timourides avaient adopté cette politiqae. Il
ne fant pas oublier que lorsque le sultan mongol Euld-
jaîtou Ghyas ed-Din Mohammed Eharbendèh, frère de
Mahmoud Ghazan se convertit à Tlslamisme, ce fut Tlsla-
misme sous sa forme shîite qu'il choisit. Rashid ed-Din
nous apprend en effet dans la Djami et-tewârikh que ce
prince avait le plus grand attachement pour la secte des
« Duodécimains » ou partisans des douze imams et qu'il ne
manquait jamais l'occasion de le témoigner aux chefs reli-
gieux de cette secte, ainsi qu'aux descendants d'Ali. Cefut
le premier sultan qui agit ainsi en Perse, et l'on sait qu'il
fit graver le nom des douze imams shiites sur les mon-
naies qui furent émises ^ous son règne.
Il n'est pas niable que le mouvement politique et reli-
gieux qui porta les Séfévis au trône de Perse ne remonte
à une très haute époque ou pour mieux dire, il est certain
qu'il se rattache directement aux tentatives révolution-
naires dont l'Iran fut le théâtre depuis une époque très
voisine de l'hégire, et qui avaient pour but avoué d'anéan-
tir le Khalifat abbasside, représentant et dépositaire de
l'orthodoxie ofôcielle de l'Islam.
Cette politique tolérante des sultans de la dynastie
timouride n'allait pas sans présenter des dangers sérieux,
et il n'était pas très prudent de favoriser aussi ouverte-
ment, quoique d'une façon encore officieuse, les tendances
alides de la population persane ; en tout cas, il fallut aux
Timourides, ou à leurs conseillers si l'on veut, une habi-
leté etun tact remarquablespour garder le Sunnismecomme
leur religion d'état, tout en faisant à leurs sujets shiites des
concessions assez larges pour se les attacher. Malgré tout,
les derniers princes descendants de Timour qui régnèrent
dans l'Iran finirent par s'apercevoir qu'il avait été dan-
gereux de flatter et d'encourager ces tendances anti-ortho-
doxes, car rinsurrection shîite qui était latente depuis le
règne de Timour, faillit éclater dans le Khorasan à l'avè-
nement de Mirza-Aboulghazi Sultan Hoseîn, en l'année
8^3 de l'hégire, soit en 1468 de l'ère chrétienne. Abd-er-
Rezzak Samarkandi rapporte, en effet, dans le Maila es-
— 167 —
S€Uideln (ms. snpp. per. nm, fol. 344 ^)* ^® ^^^ Shîites
de la Tille d'Hérat qui était alors la capitale du Khorasan,
se fip^rèrent qu'en montant sur le trône, Sultan Hosein
allait s'empresser de proclamer le Shîisme religion
d'état (I).
Il semble même que ce fut cet espoir et cette confiance
qui lui permirent de s'emparer de la souveraineté de cette
vaste contrée. Abd-er-Rezzak s'étonne et s'indigne presque
que les gens du Khorasan aient pu se forger de telles chi-
mères, mais cette opinion des Shîites est infiniment moins
déraisonnable qu'on ne serait porté à le croire à première
vue ; les tendances shîites du sultan Kémal ed-Din-Sultan
Hoseîn ibn-Sultan Mansour ibn-Baîkara ne sont pas
niables et, si l'on conservait quelque doute à cet égard,
il sufiirait de parcourir l'ouvrage qu'il a composé sous le
titre de Medjalis-el-oushhak et qui, comme le Tezkérèhi
eçlia de Férid ed-Din Attar, est la glorification des pires
hétérodoxes, au point de vue strictement sunnite, qui aient
vécu dans l'Islamisme, tels que Zoul-Noun Misri, Ibrahim
Edhem, Bayézid el-Bistami et Mansour-i Halladj, qui
poussant à ses extrêmes limites la doctrine ésotérique,
proclama qu'il était unehypostasede la Divinité. Si encore
on ne trouvait dans cet ouvrage que les notices biogra*
(i)~Khondéniir rapporte dans son Héhih-cUSijryer un trait qui
montre combien les Tlmourides encourageaient follement les ten-
dances alides de leurs sujets. Il raconte qu'en Tannée 885 de Thég.
Mirza Baikara gouvernait la ville de Balkh au nom de son frère
Sultan Hoseîn Mirza. Un individu nommé Shems ed-Din Moham-
med qui prétendait appartenir à la famille du célèbre Soufi
Bayézid-i-Bistami, vint de Kaboul apportant une chronique compo-
sée à répoque du sultan Sindjar, dans un passage de laquelle il
était dit que le tombeau d'Ali se trouvait à trois farsakhs de Balkh,
dans un village nommé Khvadjèh-Kheîran. 'Mirza Baîkara s'étant
rendu dans cette localité avec ses officiers, trouva en effet une cou-
pole sous laquelle était une tombe recouverte d'une dalle portant
une inscription arabe ainsi conçue : « Ce tombeau est celui du
lion de Dieu, Ali, le Saint de Dieu, frère du Prophète. » Le prince
timouride manda immédiatement Sultan Hoseîn Mirza, qui fit
élever en cet endroit un monument superbe auquel les Persans
se rendirent en foule en pèlerinage.
— i68 —
phiques des grands docteurs du Soufisme, ou pourrait, à
la grande rigueur, penser que les louanges hyperboliques
qui leur sont adressées ne sont que des exercices de rhé-
torique ; mais le sultan Kémal ed-Din Hoseïn, a pris soin
de faire précéder son MedJalis-el'OUskhak d'une intro-
duction qui dissipe tous les doutes que l'on pourrait con-
server à cet égard, car elle contient un exposé de la doctrine
de ïlshrak et du Nirvana ésotérique que n'eussent point
désavoué Djami, Djélal ed-Din-Roumi ou Mohyi-ed-Din
Mohammed-ibn-Ali Ibn-el-Arabi. En fait, Sultan Hoseïn
n'était qu'un hérétique tout comme Attar et bien d'autres
auteurs, tant persans qu'arabes, que l'on prend pour des
Sunnites, tandis qu'ils étaient, comme toute l'élite intel-
lectuelle du monde musulman, les adeptes les plus fer-
vents du Soufisme. 11 n'y a rien que de très naturel dans
ces conditions, à ce que les habitants du Khorasan aient
fondé sur ce prince, des espérances qui malheureusement
pour eux ne devaient pas se réaliser. L'auteur du M alla
es-saadeïn nous apprend que les Shîites se croyant sur le
point de renverser enfin et définitivement le Sunnisme,
firent proclamer sur les menbers de toutes les mosquées
les noms des douze Imams dans la prière du Vendredi, au
lieu et place de ceux des Khalifes, successeurs de Mahomet,
dont ils voulaient abolir la mémoire. Gomme la plupart
des princes musulmans dont le Sunnisme ne déguisait
qu'à peine les tendances hétérodoxes, Kémal ed-Din Sul-
tan Hoseïn, qui avait tout fait ainsi que ses glorieux
ancêtres pour proToquer cette explosion, fut terrifié de
ce qui se passait et il n'osa point prendre la direction
d'un mouvement que ses tendances avaient encouragées
si elles ne l'avaient pas provoqué.
Le sultan timouride défendit que l'on continuât à agir
de la sorte et il ordonna de remettre les choses dans leur
état antérieur. Malgré cet édit qui fut respecté à Hérat,
le Sejryid Ali \ahid ed-Din, qui était de la ville de Kaîn,
dans le Kohistan, où il exerçait les fonctions de prédica-
teur, ne voulut pas tout d'abord iteaoncer à faire mention
dans la prière des noms des douze Imams, et il fallut
— 109 —
rintervention de la force année pour le faire renoncer à
cette innovation.
Il est fort probable que Kémal ed-Din Sultan Hoseïn
agit d'une façon peu adroite en réprimant le mouvement
shiite qui s'était produit dans le Khorasan au début de
son règne, et qui n'avait pas été sans l'aider à gravir les
degrés du trône. Au lieu de résister à la poussée de tout
un peuple, Sultan Hoseïn eût mieux fait d'y céder et de se
laisser porter tout naturellement au Shïisme ; un homme
qui avait écrit le Medjalis el oushhak ne pouvait raison-
nablement se considérer comme un orthodoxe et ce n'était
point la peine d'avoir donné de tels gages au Shïisme pour
se renfermer dans les formes d'un Sunnisme rigoureux et
officiel, et attirer sur soi la colère de tout un peuple. C'était
faire le jeu des Séfévis d'Ardébil que de provoquer dans
riran de tels mouvements et d'essayer ensuite de les en-
traver brutalement ; il est probable que si Sultan Hoseïn
lavait suivi, au lieu de chercher à l'enrayer, il n'eût pas
été le dernier prince de la famille de l'émir TimourKour-
kan qui régna sur la terre de Perse, et les Séfévis ne fus-
sent jamais sans doute montés sur le trône de l'Iran.
APPENDICE IV
Sur la secte des Nosafris ou Ansaris
Oa a vu plus haut (pages loi et ssq), qu'eu parlant des
Nosaîris, je les ai rattachés à la secte des Keïsanis, qui, au
dire des principaux historiens de Tlslamisme, prit nais-
sance à une époque très rapprochée de l'hégire et dont les
membres étaient partisans de l'imamat de Mohammed,
fils de la Hanéfite. Je n'ai pas insisté davantage sur ce fait
dans ce passage, parce que c'était incidemment que j'avais
à dire quelques mots de ces sectaires et que c'est à peine
si les historiens des sectes musulmanes font mention d'eux
dans leurs chroniques.
Depuis que j'ai terminé la rédaction du présent ouvrage,
plusieurs travaux ont paru, traitant de la religion et des dog-
mes des Nosaîris ; l'un de leurs auteurs, le Père Lemmens
reprenant une théorie qui n'a point le mérite de la nou-
veauté, a soutenu que les Nosaîris sont une secte chré-
tienne qui dut adopter l'Islamisme et chez laquelle per-
cent encore des souvenirs de sa foi primitive. Dans un
livre publié en 1900 (i), M. Dussaud a soutenu la théorie
complètement opposée d'après laquelle les Nosaîris se-
raient bien antérieurs à l'Islam, puisqu'il serait question
d'eux dans Pline : leur religion représenterait le culte de
l'antique Phénicie, et la triade nosaîrie Ali, Mohammed,
Selman représenterait la trinité phénicienne : Ciel, Soleil
et Lune.
(i) I39* fascicule de la Bibliothèqae de TEcole pratique des
Hautes-Etndes.
— l'JI —
Il est certain que dans toutes les religions, on trouve
des réminiscences de celles qui les ont précédées sur le
même terroir ; c'est un fait établi depuis longtemps que
l'Islam syrien, sur beaucoup de points secondaires, est la
continuation historique des cultes de la Phénicie et de
Judée de même que l'arabe parlé en Syrie est plein d'hé-
braîsmes, et celui d'Egypte de mots coptes.
Tous les makâm de Syrie existent aux mêmes places et
souvent avec les mêmes noms que les makôm du Deaté-
ronôme ; mais il est bon d'insister sur ce point, que ces
réminiscences qui sont évidentes portent beaucoup plus
sur des faits de second ordre que sur les dogmes essentiels
et sur les légendes primordiales ; le souvenir de la civi-
lisation syrienne et de ses cultes a été infiniment moins
puissant que celui du Mazdéisme en Perse et sauf pour
quelques points très secondaires, l'influence étrangère
que l'on remarque dans les sectes hétérodoxes de l'Isla-
misme provient uniquement de l'Iran.
Dans cette identification, dans ce syncrétisme des en-
tités des cultes de la Syrie antique avec celles de l'Islam,
la mythologie optique et acoustique a évidemment joué
un rôle des plus importants ; il y a longtemps que M.
Clermont-Ganneau l'a signalé, et en particulier dans son
remarquable mémoire sur Horus et Saint-Georges dans
lequel il a montré que dans le Ali syrien se retrouvent
quelques attributs du dieu sémitique El Elioun, le Zàuç
{|<j;içjTo;; mais il faut également remarquer que l'influence
de la mythologie optique et acoustique ne s'est exercée
que sur les personnages secondaires, et sur les points
secondaires de la légende des personnages primordiaux
de l'Islamisme, comme Ali, et encore Ali, pour l'Islam
syrien, n est-il qu'une personnalité très secondaire.
Cette théorie, suivant laquelle le Nosaïrisme représen-
terait la presque intégralité des cultes syriens d'avant
l'ère chrétienne, recouverts en partie par une onomastique
et une terminologie musulmanes, est née de la généralisa-
tion d'un fait qui évidemment, a son importance, mais
qu'il n'est pas besoin, je crois, d'invoquer pour essayer
- 173 -
d'expliquer les dogmes des Nosairis. D'ailleurs, si jamais
la théorie des mythes solaires a été mal venue à s'appli-
quer, c'est bien à des personnages aussi matériellement
réels que Mahomet, Ali et Selman-i Farisi dont aucune
école n'a jusqu'à ce jour osé nier l'existence et qui, bien
loin de représenter des divinités solaires d'une théogonie
lointaine et mal connue, représentent des hommes qui ont
agi et pensé de la façon la plus matérielle.
Ces quelques considérations m'ont amené à relire une
partie des textes nosaïris qui sont conservés à la Biblio-
thèque Nationale et à chercher dans les historiens des
sectes musulmanes quelques renseignements sur les gens
qui les ont écrits; c'est le résultat de ces recherches
étendues à la secte des Yézidis, qu'il est difficile de
séparer de celle des Nosaïris, que je vais exposer briè-
vement ici.
La lecture des livres des Nosaïris, comme d'ailleurs
plus d'un épisode de leur histoire, montrs d'une façon pé-
remptoire qu'ils ne sont autre chose qu'une secte de
l'Ësotérisme musulman et que leur doctrine n'est pas au
fond différente de celle du Soufisme et des théories mah-
distes. Ce point, qui est établi d'une façon indiscutable, a
une très grande importance et il aurait dû mettre en
garde contre les théories qui veulent faire de la religion
nosaïrie une déformation, soit du christianisme, soit des
cultes syro-phéniciens de l'antiquité. Une forme religieuse
dans laquelle on trouve la théorie des imams et du mahdi
fatimite que les Nosaïris nomment el-Kaïm, la Preuve de
tous les Ages, celui qui anéantit les Géants (i) ne peut
être que post-islamique.
Si la théorie imamiste a été empruntée à l'Iran, il ne i
peut être question d'un contact direct entre Iran et Nosaï- I
ris. Les Nosaïris ne sont donc qu'une secte du Shïisme,
au même titre que les Ismaïliens ou les Karmathes.
Dans son traité sur les sectes issues de l'Islamisme que
je n'avais pas suffisamment consulté à l'époque déjà loin-
Ci) Ms. arabe 1449» f'o^* 82 verso.
I
- 174 -
taine à laquelle Je rédigeai ce livre, Shehristani dit for-
mellement qae les Nosaîris (i) sont une subdivision de la
secte shïite à laquelle il donne le nom de Ghula ou Ghalis :
les dogmes fondamentaux de leur doctrine sont en effet
Fadocskloa d'Ali et la croyance au houloul ou hypostase
des esprits eélestes ou démoniaques dans le corps de
rhomme et Thypostase d'Allah dans le corps de certains
êtres humains, ce qui esfc» comme Ton sait, le fond de la
doctrine Ismaïlienne et Soufie»
C'est ainsi que les Nosaîris admettent que Ton voit quel-
quefois Fange Gabriel sous la forme d'un arabe et qu'Allah
se manifeste sous les traits d'un homme; le khalife
ismailien el-Hakem bi-amr-AUah disait dans le mftme
sens, ou plutôt faisait dire, qu'il était une incarnation â»
la Divinité et le sheïkh Soufî Mansour ibn el-Halladj fut
mis à mort à Bagdad pour avoir crié dans les rues du
Karkh : « Je suis l'Etre Unique ! » L'opinion des Nosaî-
ris, toujours d'après Shehristani était qu'après le Pro-
phète, il ne s'était point trouvé d'êtres meilleurs qu'Ali et
ses enfants et que c'est pour cette raison que l'hypostase
de la Divinité s'est produite en eux et qu elle a parlé aux
hommes par leur bouche ; aussi les Nosaîris donnent-ils à
tous les Alides le nom de Divinité.
C'est également cette doctrine du houloul et de la divi-
nité des imams qui était, toujours d'après Shehristani,
l'essence de la doctrine des Ghalis. « Les Ghalis, dit-il, se
font une telle idée de leurs imams qu'ils les font sortir de
la nature humaine et qu'ils affirment que les décrets di-
vins leur appartiennent. Tantôt ils assimilent un de leurs
imams à la Divinité, tantôt au contraire, ils assimilent la
Divinité à la créature, de sorte que, d'un côté, ils donnent
une extension exagérée aux attributs de leurs in^ams,
tandis que de l'autre, ils les diminuent dans la même pro-
portion. Ces assimilations ont pris naissance dans la doc-
trine de l'hypostase (houloul), dans celles des juifs et des
chrétiens ; en effet, les juifs assimilent le créateur à la
(i) Ms. arabe i4o6, fol. 57 verso.
— ij5 •=-
créature, tandis que les chrétiens assimilent la cré^taïe à
son créateur. Ces sectaires ont un nom spécial dans cha-
cun des pays qu'ils habitent : à Isfahan, ils étaient appe-
lés Khourrémis et el-Koudiyyèh ; à Reï, Mazdakis et Sind-
badis; dans l'Azerbeïdjan, Zekoulis et Mouhammaris ;
dans la Transoxiane, Moubayyidis. »
Cette divinisation à outrance d'Ali, et la doctrine sui-
vant laquelle les esprits du monde intangible peuvent
descendre dans les êtres du monde matériel, sont les
caractéristiques des croyances delà secte des Keïsanîs et,
bien que Shehristani ne mette pas les Ghalis et les Keï-
sanis en rapport intime, il n'y a guère à douter que ces
sectes avaient des doctrines très voisines ou plutôt iden-
tiques.
L'opinion suivant laquelle la secte des Nosaïris daterait
seulement de l'époque du fatimite el-Hakem n'est donc
pas recevable, mais il s'en faut qu'il faille par cela seul
proclamer que le Catéchisme des Druzes ait inventé de
toutes pièces un grossier mensonge.
Aboul-Mahasen dit en effet, dans son Histoire d'Egypte,
que les khalifes fatimites du Kaire envoyèrent dans les
montagnes de Syrie des missionnaires qui corrompirent
d'une façon absolue les gens qui y vivaient et qui for-
mèrent les sectes hétérodoxes (i) des Druzes et des Nosaïris.
Telle qu'elle se trouve énoncée par Ibn-Tagribardi, cette
assertion, si elle était exacte, infirmerait d'une façon
absolue, ce que j'ai dit plus haut, aussi bien d'ailleurs
que les théories contre lesquelles j'ai cru devoir mettre
le lecteur en garde, mais il convient d'interpréter ce pas-
sage, si l'on en veut tirer non une absurdité, mais bien
un fait historique réel.
On sait, de source certaine, que le fait dont parle
Aboul-Mahasen est parfaitement exact pour les Druzes;
il y a donc des chances pour qu'il en soit de même pour
ce qui concerne les Nosaïris, mais il va de soi qu'il faut
comprendre que les missionnaires des Fatimites, tels
(i) Edition de Leyde, 1807, t. II, partie II, p. 44^.
-^ 176 —
que Darazi ou Hamza, ont introduit dans le dogme nosaïri
des points de doctrine qui l'ont contaminé ; réduite à cela,
laffirmation d'Aboul-Mahasen n'a rien que de très vrai-
semblable au point de vue historique.
Si l'on venait à objecter qu'il n'a jamais pu exister
de contact entre les Fatimites qui ne reconnaissaient que
sept imams et les Nosaïris qui en admettent douze comme
les Shïites de Perse, il serait facile de répondre qu'il y
avait au Maghreb des partisans mahdistes des khalifes
fatimites, tels que l'auteur de V Histoire de la cille de
Kairawan, qui ne reconnaissaient point Ismaïl, pour le
successeur de l'imam Djater et Sadik, mais bien l'imam
ordinaire des Shïites, Mousa el-Kazem. Ces Maghrébins
étaient justement dans le même cas que les Nosaïris et cela
ne les empêchait pas, comme on le sait, d'avoir accepté les
théories et les revendications des Fatimites.
Un fait digne de remarque et qui n'est pas sans avoir
quelque importance, c'est que les auteurs musulmans
n'ont jamais accusé les Nosaïris d'être d'ex-chrétiens, mal
convertis à l'Islamisme, mais qu'ils les ont toujours consi-
dérés comme étant des Ali-élahyan, des « divinisateurs
d'Ali » et des Ësotéristes, et cependant l'on peut dire
qu'ils ont recherché tous les griefs possibles à invoquer
<;ontre ces pauvres gens.
L'accusation qui consiste à leur reprocher la divini-
sation du khalife Ali est générale.
Sur l'un des feuillets laissés en blanc par le copiste
du manuscrit arabe i45o, plusieurs lecteurs modernes ont
inscrit des malédictions (fol. 38 r° et v°, 89 r°, 4^ v<>) dans
le genre de celle-ci : « Qu'Allah maudisse la secte des
Nosaïris, gens d'impiété, de scandale et d'infamie, parce
qu'ils prétendent qu'Ali est Allah quand il n'est que l'un
des serviteurs d'Allah. »
C'est également la principale accusation que porte contre
ces sectaires, le célèbre historien Taki ed-Din Ahmed
«1-Makrizi, dans son Solouk, et un juriste nommé el-Kébir
Obéïd-Allah-ibn-Abd el-Fani, qui était Mufti à Laodicée
lors des troubles provoqués par les Nosaïris en l'année
— 177 —
I2a3 de Thégire. La condamnation de la secte, prononcée
sans recours par Obeïd- Allah, porte le titre de el-séhanv-
el'ka^iyrèh fi kouloub eUNosairiyjyèh; elle est conservée
dans le manuscrit 49^9 du fonds arabe de la Bibliothèque
Nationale; on admettra, je pense, que ce Mufti était eu
situation {d*avoir quelques renseignements précis sur
les Nosairis ou quelques documents exacts sur leur
compte.
Les Nosaïris, dit-il, nient la résurrection, le paradis et
l'enfer, ils croient au retour des morts dans ce monde et à
la transmigration de l'esprit (rouh) d'un corps à l'autre
pendant toute l'éternité, c'est-à-dire à la métempsychose.
D'après eux (i), l'ange Gabriel s'est trompé en apportant la
révélation à Mahomet, car c'est à Ali que Dieu l'avait chargé
de la faire ; c'est pour cette raison qu'ils donnent à Ali à la
fois le nom de Divinité et celui de Prophète. Ils commen-
tent les versets du Koran d'une façon contraire à toutes
les règles de la langue arabe (2), d'après des théories absolu-
mentfausses. Malgré cela, dit-il, ces gens ont l'audace de se
prétendre Musulmans, tandis qu'en réalité, ils sont com-
plètement en dehors de la confession de l'Islam (3); aussi,
est-ce avec raison qu'il leur donne les noms de secte d'hé-
rétiques croyant à la doctrine de l'hypostase et de
Zendiks (4); il les accuse formellement de croire « à
l'hypostase de l'esprit et de la Divinité dans les
imams » (5), à la disparition (du monde) de Fimam
exposeur et à l'évanouissement de l'impératif et de la
défense jusqu'à ce qu'il se manifeste de nouveau, ce qui
est une allusion bien nette à la théorie du Mahdi.
Tout cela est parfaitement exact, mais Obeïd- Allah-ibn-
(i) Fol. 2, r% 3 p' et V.
(2) Gela est rigoureusement exact; les livres des Nosaïris sont
écrits dans une langue impossible et le mufti de Laodicée n'a pas
tort de se plaindre de leur ignorance de la langue arabe.
(3) Fol. 2 r» et v».
iÂ)El'taîfèh'el'mulhidèh^l-houlouliyyéh'el-zanadikèhf fol. 2 v»,
3 r*.
(6) Fol. 3 V».
12
— ijS —
Abd-el-Fani est moins bien renseigné (i) quand il affirme
que les Nosaïris n^ont pas de Livre, ni rien qui ressemble
à un Livre; cette erreur s'explique d'ailleurs aisément
quand Ton pense avec quel soin jaloux ces pauvres sec-
taires cachent leurs livres religieux et avec quelle peine
on s'est procuré quelques feuillets de ceux des Yézidis.
Ce qui prouve aussi bien que le silence de Taki-ed-Din-
Ahmed-el-Makrizi et du mufti Obeïd- Allah de Laodicée,
combien les souvenirs chrétiens sont lointains chez les
Nosaïris, c'est que la formule bien connue : « Au nom
du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (2) Bism-el-ab-wél-
Ibn-wé-rouh-el-kouds est comprise ainsi qu'il suit par les
Nosaïris; le père (ab) est le Sens ésotérique, autrement
dit Ali ; la Sainteté (kouds) est le Nom ; l'esprit est
Selman-i Farisi, et le fils Ibn est l'Espace mikdar (3).
Jamais une secte qui aurait été chrétienne n'aurait
oublié à ce point les éléments essentiels de son antique
religion.
Le dogme de l'unité absolue du Principe Suprême étant
le fondement de l'Islamisme, toutes les fois que l'on
trouve dans les doctrines d'une secte plus ou moins hété-
rodoxe une forme ternaire d'Existences supérieures, on est
généralement tenté d'en aller chercher l'origine dans le
Christianisme ou dans l'une des religions qui ont précédé
l'Islam.
Les Nosaïris admettent, comme on vient de le voir, une
triade composée de Mahomet, d'Ali et de Selman-i Farisi
qui n'est évidemment que la réplique, l'aspect exotérique
(i) Fol. -2 v».
(2) Ms. arabe 145o, fol. 92 v».
(3) On ne sait, dans les manuscrits, s'il faut lire Mikdar ou Mik'
dad. Mikdad est, comme Ton sait, le nom d'un compagnon de
Mahomet. Cette traduction d' « espace » est conjecturale et je ne
sais quelle est la signification absolument précise de mikdar dans
la théologie nosaïrie; ce mot signifie « mesure », mais je croirais
assez qu'il s'agit d'une mesure ésotérique de l'espace, de quelque
chose dans le genre de maanay mais sans pouvoir pour Tinstant
en donner une traduction plus précise.
— 179 —
de la triade ésotérique : « sens ésotérique » maana ;
« nom » ism ; « espace » mikdar.
Cette triade, ou cette trinité, comme on voudra l'appe-
ler, ne forme pas plus une réplique de la Trinité chré-
tienne que de la Trimourti du Brahmanisme, et encore
moins de la triade phénicienne, Ciel, Soleil et Lune.
Les Nosaïris admettent la théorie cabbalistique d'une
trinité dans l'unité et d'une unité dans la trinité qui se
retrouve dans d'autres sectes musulmanes et dont l'origine
est facile à déterminer. C'est dans la doctrine ésotérique
du Soufisme qu'il faut aller chercher le principe de ces
trinités mystiques, qu'évidemment, à première vue, on
est porté à expliquer par un emprunt au Christianisme.
C'est là une question sur laquelle je m'étendrai tout à loi.
sir dans l'ouvrage sur les Mystiques de l'Islam dont j'ai
parlé dans la préface. Je me contenterai pour l'instant de
dire que les Esotéristes divisent l'Unité en trois aspects
auxquels je donnerai par convention, car il faut bien
s'entendre, même quand on parle d'Esotérisme, les
noms d'Unitisme wahdet^ Uneïté wahidijyèh et Moneïté
ahadiyyèh.
Les auteurs qui ont traité de la théorie ésotérique de
l'Unité, considèrent le nombre comme étant le multiple
par lui-même de cette unité trine, somme des trois aspects
de l'Unité, laquelle Unité à son tour a deux aspects, l'un
réel, l'autre imaginaire, correspondant dans l'interpréta-
tion géométrique à deux cercles conjugués.
Le premier de ces cercles est divisé en deux secteurs
égaux par son diamètre qui est le Discriminant (berzekh)
entre la Moneïté, l'Uneïté et l'Unitisme, autrement dit qui,
à la fois, sépare et réunit les trois aspects ésotériques de
l'Unité trine.
Le cercle conjugué du premier cercle, est également
divisé par le diamètre conjugué du premier diamètre, en
deux secteurs, celui du nécessaire wodjoub et celui du
contingent imkân. Ce diamètre est un discriminant {ber-
zekh) qui est la « vérité ésotérique, le sens réel de l'Etre
— i8o —
homme » el-hahiket-el-insani^yèh et la « révélation pro-
ductrice du xd(7(io; » tédjelli.
Ces mêmes auteurs nous apprennent qu'avant l'appari-
tion du diamètre du premier cercle, fait qui a été la discri-
mination (hukm) entre TËxotérisme et TÉsotérisme, ainsi
qu'entre rUneïté et la Moneïté, TUneité étant alors com-
prise dans la Moneïté, FUneité et la Moneïté se trouvaient
toutes lesdeux sous la domination de l'Unitisme, c'est-à-dire
en termes moins volontairement cabbalis tiques, qu'avant
l'apparition du premier discriminant, ces trois aspects de
l'unité se trouvaient confondus dans l'Unité et que les
aspects réel et imaginaire de l'Unité ne s'étaient pas
encore trouvés discriminés.
La première révélation produite par l'Etre Unique fut
sous la forme de l'Unitisme et la première existence fut
créée de l'absence de l'Ipséïté, ou en d'autres termes de
la Présence (hazret) de l'Absence.
A un autre point de vue, le premier cercle est divisé par
son diamètre en deux secteurs, celui de l'Uneïté et celui de
la Moneïté, et sous cet aspect, ce diamètre est la célèbre
(i distance des deux arcs » kab el-kousein ou la « vérité éso-
térique mohammédienne « el-hakiket el-mohammédiyèh,
A son tour, le secteur de l'Uneïté est divisé par trois
rayons et son diamètre en quatre secteurs qui correspon-
dent à l'Existence woudjoud, à la Science, à la Lumière
et au « témoignage » shouhoud.
Ces quatre secteurs se trouvent compris dans le secteur
de l'Uneïté et non dans celui de la Moneïté, parce que,
par la révélation primordiale el'taaïin-el-apçal qui est
l'Unitisme, l'Etre Unique s'est révélé à lui-même, par
lui-même, en lui-même.
Cette révélation primordiale comprend à la fois la
Moneïté, TUneité et la Discrimination {herzékhiyyèh) ; la
révélation seconde compi'end l'Unitisme, la Multiplicité
et la Discrimination qui à la fois, sépare et réunit l'Uni-
tisme, c'est-à-dire ici, l'Unité considérée absolument et
avant la séparation de ses aspects, et la Multiplicité.
— i8i —
L'Unitisme'est Taspect exotérique de l'Existence, tandis
que la Multiplicité est Taspect exotérique de la Science.
Le Discriminant qui sépare Taspect exotérique de Texis-
tence de l'aspect exotérique de la science est la Multipli-
cité (kesret), ou ce qui revient au même dans TEsotérisme
la « valeur ésotérique de l'Etre humain » el-hakiket el-
insaniyyèh, l'homme étant, en effet, tant au point de vue
physique qu'au point de vue moral, le complexe le plus
parfait qui se puisse imaginer, puisqu'il résume l'ensem-
ble de l'univers et qu'il est le microcosme.
Le secteur de l'aspect exotérique de l'existence est la
multiplicité contingente, origine des noms divins; il com-
prend vingt-huit noms divins universaux ; le secteur de
l'aspect exotérique de la science représente la multiplicité
nécessaire et réelle, origine des « vérités ésotériques exis-
tentielles » el'hakaik-el-kounVyyèh; dans ce segment se
trouvent vingt-huit noms « existentiels » kounijyèh uni-
versaux qui correspondent aux vingt-huit lettres de l'al-
phabet arabe. Le diamètre ou berzekh qui, à la fois, sépare
et unit ces deux secteurs est le « lieu où se manifeste la
puissance » mazhar du nom total de l'Etre Unique qui, à
lui seul, contient en potentiel, tous les noms.
Ce n'est pas pour sa valeur intrinsèque que j'ai donné
ici cet aperça, d'ailleurs bien trop sommaire, de la théorie
de rUnité-trine. Elle est presque incompréhensible si on
ne la fait pas rentrer dans une théorie cabalistique autre-
ment compliquée, celle de l'Emanation et des cinq pré-
sences qui est la base et le fondement essentiel de l'Eso-
térisme musulman; j'en ai dit juste assez pour montrer
que cette théorie de la tripartité de ce qui nous semble
l'Unité par excellence, l'unité mathématique, est emprun-
tée aux doctrines néo-platoniciennes.
A
Sbctbur a. — Sectear de la Monéité.
Secteur B, C, D, E. — Secteur de l'Uneïtô.
Secteur B. — Secteur du Témoignage, shouhoud.
Secteur C. — Secteur de la [.uinière.
Secteur D. — Secteur de la Science.
Secteur B. — Secteur de l'Existence, woudjoud.
Diamètre a b. — La Révélation on Emanation Primordiale, forman la grande Discrimi-
nation et étant a l'Uni té-Totaliiô n ahadlyyet-el'djem et la vérité ésotérique roohammè-
dienne el- kaki/cet -el-mohammé iiyyèh.
Secteur A'. — Secteu. ae l'aspect exotérique de l'Existence.
Sbctbur B*. — Secteur de l'aspect exotérique de la Science.
DuMèxRB a' b\ — « Vérité ésotérique de l'Etre iiomme w, el'kakiket-el-insaniyyéh.
— i83 —
La théorie mathémathîque de FUnité telle qu'on la trouve
chez les maîtres de TEsotérisme musulman est le dévelop-
pement algébrique de la théorie des hypostases, telle que
Plotin l'expose dans sa cinquième Ennéade. On sait que
les trois hypostases principales, ou mieux qui jouent
le rôle de Principes al u7ro(XTà(xet; àp^ixat sont l'Ame Univer-
selle y\ ^Myr^ toO Tcavro;, Tlntelligence voO; et l'Unité tb êv, qui
est également nommée le Bien t6 àya^o^» le Primordial xo
itpôTov (l), l'Absolu y\ aOtapxv
L'Ame Universelle est l'Acte et le Verbe de Tlntelligence
qui elle-m^me est le Verbe et l'Acte de l'Unité Primor-
diale.
Dans la doctrine de Plotin, la première hypostase, la
seule qui importe ici, l'Unité, to 8v, consiste en ceci que
l'Etre Unique s'est manifesté en lui-même, pour lui-même
dans son Ipseïté, se donnant l'existence à lui-même, parce
qu'il est un acte immanent Evépyeia (/.évouda. C'est exactement,
en termes rigoureusement identiques, la définition que les
Esotéristes donnent de la première émanation, du el-tanïm-
el-ai^çal.
Le Un est rigoureusement unique, mais il est infini ; il
est lé nombre i, la raison unique qui embrasse tout. Si le
Un qui est Tlntelligence Suprême est formellement sim-
ple, l'hypostase qui est émanée de lui est multiple : autre-
ment dit l'Intelligence est l'Unité multiple en l'Unité-
Totalité, ce que les esotéristes musulmans ont traduit par
ahadiyyet-el'djem et chaque Intelligence est une Unité
multiple.
On voit ici apparaître dans la doctrine de l'école
d'Alexandrie le principe de la pluralité de l'Unité qui est
la base de l'Esolérisme musulman et qui, à première vue,
si l'on s'en tient à l'arithmétique archimédienne, paraît le
renversement complet de toute vérité mathématique.
Chaque chose, pour Plotin, a pour principe une unité-
multiple d'un ordre plus ou moins élevé ; en remontant
(i) G^est cette expression que les métaphysiciens musulmans
ont traduit par kadim ou Préexistant.
— i84 —
d'unité en unité, on arrive à l'Unité monade au delà de
laquelle il est impossible de passer sans tomber dans
la série imagfinaire qui a été plus inconnue des Alexan-
drins que des Musulmans.
Cette Unité monade qui est la source de tout, est la
mesure de toute chose sans être elle-même mesurable,
car il n'existe pas de commune mesure entre quoique ce
soit et elle ; elle est le principe des nombres sans être
elle-même un élément numéral.
On a vu dans l'exposé de la doctrine de l'Unité-trine
qu'avant l'émanation primordiale eUtaain el-awal qui
correspond d'une façon parfaite à la première hypostase
de Plotin et qui a produit subitement le discriminant
(bersekh), qui a séparé les monades dont se composait
l'Unité arithmétique, l'Uneïté était comprise dans la
M oneïté et que toutes les deux se trouvaient confondues
dans rUnitisme.
C'est seulement l'apparition du premier discriminant
(berzekh) qui a dissocié les deux composantes absolues de
l'unité : l'Unitisme ou Unité absolue d'un côté, l'Uneïté et
la Moneïté de l'autre.
Le groupe Uneïté-Moneïté des cabbalistes musulmans
n'est autre chose que la seconde hypostase de Plotin,
l'Unité-multiple ou Intelligence qui est émanée de la
première hypostase, du Un absolu et transcendantal, qui,
dans la réalité se trouve en dehors de la série numérale,
dans l'aspect ésotérique et peut-être même imaginaire du
monde, et dont le Un arithmétique est le multiple par
lui-même ou le premier carré.
L'école Platonicienne enseignait déjà que de la Dyade
indéfinie et de l'Un absolu sont émanés les Idées et les
Nombres : 6ià xa\ erpritai ex tt|ç aopiorou 8uâf oc xx\ toO èvb; Ta si'ôtj
xat oî apieiAoï. Cette expression de « Dyade indéfinie » que
Plotin reproduit dans sa cinquième Ënnéade sans pré-
ciser davantage ce qu'elle signifie, est évidemment la
seconde hypostase de la théorie alexandrine, l'Unité Mul-
tiple, rUnéité-Monéité des Esotéristes musulmans.
Cette théorie suivant laquelle les idées et les nombres.
— i85 —
c'est-à-dire tout le cosmos sont émanés de la dyade et de
rUnité, en fin de compte de l'Unité, puisque la dyade elle-
même est une émanation de l'Unité, revient à dire, comme
le faitPlotin dans sa cinquième Ënnéade, que le Un absolu,
l'entité nombre qui n'existe qu'en dehors et au-dessus de
la série numérale contient en potentiel tout le cosmos ;
c'est justement là le fondement de toute la métaphysique
musulmane suivant laquelle tous les éléments du cosmos
dérivent des nombres et des lettres qui en sont les idées.
En résumé, l'Unitisme, compris dans son sens d'Unité
absolue est le to l^ de Plotin, l'Unéité et la Monéité qui
en furent discriminées par l'Emanation première et qui
forment la première hypostase représentent la dyade in-
définie i\ àopiffxoç Sua; de l'Alexandrinismft ; c'est ce que les
métaphysiciens de l'Islam expriment en disant que tout
ce qui existe émane de l'attribut de l'Unéité (premier élé-
ment de la dyade), qui fait émaner la Monéité (second
élément de la dyade), tous les deux émanant de l'essence
suprême qui est l'Unité absolue, le xb Ev de Plotin.
On voit donc que la théorie métaphysique de l'Unité-
trine est tout entière empruntée aux doctrines du néo-pla-
tonicisme de l'école d'Alexandrie . Les personnes qui aiment
par dessus tout la complication et que ne satisfont point
les solutions simples, objecteront sans doute qu'il se pour-
rait que l'Alexandrinisme soit lui-même allé chercher sa
théorie des hypostases dans une secte gnostique de
l'Orient sémitique auquel l'Islam aurait plus tard em-
prunté sa théorie des Présences (hazrât). Comme jusqu'à
présent, on ne connaît rien et que, suivant toutes
les vraisemblances on ne connaîtra jamais grand chose
du gnosticisme oriental, cette hypothèse n'aurait pas
d'autre valeur que d'être une fantaisie indémontrable;
c'est pourquoi, comme l'on trouve dans les théories de
l'école Egyptienne, une doctrine qui est évidemment la
même que celle des Esotéristes musulmans, et que de
plus, on sait historiquement que les sectateurs de l'Islam
sont allés chercher leur philosophie à Alexandrie, il est
tout naturel d'admettre que la théorie musulmane des
— i86 —
Présences et de l'Unité-trine dérive tout naturellement de
la théorie des hypostases de Plotin.
Si malgré tout, Ton se veut obstinera regarder la trinité
nosaïrie comme étant la réplique certaine de la trinité
pliénicienne, Ciel, Soleil, Lune, comme il est bien évi-
dent que cette trinité du « Sens, » du « Nom », et de
« l'Espace » est identique à la théorie de TUnité-trine de
FEsotérisme musulman, on sera tout naturellement
amené à admettre que cette théorie de l'unité trine dérive
elle aussi de la susdite triade phénicienne, ainsi que la
théorie de TAlexandrinisme. Il n'est pas besoin d'être
grand clerc pour voir l'absurdité et le ridicule du résultat
auquel conduit cette hypothèse.
Le fait très important que les théories des Nosaïris ne
diffèrent pas dans leur essence des doctrines de l'Eso-
térisme et du Soufisme, se trouve pleinement confirmé
par la lecture des quelques traités de théologie nosairie
qui sont arrivés jusqu'en Europe. C'est une question qui
serait beaucoup trop longue à étudier dans son ensemble
et qui mériterait de faire l'objet d'un livre spécial, aussi
n'ai-je indiqué ici que les principaux résultats de ces lec-
tures : je ne doute pas que les personnes au courant des
dogmes de l'Esotérisme qui viendraient à parcourir les
traités nosaïris, ne soient frappés de l'identité absolue de
leur doctrine avec celle du Soufisme et plus généralement
avec les théories de l'Esotérisme.
Deux faits suffiraient à établir cette identité; d'abord
que la doctrine nosaïrie repose, comme celle de toutes les
sectes hétérodoxes de l'Islamisme, sur l'opposition du
sens exotérique (zaher) et du sens ésotérique {batin) et
ensuite que tout comme les Soufis, les Nosaïris connais-
sent les stades (makam) de la hiérarchie mystique.
Le kitab-el-asafir qui fut écrit par Abou-Abd-AUah-
Mohammed-ibn-Shaaba-el-Harrani, à une époque certai-
nement antérieure à l'année 685 de l'hégire et qui se
trouve conservé au fol. 2-3 7 du manuscrit arabe i45o,
contient un exposé de la philosophie nosaïrie qui est
identique à la philosophie néo-platonicienne du Soufisme ;
— iSj —
l'auteur de ce traité, qui a pour but d'établir la divinité
d'Ali, cite Platoa tout comme le mohtésib Shems ed-Din
d'Eberkouh cite.Solon dans son Medjma el-bahreïn.
On retrouve dans le sixième traité contenu dans le
manuscrit arabe i45o, les mêmes procédés de cabbale
littérale qui font fureur dans l'Esotérisme, et dont les
règles ont été formulées par Mohyi ed-Din Mohammed
Ali Ibn Arabi et par Aboul Abbas Ahmed el-Bouni.
Les doctrines nosaïries sont encore plus compliquées,
s'il est possible, que celles du Soufisme, mais il n'y a pas
à douter qu'elles ne leur soient primordialement iden-
tiques.
On trouve ce même cachet d'Esotérisme et les mêmes
rêveries cosmologiques des Soufis dans le kitab-eUou-
sous, qui est une sorte d'exposé de la sagesse du roi-
prophète Salomon, avec la façon d'arriver à la connais-
sance de l'Etre unique, de son ipséïté, de sa puissance,
de ses attributs, et des deux aspects du monde ; cet ouvrage
a certainement été composé avant l'année 685 de l'hég.
Ce qui est non moins important, c'est que le traité de
l'Unité tavhid composé par Ali ibn Isa el-Djisri (man. arabe
i45o) contient une théorie de l'Unification identique à celle
du Soufisme avec une terminologie presque identique.
Quant au dernier traité nosaîri qui se trouve aux fol. 176
v° ssq. de ce même manuscrit arabe i45o, il constitue
presque exclusivement un commentaire du passage bien
connu du Koran : <i Louanges soient rendues à Celui qui
a transporté pendant la nuit son serviteur de la Mosquée
Sainte à la Mosquée Lointaine », rédigé dans un esprit
ésotérique qui rappelle, à s'y tromper, le commentaire
de la Sourate de Joseph par le Bâb, et également le frag-
ment de la Sourate du Koran d'Ahmed, fils de Moham-
med, fils de la Hanéfite qui est traduit à la page 38.
On retrouvera ces mêmes particularités dans les Sou-
rates du Kitab el-medjmoua qui ont été publiées et tra-
duites par M. Dussaud (i) et dans ce fait que les Nosaïris
(i) Histoire et religion des Nosaïris y pagres 161 et ss.
— i88 —
croieat à sept révélations qu'ils appellent portes dont la
dernière est Thypo stase d'Allah sous la forme d'Ali.
Cette même tournure babie se trouve déjà dans la
théorie qui fait d'Ali la Divinité, de Mohammed le voile,
et de Selman-i-Farisi, la Porte.
Ce qui montre peut-être aussi bien que l'examen de
leurs doctrines théologiqnes, combien l€s Nosaïris ont
eut d'accointances avec les Soufîs est le fait suivant qui
est rapporté par Taki ed-Din Ahmed el-Makrizi dans
son Solouk li méarifet douçel el moulouk : cet historien
raconte qu'en l'année 717 de l'hégire, un individu qui se
disait investi d'une mission céleste annonça aux Nosaïris
que la seule Divinité est Ali et que Mahomet en est le
Voile qui la cache à la vue exotérique des hommes ; de
plus cet imposteur se vantait d'avoir ressuscité le célèbre
sheïkh Soufi Ibrahim Ëdhem.
Je n'insisterai oas sur le fait que la théorie des voiles,
autrement dit celle du monde nouménal opposé au monde
phénoménal, appartient exclusivement aux doctrines de
l'Esotérisme et qu'elle ne peut se comprendre en dehors
de l'Esotérisme : le fait qu'Ibrahim Edhem est cité par
un Nosaïri a encore plus d'importance; il ne faut pas
oublier en effet que ce personnage dont la vie fut signalée
par des particularités extraordinaires appartient essentiel
lement au Soufisme, au même titre que Bayézid-i-Bistami,
Mansour ibn-el-Halladj ou Zoul-noun Misri et qu'il n'est
connu uniquement et absolument que dans le Soufisme
dont il est l'un des plus grands saints evlia, comme l'on
peut s'en convaincre aisément par la lecture des bio-
graphies qui lui ont été consacrées par Djami dans la
JVéfahat el-ouns, par Férid ed-din-Attar dans le Tezkéret-
el-eçlia et par Kémal ed-Din Sultan Hoseïn ibn Sultan
Mansour ibn Baïkara dans le Médjalis el-oushshak.
APPENDICE V
On rencoatre parfois sous la plume d'historiens qui
passent pour avoir été de parfaits Sunnites, des expres-
sions qui montrent bien à quel point les orthodoxes les
plus sévères en apparence frisaient de près l'hérésie
shîite. Abou Shama, l'auteur du Kitab-el-raudateiriy qui
est, comme l'on sait, l'une des meilleures sources de l'his-
toire de Saladin, nous a conservé un passage d'une lettre
adressée par le Kadi el-Fâdil au khalife abbasside el-
Nasir li-din Allah. Avec Imad ed Din el-Isfahani, le Kadi
el-Fadil fut l'un des principaux secrétaires de Saladin,
celui que le Sultan chargeait de la correspondance élé-
gante avec les souverains de l'Islamisme; en fait, son
style compliqué et maniéré à l'excès, au point de rendre
jaloux Vassaf el-Hazret, fait que ces pièces diplomatiques
sont à peu près inintelligibles.
Dans cette lettre qui se trouve à la page 167 de l'édition
imprimée à Boulak, le Kadi el-Fadil donne au khalife
quelques détails sur le siège de Saint-Jean d'Acre et il le
prie d'excuser Saladin de n'être pas allé lui-même à Bag-
dad pour implorer son intervention spirituelle. « Et, dit-il,
si toutes les difficultés qui l'ont assailli avaient pu s'écar-
ter de lui, certes il serait allé supplier le médecin de
l'Islam, que dis-je, son Messie (Mésih). »
On peut se demander comment le pontife de Bagdad,
héritier et gardien de la tradition orthodoxe, reçut cette
épithète malencontreuse. Au point de vue musulman.
Messie et Mahdi sont deux synonymes ou plutôt Mahdi
est la traduction arabe de l'hébreu Mésih (Messie). Appli-
quer cette qualification au khalife abbasside, c'était im-
— igo —
plicitement admettre qu'après Mahomet, il peut exister
un ou plusieurs autres prophètes; à cela, el-Nasir-li-din
Allah ne pouvait faire qu'une réponse, condamner comjne
hétérodoxe l'homme qui s'était permis de traiter de Mahdi
le khalife ahbasside.
Il ne faut pas oublier que cette missive a été écrite par
ordre de Saladin et que, suivant toutes les vraisemblances,
elle ne fut pas confiée au courrier qui la porta au seuil du
« Divan Auguste » sans que le conquérant l'ait relue et sans
qu'il y ait apposé son chiffre (alama) ; mais il convient
également de se rappeler que Saladin, qui fit rentrer
l'Egypte et la Syrie sous la domination de l'Orthodoxie,
qui purgea la ville sainte de la souillure des Infidèles, est
le premier qui osa fonder en plein Kaire un collège où
l'on enseignait la doctrine des Bathéniens, c'est-à-dire
celle de Tlsmaïlisme, ou tout au moins le Soufisme qui à
cette époque, n'était pas bien distinct de 1 Ismaïlisme et
qui, aux yeux de la cour de Bagdad, ne valait pas beaucoup
mieux. Les successeurs de Saladin qui se proclamèrent tou-
jours les plus fermes protecteurs du Khalifat, n'agirent pas
autrement. Le sultan el-Mélik-el-Kamel offrit au célèbre
soufi Ibn el-Farid (i234), dont les poésies mystiques sont
tout ce qui se peut imaginer de plus hétérodoxe une somme
de i.ooo dinars s'il consentait à accepter la charge de Kadi
suprême de toute l'Egypte. On se demande si les Fatimites
du Kaire eussent agi d'une façon différente.
ADDITIONS
Page 44' — « U se tenait avec le Mahdi et Mazdek...
dans une forteresse de cuivre {rouyin dis)... » Telle est la
traduction donnée par M. Schefer dans le Siasset-Namèh.
En réalité Rouyin-diz est le nom d'une forteresse bien
connue des géographes orientaux, qui est également appe-
lée Behmen-diz ou « forteresse de Behmen ». Elle s'élevait
près d'Ardébil sur l'un des versants du mont Silân ; Fir-
dousi rapporte dans le Livre des Rois que quand Keî-
Khosrau et Féribourz se disputèrent la couronne de Perse,
il fut convenu qu'elle appartiendrait à celui qui s'empare-
rait de Rouyin-diz. Ce fut Kai-Khosrau qui l'enleva. Il faut
donc traduire : « il se tenait avec le Mahdi et Mazdek...
dans la forteresse de Rouyindiz... »
Page 5 y. — Le fait que les Ismaïliens admettaient que
les imams interprètent les livres sacrés, tandis que les
Prophètes se bornent à les recevoir du ciel, que Yimam
Khidr apprit la Science infuse bm prophète Moïse, montre
suffisamment que ces sectaires admettaient que la mission
de l'imam est supérieure à celle des Prophètes; ils recon-
naissaient donc dans le fonds qu'Ali est au-dessus de
Mahomet. C'est en fin de compte, la théorie des Pôles et
surtout des « Solitaires » telle qu'elle se trouve exposée
dans les livres de l'Esotérisme le plus radical. Gela montre
que les Ismaïliens n'étaient pas très éloignés des Ghalis et
des Ali-Elahyan qui admettaient franchement la supério-
rité d'Ali sur Mahomet.
Page i33. — Cette comparaison de la relation des
diverses positions que peut prendre le corps de l'homme
avec les lettres de l'alphabet arabe se retrouve assez
souvent dans les vers des poètes mystiques. Dans une
lettre en vers qu'il écrivit au célèbre poète persan Noup
ed-din Abd er-Rahman Djami, Mir Ali Shir Névaî s'ex-
prime de la façon suivante : a Dans mes génuflexions, ma
personne agenouillée, retraçait sous la forme d'un ya^
celle des soupirs que mon cœur exhalait en attendant
l'heure de vous revoir. En me relevant, debout, j'offrais
comme l'e/i/" l'image de cette fidélité inébranlable comme
celle du cyprès sur son pied; enfin, incliné comme le za^
je demandais à Allah d'éclairer la nuit ténébreuse de
mon chagrin par l'apparition de la lune couronnée de sa
brillante étoile. » 1
1 G
\
\
\
Arcis-sur-Aube. — Imprimerie Léon Fréhost,
Dozy (R. P. A.). — Essai sur l'Histoire de l'Islamisme, traduit du
hollandais par V, Chauvin, professeur à l'Université de Liège.
Leyde et Paris, 1879, in-80 br., vn-3a6 pp 7 fr. 5o
Dugat (G.). -^ Histoire des philosophes et théologiens musul-
mans de 633 à ia58 de J.-G. Scènes de la vie religieuse en Orient.
Parts, 1878, in-8"» br., de xliii-385 pp 7 fr. 5o
Férazd&k. — Le Divan, publié sur le manuscrit de Sainte-Sophie
de Constantinople, avec une traduction française par R. Boughbr.
Paris, 1870^4» 4 fasc, in-4'' br. (Tout ce qui a paru.).... i5 fr^
Gantin (Julbs). — TARiimè Gozidè. Quatrième chapitre de cet ou-
vrage, comprenant les dynasties persanes pendant la période
musulmane depuis les Saffârldes jusques et y compris les Mo-
gols de la Perse eh i33o de notre ère. — Texte persan complet
imprimé pour la première fois avec une traduction française en
regard, suivi de notes, de tableaux dynastiques, généalogiques
et synchroniques. fSoxis presse,)
Garoin de Tassy. — Science des religions, L'Islamisme, d'après
le Coran, l'enseignement doctrinal et la pratique. Paris, 1874»
in-8» br 7 fr. 5o
Oarcin de Tassy, Membre de VInstitut. — Mantic Uttaïr, ou le
langage des oiseaux, par Farid Uddin Attar, publié en per-
san. Paris, 1867, in-8» br., 76 pp 10 fr.
— Le même ouvrage, traduction française. Paris, i863, in-S» br.,
200 pp 10 fr.
— La poésie philosophique et religieuse chez les Persans, d'après
le Mantic Uttaïr, Complément de l'ouvrage précédent. Qua-
trième édition. Paris, 1864, in-8* br., 76 pp.. a fr. 5o
— Mémoires sur les noms propres et les titres musulmans.
Deuxième édition suivie d'une notice sur les vêtements avec
inscriptions arabes, persanes et hisdoustanies. Paris, 1878,
in-8» br., de ia8 pp., papier de Hollande, fig 5 fr*
Ouyard (Stanislas). ^ Manuel de la langue persane vulgaire.
Vocabulaire français, anglais et persan, avec la prononciation
figurée en lettres latines, précédé d'un abrégé de grammaire et
suivi de dialogues avec le mot à mot. Paris, 1880, in-ia toile,
xxxi-266 pp 5 fr«
Hovelaoque (Abbl). ^ L'Avesta, Zoroastre et le Mazdéisme.
. Paris, 1880, in-8» br, de Bai pp 10 fr.
Cet important travail est divisé comme sait : Introduction. Découverte et
interprétatioa de l'Avesta (Auquetil-Daperron et ses contemporains; Eagène
Barnouf et eon œavre). — Livre I. L'Avesta et Zoroastre. — Livre IL Les dieax
de l'Avesta. — Livre IIL La conception dn monde dans l'Avesta. — Livre IV.
La loi mazdéenne. — Livre V. Morale de l'Avesta.
Kay»iinirgki (A. de Biberstbin). — Dictionnaire Arabe-Français,
contenant toutes les racines, leurs dérivés dans les idiomes
vulgaire et littéral, ainsi que les dialectes d'Alger et du Maroc.
Paria, 1860, a vol. gr. in-8» br., 3,o3o pp., à 2 col. ........ io5 fr.
Lamairesse (E.) et Di:^arrio' (Gaston).— Vie de Mahomet d'après
la tradition. Paris, 1897-98, a vol. in-ia br. de 40a et 887 pp.
10 fr
Tome. I. Des origines de Mahomet jntqu'à la bataille d'Ohod. — Tome II.
Depuis 1a bataille d'Ohod jusqu'à l'élection d'Abou Bekr.
Landberg (Carlo). —Proverbes et dictons du peuple arabe. Ma-
tériaux pour servir à la connaissance des dialectes vulgaires,
recueillis, traduits et annotés. Lejrde et Paris, i883, in-8« br.,
1.111-464 pp i5 fr .
Nàbiga Dhobyani. — Le Divan, texte arabe, publié pour la pre-
mière fois, suivi d'une traduction française, et précède d'une
introduction historique par Dbrenbouro. Paris, Imp, Imp. 1869,
I beau vol. in-8° br. de a7a pp 9 fr .
^ Le Diwân de Nâbiga Dhobyani. Complément du Nâbiga Dho-
byani inédit d'après le manuscrit arabe 65 de la collection Sche-
fer, par M* Hartwig-Dbrbnbourg. Paris, 1899, ^-S** ^i* > && PP-
5 fr.
Nicolas (J.-B). — Dictionnaire Français*Pbrsan (avec la pro-
nonciation iigurée), Paris, 1885-87, a vol. in-ia toile de xiv-190
et 9^4 PP • 3o fr .
Querry (A.). — Droit Musttlman. Recueil des lois concernant les
musulmans chiites. Paris, Imp. Nat., 1871-72, a vol. gr. in-8°
br., V111-1467 pp 3o fr.
Reinaud. — Monuments arabes, persans et turcs du cabinet du
duc de Blacas et d'autres cabinets ; considérés et décrits d'après
leurs rapports avec les croyances, les mœurs et l'histoire des
nations musulmanes. Paris, i8a8, a vol. in-8« br., 888 pp. et 18
planches a5 fr .
Savant ouvrage d'épigraphie orientale.
Sacy (Sylvestre de). — Exposé de la religion des Druzes, tiré
des livres religieux de cette secte et précédé d'une introduction
et de la vie du khalife Hakem-Biamr-Allah. Paris, Imp royale,
1828, a vol. in-8« br., Dxvii-a34 et 749 pp i5 £t.
Siouffi (M. N.). — Etudes sur la religion des Soubbas ou Sa-
béens; leurs dogmes, leurs mœurs. Paris, 1880, in-8° br., xi-
aii pp 7 fr. 5o
Tabari (Abou Djafar Mohammed bèn Djarir bèn Yâzid. —
Chronique, traduite sur la version persane de Abou Ali Mo-
hammed Belami, d'après les manuscrits par H. Zotenbebo. Paris,
1867-74, 4 vol., in-8« br., vni-a568 pp 3o fr.
Areis-sur-Aube. — Imprimerie Léon Frémont.
liomes
Vlaroc.
io5 fp.
Taprès
87 pp.
10 fr
'orne IL
)e. Ma-
gaires,
S" br.,
i5fp.
la pre-
; d'iine
p. 1869.
. 9^r-
a Dho-
Q Sche-
55 pp-
5fr.
la pro-
XIV-190
3o fr.
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30 fr.
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p. et 18
a5fr.
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br., XI-
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